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Breton : “L’acte le plus punk du monde est de sortir une chanson accessible”

Retrouvez notre interview de Roman Rappak, leader de Breton avant le live du groupe à La Villa Schweppes à Cannes ce dimanche 18 mai !

Villa Schweppes : comment vous sentez-vous avant votre concert à la Cigale ?

Roman Rappak : Bien ! Tout s’est passé hyper rapidement pour nous en France, et encore plus en Allemagne. En Angleterre c’était bizarre au début : je pense que ce que l’on proposait était pour un autre public. Ce que l’on fait ne marche pas forcément très bien dans un petit club, c’est mieux quand c’est sur une grande scène. En France on a fait les Transmusicales et la Route du Rock très tôt dans notre carrière et on avait l’impression d’apprendre beaucoup sur notre groupe pendant ces évenements. J’aime les petites scènes mais l’idée d’avoir des visuels, des sons, des moments qui sont complexes dans les variations de sonorités, je ne pense pas que ça fonctionne aussi bien que sur une grande scène. Quand j’écris quelque chose et que j’ai l’impression que ça marche c’est quand ça me transporte. Je ne pense pas que Breton soit low-fi. J’ai envie d’expérimenter différents moments dans le show !

Vous êtes un peu touche à tout…

Pour moi la musique ne se résume pas à jouer dans un groupe qui sonne comme The Strokes. C’est cool mais ma vision de la musique est plus mélangée et matinée de chansons plus aggressives : j’aime la musique accoustique, j’aime l’électro hyper robotique et mécanique, mais j’aime aussi la musique électronique cassée, humaine, et même l’éctronique comme une manière de délivrer des samples.

Comment avez-vous conçu l’album ?

Au début on a décidé de tirer les leçons du premier album. Ce qui est difficile c’est que quand tu écris quelque chose cela reste souvent dans le cadre de ce que tu as déjà écrit. Quand tu écoutes DJ Shadow, les samples sonnent super bien car ils sonnent comme sur le disque. Il a choisi ses samples et c’est le génie du hip hop : on sélectionne cette partie plutôt qu’une autre. La musique live c’est complètement différent : on a essayé de tourner pendant 1 an et demi avec des chansons qui étaient écrites de manière électronique, scientifique, précise. Tu es un peu comme un Dieu avec la musique électronique par ce que tu peux tout changer : tu peux mettre quelque chose dans une cathédrale, prendre 10 000 guitares etc mais sur scène tu n’as pas cette force. Ce soir on va jouer devant 1200 personnes à La Cigale et ils vont voir un concert qu’on n’a jamais joué. Les chansons de notre premier album ont commencé à sortir de leur cadre pour avoir une vie à elles et je suis tombé amoureux de ça.

Qu’est-ce que le second album syndrom ?

Les seconds albums sont réputés pour être difficiles à faire. C’est une pression ! La raison de ce syndrôme est qu’entre tes 18 et 25 ans vous passez votre temps à écrire et répéter 10 chansons puis quelqu’un arrive et vous permet de les enregistrer. C’est une énergie viscérale qui est livrée au moment d’appuyer sur le bouton ‘record’ : les histoires de chaque filles dont vous êtes tombé amoureux, de chaque rupture, de chaque ami disparu prématurément… Puis après on vous dit “ok vous avez 6 mois pour le second” ! Et c’est la que vous faites des trucs pas terribles. Notre approche a été d’écrire 40 chansons électro et de les amener à Berlin où nous avions loué un espace un peu comme un théâtre avec un genre de scène. L’accoustique y était très mauvaise donc dans ces conditions, dès que vous aviez une mélodie qui fonctionnait c’était incroyable. La salle mettait en danger la musique.

Avez-vous choisi votre prochain lieu de création/enregistrement?

Oui absolument. Les albums ça doit être étrange, tu dois t’échapper en les faisant : les gens vont au travail, c’est sérieux, la musique c’est tout le contraire. Pour moi, elle doit te permettre de t’échapper : quand j’étais petit je voulais habiter dans les albums. J’ai essayé d’écrire des trucs dans des salles normales comme un studio à Londres, mais ça sonne comme quelque chose d’écrit dans un studio normal…

Le son justement est propre, était-ce une volonté de faire quelque chose d’accessible?

C’est une de nos décisions les plus controversées ! L’ironie est que c’était pour nous l’acte le plus punk du monde que de sortir une chanson accessible… Le rôle d’un artiste est de surprendre les gens avec une idée ou un tournant. Les deux premières chansons de l’album sont choisies dans cette idée : la première chanson est pop, elle utilise l’accessibilité, la culture de masse, c’est un Andy Warhol move… Prends une image, un son connu de tous et fais-en autre chose. C’est comme Marcel Duchamp c’est pareil. Ils ont posé la question de ‘pourquoi je n’aurai pas le droit de faire ça ?‘.

Puis la seconde chanson est différente : j’aime l’idée que les teenagers puissent se dire, c’est complexe ce que fait ce groupe en plus ils sont nommés en référence à un Surréaliste, puis se disent qu’en fait non il font de la pop… De toute façon je n’ai pas le droit de dire ” On est comme ça ” ou ” Il faut que vous appréciez la musique comme ça “… C’est un comportement pré Napster ou Pré Soundcloud ! On n’a pas besoin d’écouter les albums dans un certain ordre on fait ce qu’on veut.

Le collectif vous inspire ?

Ce qui m’intéresse c’est la manière dont on crée les films. Je me souviens de ma deuxième année d’école d’art, il y avait tellement de métiers qui composent une production ! J’ai travaillé sur des films où les gens avaient des titres sans vraiment savoir ce que cela voulait dire. Un jour un de nos profs nous a confié un rôle à chacun puis nous a mis sur un set en pitchant chaque rôle : au moment où tout le monde se plaçait dans son rôle, il nous a demandé de nous figer puis a expliqué en live qui devait faire quoi et pourquoi c’était crucial : nous étions 30 personnes sur le set. Un travail collectif. Pour moi un film c’est le truc le plus collaboratif du monde : les films d’Hitchcock sont imaginés par un génie entouré de techniciens doués, ils ont tous peint un bout de sa Chapelle Sixtine ! Dans la musique électronique et le hip hop c’est pareil : Kanye West n’est pas un génie mais c’est un curateur brillant. C’est comme s’il créait une exposition : il sait ce qui va fonctionner ensemble. Editer/Sélectionner, c’est vraiment un acte de l’ère digitale : il y a 30 ans quand on prenait des photos on en avait 10 à faire, sans preview et elles avaient intérêt à être bonnes ! Aujourd’hui on peut faire 1000 photos en une journée donc on doit développer un nouveau savoir-faire, la sélection.

Est-ce que le rôle d’un artiste aujourd’hui c’est de décider de ce qu’il doit prendre dans tout ce qu’il y a ?

Absolument. C’est l’effet du monde digital : aujourd’hui les musiciens ont la liberté de faire 10 000 prises et d’enregistrer sans limite pendant des heures. Le truc le plus courageux qu’ils puissent faire c’est de choisir le morceau qui peut-être n’est pas parfait mais qu’il ont besoin de prendre. Cela me rappelle un moment terrifiant : un jour notre label Believe m’a appelé et il faut savoir qu’ils nous ont donné notre propre label pour créer donc une grande liberté : ils m’annoncent que l’album était dans le top 25 entre Beyoncé et Daft Punk… J’ai raccroché et je me suis dit : merde j’ai laissé plein d’erreurs ! Les deux albums en question sont chirurgicaux alors que dans War Room Stories on pouvait se dire que c’était une hyper bonne idée de choisir une prise batterie incluant le bruit émis par le tabouret d’Adam… Mais je suis content qu’il y ait des choses personnelles dans l’album.


Breton c’est de la Bedroom Music mais en mieux ?

Déjà merci pour le compliment. J’espère que Breton c’est un chemin, une aventure : je ne sais pas comment va sonner le prochain album ni même comment va sonner le concert de ce soir… Je ne sais pas ce qu’il va se passer avec le groupe même si on a envie de faire un troisième album. Je ne sais pas si on peut anticiper sur le fait de faire un album efficace ou non, je pense que vous pouvez juste faire un portrait honnête de qui vous vous êtes, de la musique que vous aimez, de ce que vous traversez.

L’histoire de Breton a commencé dans une chambre avec un PC portable un peu pourri et des logiciels volés… Selon moi la plus grande influence du groupe n’est pas musicale, c’est le fait que plus de 1000 personnes achètent un billet pour nous entendre jouer. J’ai vraiment l’impression que notre musique a été nourrie par les autres mais c’est un peu tabou de dire ça car le musicien doit dire de strucs comme ‘oh bah j’ai fait ça, ça vient de moi blablabla’. Moi j’adore que les gens aiment ce que l’on fait, pour moi c’est une validation et ça me montre que tout cela a du sens.

Qu’écoutez-vous en ce moment ?

Le groupe a écouté ƒIN l’album de John Talabot sorti en 2012 ces derniers trois mois mais aussi le producteur irlandais basé à Londres Max Cooper : on entend pas mal de démo car on est un label donc c’est cool. Pour le Breton Labs, on veut des choses qui soient hyper bien sélectionnées : le vrai virus démoniaque émis par internet ce n’est pas le vol de recette de cocktails molotov, c’est l’homogénéisation de la qualité, la génération d’un truc plat : avec la possibilité de multiplier les prises et de corriger tout, on peut créer mille fois le même morceau… qui se retrouve sur des blogs chiants à mourir. D’autres supports heureusement comme Pigeons and Planes sont géniaux car on a sûr de trouver des nouvelles choses.

Un Guilty Pleasure ?

Je n’en ai pas. Quand je n’aime pas quelque chose je n’ai pas l’énergie de le détester. Si j’aime quelque chose j’ai beaucoup d’énergie à mettre dedans, mais pour un truc moyen non. Je pense que quand quelque chose te fait honte c’est parce que tu as peur de ce que pensent les gens. Cela voudrait dire écouter la musique pour exprimer quelque chose de ta personnalité… Mais bon en même temps on fait tous ça : on porte un tee-shirt d’un groupe, on baisse la vitre de notre voiture et on monte le son de tel morceau car on veut que les gens entendent qu’on l’écoute.

Que pensez-vous du succès de Stromae ?

C’est super cool. Ça part beaucoup d’un truc particulier avec la France : les Anglais ne comprennent pas que les gens de 50 ans soient à des concerts à Londres car c’est un truc de kids ! C’est moins universel qu’en France : c’est un compliment pour la France ! C’est pareil avec l’intellectualité : ici même si tu n’as pas d’éducation ou d’argent tu peux parler de Baudelaire. A Londres, si tu arrives dans une conversation et balance un ‘Ah j’étais en train de lire Guerre et Paix‘, tout le monde se moque de toi !

C’est la même chose avec Stromae pour moi : il ne devrait pas exister et il prouve à quel point la France est un pays ouvert d’esprit. Et j’aime qu’il ait vendu plus que Daft Punk.

Où sortez-vous ?

A Berlin il y a des lieux cools : pendant l’enregistrement on y allait le samedi et on en ressortait le dimanche soir : Sisyphos un club dans une ancienne usine en banlieue de Berlin, et Zur Wilden Reneta dans le quartier de Charlottenburg, une maison dont chaque pièce a été modifiée, assez dingue. Et Berghain of course, c’est comme une ville !

A Paris on fait les DJ au Social Club et on va au Carmen, j’aime bien le look de cet endroit.


Pouvez-vous nous dire un truc que l’on ne sait pas sur Breton ?!

Dan (McIlvenny) a un talent très utile quand tu fais partie d’un groupe et j’en suis très jaloux… C’est peut-être le seul talent absolument nécessaire pour prétendre jouer dans un groupe… Il a la capacité à dormir partout, mais partout ! Il utilise son bras comme un masque c’est génial. Quand on est en transit ou dans l’attente d’aller dormir deux heures à l’hôtel, Dan a déjà commencé sa nuit sur le siège arrière. C’est un peu énervant, comme quand vous crevez de faim et que quelqu’un dévore un sandwich devant vous.

Breton sera rédacteur en chef invité de la Villa Schweppes du 21 au 23 mars 2014.

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