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Lana Del Rey, l’éPOPée

Égérie sans Pygmalion sur “Born To Die”, Lana Del Rey n’était qu’à un demi Black Keys de la clé du succès. “Ultraviolence” est son deuxième album qui sort ce lundi 16 juin, mais sonne comme le vrai premier.

La pop moderne et ses vagues successives ont amené avec elles leur lot de Castafiores. Des casse-pieds (Florence), des casse-têtes (St Vincent) ou des cassées. Lana appartient à cette dernière caste. La moue boudeuse – comme dessinée chirurgicalement – de la pop moderne, traine ses humeurs de pierre tombale depuis “Video Games”, premier hit qui la cracha sur un piédestal trop haut, trop vite pour ne pas succomber à ses vertiges sans même savourer l’ivresse de ses hauteurs. En quelques semaines, Lana doit enfiler un costume d’icône trop grand pour elle et pond (littéralement) un album au nom cruellement prémonitoire : Born To Die. La petite chose se voit assommée dans l’oeuf par ses ambitions et a des yeux plus gros que le ventre pour assumer tous les râteliers qu’elle cherche à gober. Seuls “Video Games” et “Summertime Sadness” s’extirpent d’un album où Lana erre comme une âme en peine entre douleur cosmétique et bluettes trop lourdes pour la laisser s’élever vers son rang d’icône. Le revers est sévère, le succès est intimidant, le premier carton trop rapide, le moindre faux-pas occasionne des torrents de boue, la tournée l’épuise, cette frêle enfant ne parvient plus à écrire, elle annonce sa retraite et déclare “vouloir se consacrer au cinéma“. La période est stérile, elle s’isole sans parvenir à écrire, une réclusion qui sera la sève de ce nouvel album.

 

La clé du succès : un demi Black Keys

Tout ça ne dit pas comment Lana Del Rey va se libérer de sa torpeur créative. La scène se déroule lors d’un hiver californien, plus précisément Los Angeles où lors d’une fête Lana croise Dan Auerbach, moitié des Black Keys. L’alchimie est parait-il évidente, le duo s’essaye, quelques semaines plus tard, Auerbach produit Ultraviolence. À en croire l’écoute de ce deuxième album, il ne manquait à Lana – autrefois icône fabriquée, égérie sans Pygmalion, étoile isolée et falote – qu’un demi Black Keys pour marcher sans claudiquer. Auerbach produit comme le DangerMouse de l’époque de Brothers, gorgé, riche et fini au rouge à lèvres, à s’en demander pourquoi laisser DangerMouse non-produire leur dernier album quand il est capable de sommets pareils. En somme, le duo s’entre-influence, l’un excitant une certaine fraicheur chez l’autre. En résulte cette production luxuriante, duveteuse et confortable fourrure pour emmitoufler une Lana chantant la solitude. Sur Ultraviolence, elle est hantée par les absents, intimes ou influenceurs comme les Eagles, Joni Mitchell, Elliot Smith au sein d’un bal des fantômes où pèse une étrange gravité, faite autant d’atmosphère lourde, de nonchalance que d’accablement. Aujourd’hui, Lizzy Grant est plus en adéquation avec Lana Del Rey, l’une se fond dans l’autre, le personnage se fait de moins en moins de composition. La mise en scène est très justement poussée et le sens du drame ne se pose plus comme une friture sur chaque titre mais fleurit à la surface de chacun. Elle qui cherchait l’icône sans trouver le statut, dessine aujourd’hui un maillon entre Nancy Sinatra et une Disney Princess que personne n’embrasse pour la libérer du sortilège.

 

Si Ultraviolence souffrira d’un ventre mou, au milieu de l’album, lorsque l’intensité dramatique s’épuise dans une tapisserie sentimentalo-gémiarde, cette traversée des sixties du sonnant jusqu’au trébuchant, retrouve ce son du désenchantement provoqué par la guerre du Vietnam et parvient à déboucher un bon millésime sans sombrer dans l’anachronique. Finalement, ce deuxième album se pose à l’opposé du premier, Lana Del Rey s’échappe de la compilation de singles pour construire un album fait d’un seul marbre où chaque titre pourrait être un single.