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Gin Sling : “Je suis le Jon Snow de la techno”

Depuis 2011, un type sort des tracks techno fantastiques sur quelques uns des plus beaux labels, et tout le monde s’en fout. Comme le bâtard de Game of Thrones, c’est l’outsider magnifique.

On était tombés assez tôt, par d’heureux hasards, sur le premier EP de Gin Sling, “Joy Ride”. À l’époque, les tracks nous avaient profondément marqué par leur aspect à la fois hypnotique et congelé. D’un côté, des basslines entêtantes, des sonorités de claquements de doigts qui sonnaient comme jouées par des squelettes, et de l’autre des leads bruyants, entêtants et psycho-actifs, renforcés par des cymbales diaboliques. C’était l’évidence : ce disque sorti sur Gigolo Records, le label de DJ Hell venait d’inventer le clubbing de l’enfer.

Sa seconde proposition, le 3 titres “Back Home At Night”, poussait le vice un peu plus loin : si le morceau titre suivait les lignes de “Joy Ride”, le second, “Mars”, ouvrait les portes d’un backroom sévère grace une rythmique très cuir, très moite, très… physique. Sorti sur le label Zone (The Hacker, Gesaffelstein), cet EP est passé complètement sous le nez des médias de l’époque. En même temps, ce n’est pas évident : “je n’ai pas d’identité sur la scène franco-parisienne puisque je ne vais jamais en club et ne fais pas de deejaying. Donc aucun réseau constitué malgré quelques rencontres. Question de génération aussi, ayant débuté tardivement alors que mes pairs dansent déjà le madison au Balajo”, explique l’intéressé.

Pourtant, une foule de gros DJ aiment ce disque : “J’ai eu de bons retours de Troy Pierce, Trevor Jackson, Hell, Mayer et Meyer, Clarke, More, Caretta, mais la presse, à de rares exceptions près, s’en tamponne le coquillard. J’habite à Paris mais je pourrais aussi bien gratter du varech aux Kerguelen. Si les gros bonnets trouvent leur compte dans ses productions, la presse est complètement à côté de la plaque, quel que soit le label qui l’héberge. D’autant plus étonnant que les structures qui ont aceuilli ses tracks sont très cotées dans le coeur des spécialistes. En vérité, Gin Sling n’est pas du genre grand calculateur carriériste : “Je vais là où il y a de la lumière. De fait je ne suis jamais très représentatif du “son” des labels qui m’ont hébergé. Ils ont d’autant plus de mérite. Je suis le Jon Snow de la techno”.

Musicien, pas ambianceur

Je serais plutôt le gars anxiogène qui, au lieu de danser, demanderait sans cesse au DJ les noms des morceaux qu’il vient de passer

Pas facile de se faire entendre dans la musique club quand on ne joue pas DJ. Encore une fois, il faut rappeler la différence en producteur et Disc Jockey : le premier crée la musique que le second passe en soirée. Gin Sling est du premier type. “Je n’ai jamais bien saisi la révérence excessive dont fait preuve le public à l’endroit de types qui ont, certes, le mérite d’avoir du goût dans leur sélection, une technique certaine, bref un talent d’ambianceur. Vieux faux débat de toute manière. Je serais plutôt le gars anxiogène qui, au lieu de danser, demanderait sans cesse au DJ les noms des morceaux qu’il vient de passer. En fait, je me suis vraiment amusé à passer des cds au Motel pour We Want 2 Wigoler samedi dernier. Bon je suppose que tu n’enchaînes pas Pavement à April March comme Model500 à Plasticman. Tout ça est très loin des Kerguelen”.

Sa production peut parfois sonner complètement numérique comme très old school, très analogique. “La dispute analogique vs digital ne ressemble plus à grand-chose une fois passé le filtre du 44Khz 16bits. On pilote une Harley pour finir le séant sur la Lightcycle de Tron. Mais je crois que ça rejoint la Retromania de Reynolds. Autant dire que j’utilise des softwares analogiques”. Son style, qui joue avec l’harmonie et les frontières de la dissonance vient tout droit de références finalement plutôt rock, ou en tout cas pré-club : “J’ai hérité de courants musicaux dont certains jouent aux marges de la tonalité : de Bauhaus à Nino Rota, en passant par les scores des prods de Quinn Martin et Irwin Allen, ou Sonic Youth, Bowie, DAF, Black Flag, les Seeds, Spacemen 3… ils sont en définitive les instruments dont je me sers. Ma musique en est l’écho lointain. Cependant je ne suis pas le porte-étendard d’une tradition ou d’une époque spécifique. La new-wave est simplement un marqueur temporel, c’est le moment de la révélation. Je crois que c’est XTC qui m’a déniaisé…”.

(No) Future?

Son nouvel EP, “Der Bronson” est sorti sur Days of Being Wild, s’ouvre sur la très alambiquée “Release The Hats”, avant de montrer les muscles sur le surpuissant “Dwarf Star” puis de conclure sur le groove hypnotique du morceau éponyme. Le tout dégage quelque chose de très dérangeant, à la fois club et trop malsain pour être totalement festif. Derrière la musique de danse se cache des camions de crasses, de vices et d’émotions contrariées qui mêlent un caractère romantique à l’âpreté des morceaux. C’est cette part d’humanité sale, dans la machine techno, qui rend ses morceaux si frappants.

Avec cet EP, Gin Sling est sûrement encore parti pour intéresser trois heureux chanceux qui seront tombés dessus à la faveur hasardeuse d’un renouvellement de playlist mais ravira aussi quelques-uns des meilleurs DJ du monde. Mais souhaitons lui de meilleurs horizons.