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Le portrait de Joseph Biolatto, de Baton Rouge Pigalle

Rencontre avec le co-propriétaire, avec Julien Escot, du bar le Baton Rouge à Pigalle. Inspiré par la Louisiane, terriblement sympathique et brillant, ce bartender ne manque pas d’originalité et d’idées derrière son bar.

Villa Schweppes : Comment es-tu devenu bartender ?

Joseph Biolatto : Ma famille possède le Forvm qui est l’un des plus anciens bars à cocktails de France encore en activité. Le Harry’s bar a fêté ses 103 ans il me semble, le Forvm a été ouvert en 1931 donc ça fait 84 ans qu’il existe. Je ne me destinais pas nécessairement à faire ça, j’ai commencé par une école hôtelière à l’âge de 14 ans, j’ai fait des extras le samedi en salle et un jour, je me suis proposé derrière le bar, à aider à faire les verres, etc. Je devais avoir 16 ans ! Piqué au vif, j’ai eu la chance d’arriver très tôt derrière le bar alors qu’à l’origine, je voulais plutôt faire de la cuisine. L’esprit du bar m’a finalement plus plu que celui de la salle ! J’en ai fais mon métier.

Avant Baton Rouge, où as-tu travaillé ?

Un bar pour que les gens se sentent bien en arrivant, encore mieux en repartant !

J’ai travaillé au Forvm en extra, j’ai fait un court séjour à New York pour apprendre une autre façon de travailler, appréhender le client. Je suis revenu et j’ai bossé dans un bar qui s’appelait L’Appart, rue du Colisée dans le 8ème (ndlr : qui n’existe plus) avec Olivier Meurice. J’ai vraiment beaucoup appris sur le mélange et les accords entre ce que l’on appelle aujourd’hui la mixologie, qui est un mauvais terme puisque tout ça reste du bar. Après, je suis parti en saison à Courchevel, au Byblos qui n’existe plus – décidément ! (Rires). J’ai fait une saison d’hiver et j’ai vu l’hôtellerie de luxe. J’ai pris ensuite un peu de recul, j’attendais LA place… Et elle est venue en 2004, avec l’ouverture d’Apicius nouvelle formule, rue d’Artois dans le 8ème arrondissement de Paris. J’ai eu la chance de créer avec Jean-Pierre Vigato un bar sans carte, qu’à la prescription, qu’à l’instant. C’était une belle expérience et un vrai défi, je n’avais que 21 ans. Il fallait tout gérer, les stocks, etc. Je suis resté deux ans, les horaires étaient compliquées. Ensuite, je suis retourné au Forvm pour dynamiser le lieu, les drinks, j’étais chef barman. Arrivé à 30 ans, je me suis demandé ce que j’avais vraiment envie de faire. C’est là que j’ai commencé à discuter avec Julien Escot, on avait un peu d’argent de côté et l’envie de monter notre propre projet.

Justement, comment peut-on décrire le bar où nous sommes, Baton Rouge à Pigalle ?

On a essayé de créer un bar pour que les gens se sentent bien en arrivant, encore mieux en repartant ! On veut que les gens soient bien accueillis, on met un point d’honneur donc à l’accueil, au sourire, ils doivent se sentir à l’aise. C’est un petit bar, 40 places seulement à l’assise donc il faut que ça soit cosy, sympathique, avec de la bonne lumière, de la bonne musique et de bons drinks !

Quelles personnes peux-tu citer comme références, qui t’ont aidé ou aiguillé à tes débuts ?

Xavier Laigle, il m’a fait entrer dans le monde du bar. Et Olivier Meurice qui, à coup de mandales dans la gueule si on peut dire (Rires) m’a instruit une vision du métier très carrée, scolaire, hiérarchique, paternelle. Il m’a énormément appris, influencé, c’était à la dure, à l’ancienne école, celle de la rigueur et du sérieux. Même si nous sommes dans un milieu festif, il faut que ça soit aussi borné, droit.

C’est intéressant comme paradoxe, malgré le côté festif du métier, faut-il être toujours stricte et rigoureux ?

Oui, il faut beaucoup de rigueur. Il faut donner une image festive mais derrière le bar, c’est de la rigueur avec des mesures, une façon de travailler, des mises en place.

Quel est ton premier souvenir de cocktail ?

Le tout premier cocktail que j’ai fait, c’était un Irish Coffee. C’était au Forvm, un samedi soir, le bar était rempli, le barman s’appelait Christophe Darmon et il se faisait ” satelliser la gueule ” comme on dit dans le jargon. Il avait des Irish Coffee à faire et je lui ai répondu, ” Si tu veux, je peux les faire “. C’est comme ça que j’ai mis un pied derrière le bar ! C’était l’excitation totale, de la salle au bar, j’étais content.

Quelles sont tes sources d’inspiration pour faire des cocktails ?

La cuisine. Je m’inspire d’émissions, je regarde Top Chef par exemple. C’est très scénarisée mais il y a des idées. Avant de recommencer à travailler de nuit, je cuisinais beaucoup à la maison d’où les quelques kilos en plus mais que j’ai perdus aujourd’hui (Rires). J’ai quand même fait une école hôtelière avec 3 ans de cuisine. Dans ma famille, mon père cuisinait beaucoup, ma mère cuisine très bien également. Mon grand frère cuisine énormément donc on se refile des tuyaux ! Pour l’anecdote, les travers de porc sur la carte de Baton Rouge, notre plat signature ici, on en a parlé tout l’été et on s’est lancé des défis en famille pour faire les meilleurs ! Mon frère est venu la semaine dernière et il m’a dit, “C’est bon, je ne peux pas me battre avec ça !” (Rires).

Je m’inspire d’émissions, je regarde Top Chef par exemple.

La cuisine, ce sont des accords qui existent, tout comme en pâtisserie. Tiens, si on réduit tel produit, on va obtenir ça, tiens, si on faisait un sirop avec de la cardamone plutôt qu’un sirop tout simple… Sinon, j’essaie de capter ce qui inspire les gens avec qui je travaille, j’ai deux barmen géniaux (ndlr : Chloé Serra qui a commencé sa carrière au Papa Doble, montée à Paris pour l’ouverture de Pasdeloup, ensuite recrutée à Baton Rouge & Germain Vieira, ex stagiaire et commis au Forvm, ex barman au Bristol) et un cuisinier Bengali donc je leur pose des questions !

Quel type de cocktails préfères-tu faire ?

Le cocktail qui fera plaisir à mon client ! On n’est pas là pour faire que du cocktail sec, que du cocktail fruité, que du cocktail acide ou avec des fruits frais, il faut s’adapter au client. Après, notre carte est imposante, 28 cocktails, deux fois plus que sur le marché, mais on sort souvent de la carte, on fait souvent des ” Open cocktails “, si le client est venu 3 ou 4 fois, il y a des chances qu’il ait goûté une dizaine de cocktails donc on fait autre chose.

Tu parles de carte ouverte, en quoi est-ce passionnant pour toi de n’avoir pas de recettes prédéfinies ?

Si nous sommes hors saison et que l’on a des fraises par exemple dans un cocktail, on n’est pas sûrs de vendre le cocktail. Alors que si l’on propose un cocktail à base de rhum, avec une pointe d’acidité, fruité, on peut partir selon la saison sur un Daïquiri à la fraise fraîche, basilic, simple mais adapté. On avait avec une carte libre à l’époque, des cocktails comme celui à base de champagne fruits rouges, le Royal Red, emblématiques d’Apicius. L’avantage, c’est que l’on pouvait tout travailler, on avait aussi accès à des produits de folie grâce à la cuisine. De l’huile de truffe par exemple…

Quel cocktail aimes-tu consommer ?

Ça dépend des jours, en ce moment, je ne bois pas grand chose à part du vin rouge ! (Rires). En fait, je ne sors pas beaucoup. Après, pour fêter un bon service après le boulot, on se boit un Gin Tonic ou une bière ! À la maison, avec ma femme, on aime bien s’ouvrir une bouteille de vin le dimanche devant un film… Enfin, un vin à plus de 13 degrés ! Mais s’il faut te citer un cocktail, disons que ça serait plutôt un long drink rafraîchissant, sinon je bois trop vite et j’en bois trop… (Rires).

Quelles sont les deux qualités et le défaut d’un bartender ?

Au bar, on est le miroir de notre clientèle.

La propreté, sur soi et derrière le bar. On est là pour vendre une image derrière un bar. Il faut soit être rasé de près – c’est un point de vue très personnel, je ne veux offusquer personne du métier car c’est vrai que c’est la mode de la barbe longue. Ça ne me dérange pas, d’ailleurs moi, j’ai une barbe de trois jours toute la semaine ! C’est juste qu’il faut que ça fasse propre. Être souriant aussi. Au bar, on est le miroir de notre clientèle. Si nous sourions au client, il sourira aussi ! C’est dur pendant le rush mais c’est toujours important d’avoir le mot juste, un petit ” Tout va bien “. Et puis toujours la rigueur, les recettes. Pour le défaut, je dirais qu’il faut être malin… (Sourire). Il y a plein de situations où il faut être malin… Plus malin que le client en tout cas !

Quel est le client idéal ?

Le client idéal pour moi, c’est le client qui vient une ou deux fois par semaine et qui a toujours quelque chose d’intéressant à dire. Une nouvelle anecdote, qui vient pour rencontrer le barman et à qui nous avons quelque chose à raconter. Le client qui vient, qui se pose au bar et qui nous regarde, ça n’a pas grand intérêt. Alors que celui qui vient, même une seule fois par mois et qui nous dit ” Ah il m’est arrivé ça… “, on peut discuter et on peut échanger, c’est ça le métier de barman !

Quelles sont tes bonnes adresses à Paris, New York et Londres ?

J’ai fait des sandwiches à l’actrice Audrey Tautou un après-midi !

Les amis à Paris, c’est le Syndicat Cocktail Club, j’aime bien leurs cocktails. Et puis Sullivan, il est adorable et je trouve que l’on est toujours bien accueillis (ndlr : Nous avons interviewé Sullivan Doh du Syndicat par ici). Sinon j’adore le Park Hyatt , cela fait des années que c’est notre bar préféré avec ma femme. Dès que l’on a un peu de temps, dès que l’on veut s’échapper de la tourmente parisienne, on va là-bas ! À New York, j’y suis retourné il y a deux ans en vacances, on est plutôt allés dans les restaurants alors je conseillerais Maison Première à Brooklyn, c’était très bon. À Londres, j’aime bien l’Artesian mais je n’ai bu que du champagne là-bas lors de son troisième titre de ” World Best Bar ” ! Et à Montpellier, j’aime évidemment le Papa Doble ! J’adore l’atmosphère, l’équipe et les drinks.

Quelle anecdote la plus inattendue pourrais-tu me raconter ?

Je crois que c’était de faire des sandwiches à l’actrice Audrey Tautou un après-midi ! (Rires). C’est arrivé. Elle était en promo pour le film Vénus Beauté (Institut), elle était venue au Forvm un samedi après-midi et elle n’avait pas déjeuné… Je m’étais proposé de lui faire des sandwiches, au début elle a refusé. Puis je lui ai répondu, ” Si je vous fait un sandwich, ça sera le meilleur que vous pourrez manger de votre vie “. Elle a accepté et elle l’a bien aimé ! C’était à la dinde fumée, avec de la salade, mayonnaise, moutarde. J’apprécie beaucoup cette actrice, c’était marrant et je n’avais que 15 ans, je venais de commencer à travailler ! Ici dans le 9ème, je croise surtout Mélanie Laurent mais elle n’est encore jamais venue dans le bar vu qu’elle est jeune maman depuis pas longtemps. Je compatis, je sais ce que c’est !

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTE. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.