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Pone : du bon camarade au producteur ambitieux

Eternel collaborateur d’entités aussi diverses que les Svinkels, Fabe ou le chanteur de Stuck in the Sound, (DJ) Pone se lance aujourd’hui dans son premier véritable album solo.

Ceux qui suivent régulièrement l’actualité musicale le savent : il arrive parfois que des artistes dont le nom est installé de longue date sortent un disque dont on apprend en tombant de l’armoire que ce n’est que leur premier album. Généralement, il s’agit d’éternels collaborateurs ou de DJ salués en tant que tels, passant sur le tard à la prod. Il se trouve justement qu’on peut classer Pone dans ces deux catégories : s’il s’est trouvé allié à entités aussi diverses que les Svinkels, la Scred Connexion de Fabe, TTC ou le chanteur de Stuck in the Sound dans Sarh, le garçon est d’abord rentré dans la légende en remportant plusieurs DMC, le grand prix de turntablism international.

Alors quand, aujourd’hui, celui-ci débarque avec un nouvel album, difficile d’anticiper à quelle sauce on va être mangé. Album de DJ ? De rap alternatif baigné au vin rouge, façon Gerard Baste ? De beatmaker musclé, comme le laissait entendre son dernier maxi sur Ed Banger ? Rien de tout ça : le disque est une collection de morceaux de pop électronique tendre et rêveuse.

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“En même temps, quand tu ré-écoutes le projet Sarh, que j’ai fait avec José Réis Fontao, c’est pas si lointain”, lâche-t-il lorsqu’on lui fait la remarque, comme s’il s’agissait d’une évidence. Pourtant, son parcours complexe n’aide en rien à baliser la piste.

Celui-ci s’explique tout d’abord par son métier : avant d’être producteur, Pone est DJ : “Au départ, mon truc, c’était les compétitions. Ensuite, ça m’est passé, j’ai préféré être DJ de groupes. Le plaisir, c’est que je n’étais pas uniquement rattaché à une seule entité. Au niveau des tournées, je pouvais switcher. Les choses on toujours été présentées comme ça : “Triptik et DJ Pone” ou “Svinkels et DJ Pone”.”

Une carrière dans les interstices ?

Pone avoue avoir une sensibilité large en musique. Il confesse d’ailleurs avoir été parfois plus motivé par l’humain que par la proposition artistique. “Quand Matmatah me demande des scratchs pour leur album, tu crois que j’allais répondre “ben non, j’aime pas la musique de bretons” ? Les mecs avaient invité les Svinkels sur toute une tournée, on avait passé pas mal de moments ensemble !”.

Une philosophie qui va temporiser sa prise de responsabilité en solo : à sauter de projet en projet, le garçon va vivre l’ivresse des tournées en support de MCs. Pourtant, à aucun moment le DJ ne s’est senti mercenaire : “j’ai toujours été très impliqué. Sur le show ou la set-list, j’étais toujours partie prenante, comme un membre du groupe”. Un peu plus tard, il monte son premier vrai groupe Birdy Nam Nam, mais les ambitions sont trop divergentes : l’expérience se conclut pour lui par une rupture franche et sèche.

S’il y a un moment pourtant où il prend les choses en main, c’est au début des années 2010, en s’associant pleinement avec le chanteur de Stuck In The Sound. Ensemble, ils montent Sarh. DJ Pone se dissout cette fois-ci pleinement dans cette entité, et prend en main l’essentiel de la composition. Doux, “chill” diront certains, mélodique et atmosphérique, le projet porte en lui les bases de Radiant, l’album qu’il sort aujourd’hui. Des nappes de synthétiseurs, des élans épiques, du romantisme : tout est là, ne manque plus alors pour Pone que le fait de réaffirmer son nom et de se mettre seul à la barre.

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Radiant : solo, mais bien accompagné

C’est ce qu’il fera en se lançant sur la composition de Radiant. Si cette fois-ci, il est seul à l’affiche, il s’est pourtant entouré de collaborateurs notables, avec Boogie Vice et surtout Superpoze derrière la console. Avec ce dernier, l’entente s’est avérée assez fusionnelle. “On aurait pu appeler le disque “SuperPone” : on a formé tout les deux une bonne combinaison, entre des rythmiques dures et sa façon d’adoucir le propos”. Au point d’avouer que c’est la première fois qu’il fait un disque “sans douleur”.

L’intervention du jeune homme garantissait aussi à cet “ancien” une certaine pertinence, la certitude d’être dans son époque. Mais aussi de ne pas se perdre dans les écueils du confort. “J’aime l’idée d’avoir travaillé avec quelqu’un de plus jeune. J’aurais pu me tourner vers des gros producteurs que je connais. Ça aurait été la facilité. À l’époque, Superpoze n’avait pas sorti son album. Je trouvais ça intéressant de me confronter à un gars qui avait 22 ans au moment où on a commencé à travailler”.

On aurait pu appeler le disque “SuperPone”

C’est ce choc générationnel entre un des fers de lance du revival trip-hop et un turntablist vétéran qui donnera à ce premier album tout son intérêt. La violence de Pone, qu’on avait pu entendre à l’occasion du maxi Erratic Impulses sur Ed Banger, est ici contrebalancée par le goût de la modération du jeune Normand.

Pour élaborer ses morceaux et surtout leur son, le brief tournait autour de diques mythiques. “J’avais 5 albums de référence : Nightclubbing de Grace Jones, Shake Your Head des Beastie Boys, Amnesiac de Radiohead, Portishead et Escape from New York de John Carpenter. Les distos, les gros beats des Beastie Boys aussi”. Que des disques d’orfèvres, et c’est justement ce type de travail qu’a apporté Boogie Vice, arrangeur et ingé sur le mixage du disque.

Tout le processus créatif reste ainsi marqué par des rencontre avec des gens plus jeunes : en qualité de vocaliste, il invite Louisahhh!!! ou Saje, pour achever un casting de renouveau et expurger son passé d’un disque dans lequel Gerard Bastes et consorts n’avaient naturellement pas leur place.

Pone adoucit le ton pour Radiant

Pone adoucit le ton pour Radiant

La nécessite d’une douceur

De tout ceci ressort un disque doux, mélodique, électronique mais loin d’être club : Pone place son disque au milieu d’un peloton de juniors oscillant entre future beat affichée et trip-hop plus ou moins assumé. À bientôt 40 ans, il est finalement bien plus proche de cette génération d’artistes qui ne savent pas où se mettre une fois passé minuit que de ses contemporains qui continu d’enchaîner les dates en club. “Je n’ai plus l’âge pour ce truc du club, je préfère faire des teufs chez mes potes ou dans des restos que d’aller courir les soirées aujourd’hui”.

“Il y a toute une école actuellement avec les Fakear, et même les Kaytranada etc… qui n’est pas de la musique de club. Des choses un peu mentales mais qui marchent. Je crois que ça répond à une attente sociale, une volonté de recevoir de la douceur de la part du public.”

Surtout, il évite ainsi de créer un disque “vulgoss”, à la frappe incongrue et trop facilement datable. “Je ne voulais pas que le disque s’use trop vite. Je pense que c’est justement un disque qui va prendre son temps”et, pense-t-il, nécessitera la tournée pour prendre toute son ampleur. Une tournée jouée live, avec des musiciens, loin du live laptop-écran géants de nombre de ses pairs.

“J’arrive avec un album surprenant, et j’ai pas envie de me retrouver sur scène seul avec Ableton. Je voulais revenir à un truc vrai. Le propos va prendre toute son ampleur avec les lives”. Les premiers lives, donnés avant la sortie de l’album, ils les attendaient avec impatience : l’idée était de se confronter à un public vierge de tout préconçu. Car avec Radiant, le Pone d’aujourd’hui n’a pas peur de surprendre les fans du DJ Pone d’hier et veut “entamer la suite de son propre chemin”.