Lancé dans l’Hexagone en 2020, le défi du mois de janvier sans alcool est de plus en plus suivi par les Français. Il faut dire que depuis quelques années, nombreux sont ceux qui cherchent à modérer leur consommation de boissons alcoolisées. Cette tendance baptisée NoLo – un surnom associant les notions d’abstinence (“no alcohol”) et de modération (“low alcohol by volume”) – gagne peu à peu du terrain dans l’Hexagone. Mais pour s’imposer, elle doit encore surmonter de nombreux obstacles.
Très populaire dans les pays anglo-saxons, le Dry January séduit de plus en plus de Français. Pour la première édition, en 2020, 8% des Français s’étaient fixés pour objectif de ne pas boire une goutte d’alcool pendant tout le mois de janvier. Un an plus tard, ils étaient 11% à vouloir se mettre à la diète. Il faut dire que les raisons de lever le pied sur sa consommation d’alcool sont tellement nombreuses et variées que tout le monde y trouve son compte. Il suffit de regarder les principaux motifs invoqués par les Français participant au défi de janvier : faire une cure détox après les fêtes, perdre du poids, tester sa dépendance à l’alcool, économiser de l’argent et mieux dormir.
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En parallèle du Dry January, on observe en France une popularité croissante des boissons peu ou pas alcoolisées à l’apéro. Pas étonnant quand on sait qu’en 20 ans, la consommation d’alcool a diminué de 30% dans le pays. Pour beaucoup, les jeunes sont la locomotive de cette tendance appelée NoLo. Le plus souvent, ils adhèrent à un mouvement baptisé “sober curious”, qui n’impose pas une sobriété totale, mais qui pousse à prendre conscience de sa relation à l’alcool. “On boit moins aujourd’hui, et c’est principalement grâce aux jeunes. Les moins de 35 ans consomment largement moins d’alcool que leurs aînés, on le constate dans les chiffres”, souligne Fathi Benni, cofondateur de la marque Le Petit Béret, pionnière du sans alcool en France. “Les jeunes font plus attention à leur corps en général, ils sont plus tournés vers le sport et les modes de vie sains. Ils sont plus regardants sur ce qu’ils consomment.”. Un constat partagé par Guillaume Vilain, cofondateur de la marque de cocktails prêts à boire sans alcool Ousia : “Il y a de plus en plus de gens qui boivent moins, voire plus du tout d’alcool, et qui le font de manière très décomplexée. Les jeunes consomment encore beaucoup d’alcool le week-end, mais ils boivent à moins d’occasion, et cherchent de plus en plus des alternatives à l’alcool quand ils sortent.”.
Une offre en sans alcool plus fournie mais peu accessible
Pendant longtemps, pour éviter l’alcool à l’apéro, on devait se rabattre sur des boissons du type Mister Cocktail ou Tourtel Twist. Il y a plus réjouissant… Face à une offre quasi inexistante, il n’était pas évident de trouver des alternatives sympas à l’alcool. Mais depuis quelques années, on assiste à un véritable boom sur cette catégorie de produits. “Ce marché est colossal, monstrueux, avec un taux de pénétration exceptionnel”, s’exclame Fathi Benni. “Pendant des années, c’était la dosette de café qui recrutait le plus de consommateurs dans la catégorie PGC-FLS (Produits de Grande Consommation-Frais Libre Service, ndlr), mais aujourd’hui elle a été détrônée par la bière sans alcool.”. Et cela se confirme dans les chiffres, comme le révèle une étude publiée en 2021 par l’International Wine & Spirit Research (IWSR). D’ici 2024, l’institut estime que la consommation de boissons NoLo devrait augmenter de 31%, alors qu’elles représentent aujourd’hui environ 3% du marché global de l’alcool.
Conscientes de la pauvreté de l’offre en boissons festives sans alcool, de nombreuses marques françaises se sont lancées sur le secteur ces dernières années. Dans le sillage du Petit Béret, qui a ouvert la voie il y a près de dix ans, on a vu émerger des marques comme JNPR ou Osco, spécialisées dans les spiritueux sans alcool, ainsi qu’Ousia et ses cocktails prêts à boire apparus en 2021. “Avant Ousia, j’avais lancé en 2017 la marque Gallimaté pour proposer des boissons énergisantes à base de maté. Et déjà à l’époque, on avait remarqué que les gens buvaient de moins en moins d’alcool, mais que l’offre ne répondait pas à la demande”, explique Guillaume Vilain. “Ça manquait de propositions dédiées aux gens qui ne voulaient pas consommer de boissons alcoolisées, mais qui recherchaient quand même ces saveurs que l’on retrouve dans l’alcool. On a donc cherché à créer des cocktails très peu sucrés qui se rapprochent le plus possible du goût de l’alcool, en misant sur une certaine amertume, une vraie complexité aromatique avec l’utilisation de plantes, de racines ou d’herbes.”.
Contrairement à un soda ou un jus de fruit, les boissons élaborées par Ousia se sirotent, se dégustent comme des cocktails alcoolisés. Leur complexité impose un temps de dégustation équivalent à celui des gens qui consomment de l’alcool, pour permettre à tout le monde de boire au même rythme.
Si l’on voit fleurir de nombreuses marques sur le secteur des boissons festives sans alcool, à commencer par celles des grands groupes comme Pernod Ricard, Bacardi ou Diageo, il leur reste un obstacle majeur à surmonter : celui de la distribution. “Quand tu sors dans les bars, c’est rare de trouver des offres sympas en sans alcool”, observe Baptiste Bochet, journaliste pour la Revue du vin de France et créateur des ateliers cocktails Colada. “Certains troquets commencent à proposer des bières sans alcool ou des mocktails corrects, mais ça s’arrête là en général. C’est difficile de trouver des choses ultra complexes en termes de saveurs…”.
Un constat partagé par Stella Bouquet, cofondatrice d’Ousia : “On observe une forme de consommation d’alcool par défaut, avec des gens qui prennent une pinte de bière parce que c’est bon, généreux et pas cher. S’il existait des offres de qualité au même prix en sans alcool, je suis persuadé que des gens iraient vers ces offres-là. Le plus gros obstacle ne se situe pas au niveau des consommateurs, mais plutôt des patrons de bars et de restaurants qui se contentent de proposer des sodas et des jus de fruit parce qu‘ils n‘ont pas envie de se prendre la tête”. Et c’est le même son de cloche dans le commerce, avec des boissons sans alcool qui restent largement cantonnées aux e-shops et aux magasins spécialisés, comme les cavistes et les épiceries fines. “Le sans alcool au supermarché, vous le trouvez tout en bas des rayons à prendre la poussière à côté des bouteilles de La Villageoise”, soupire Fathi Benni. “Et encore, vous trouverez seulement une ou deux références proposées par les géants du secteur. Si on ne met pas ces produits face au consommateur, il ne faut pas s’étonner qu’il ne change pas ses habitudes.”.
Le sans alcool permet de vrais moments de partage
L’autre grand obstacle à surmonter pour que la tendance NoLo s’impose un peu plus, c’est la pression sociale et culturelle qui existe en France autour de la consommation d’alcool. Qui n’a jamais eu à se justifier au moment de refuser un verre de vin ou une bière ? “L’alcool fait partie du quotidien de nombreux Français, donc ça va prendre du temps pour que les mentalités évoluent”, regrette Baptiste Bochet. “En France, on a beaucoup trop associé l’alcool au partage, à la convivialité. Si demain j’annonçais à mes potes que j’arrête de boire, ne serait-ce que le temps d’une soirée, ils me regarderaient avec de gros yeux et insisteraient pour que je prenne au moins un verre.”. Bienvenue au club !
Si l’alcool est souvent loué pour son côté fédérateur, il ne faut pas occulter le fait qu’il a tendance à exclure tous ceux qui s’abstiennent. Et ça en fait du monde ! Nombreux sont les publics à rechercher des boissons sans alcool à siroter en soirée ou accompagnées d’un bon repas. Une préoccupation qui est à l’origine de la création du Petit Béret : “Avec mon associé Dominique Laporte, qui est Meilleur Sommelier de France, on voulait que les gens qui ne boivent pas d’alcool se sentent intégrés, impliqués, qu’ils puissent eux aussi profiter de moments de partage et de convivialité”, raconte Fathi Benni, qui sait de quoi il parle car il est lui-même abstinent. “Mais surtout, on voulait offrir à ceux qui ne boivent pas d’alcool de vraies expériences gustatives. Quand on va dans un restaurant étoilé, c’est quand même triste de devoir se contenter d’une eau pétillante pour accompagner ses plats…”.
Malgré les difficultés, la tendance NoLo séduit de plus en plus de Français. Même s’ils sont rares à vouloir s’abstenir totalement, ils sont plus nombreux à prendre conscience de leur consommation, à éviter de boire de façon systématique. Et c’est une bonne nouvelle en termes de santé publique, car la consommation d’alcool fait partie des trois premières causes de mortalité évitable en France. “Je suis le premier à dire aux gens qui participent à mes ateliers que l’alcool est un poison“, précise Baptiste Bochet. “Ça fait bien longtemps qu’on sait que la consommation d’alcool n’apport aucun bienfait sur le long terme. En tant que partisan du boire moins mais boire mieux, je pense qu’on devrait se montrer plus raisonnables et plus responsables tout au long de l’année, et pas seulement en janvier pour le Dry January”.