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15 minutes, photo comprise, avec Saint Vincent

Saint Vincent, qui sort aujourd’hui son quatrième album, était de passage la semaine dernière dans la capitale. L’occasion de partir à la rencontre d’une artiste…inexplicable.

On ne devrait jamais interviewer les gens qu’on admire.

Est ce qu’on dégage à ce moment là quelque chose de foncièrement embarrassant qui met l’artiste en face de vous mal à l’aise ?

Est on à chaque fois déçu car l’être humain en face de nous ne pourra jamais être à la hauteur du piedestal sur lequel nous l’avions précédemment mis ?

Ou bien peut il s’avérer être finalement quelqu’un de peu engageant ?

Pour Saint Vincent, je dois avouer ne pas avoir eu la bonne réponse.

Ni les bonnes questions, d’ailleurs.

Première sur la liste des journalistes invités à interviewer le joyau indie de ces dernières années (son dernier album obtient un 8,6 sur Pitchfork, score plus qu’honorable), la rencontre a néanmoins laissé un souvenir…bizarre.

La jeune femme est sculpturale. Arrivée scrupuleusement à l’heure dans le hall de l’hotel Josephine, Annie Clark frappe de suite par sa beauté diaphane. Sa nouvelle coupe de cheveux, d’un gris vaporeux, lui va étrangement bien. Un peu de blush sur ses pommettes, la musicienne de 32 ans ne semble pas touchée par la fatigue de tournée. Identique à l’image que je pouvais m’en faire.

Sauf sur un point.

St Vincent dégage une énergie un peu étrange, une froideur que nous mettrons, le photographe Maxime Chanet et moi, sur le compte de l’heure de l’interview et du fait qu’elle vient juste d’atterrir en France. Une reflexion sensée nous rassurer.

Nous aurons 15 minutes, photo comprise.

Maxime s’en sortira beaucoup mieux que moi sur ce coup-là.

Chaque question que je pose ne suscite pas un soupir, mais une longue pause. Je n’arriverai jamais à avoir plus d’une ou deux phrases comme réponse. Mais du silence, beaucoup de silence. Rien de négatif. Plus un survol total, et un manque d’envie flagrant de répondre à mes questions.

Peut-être que Saint Vincent considère que son opus parle de lui-même, et elle a surement raison. La jeune femme a imaginé pour cet album éponyme une oeuvre artistique complète “ qui a les vibrations de l’être humain mais qui sonne comme une machine “. Les visuels sont superbes (rien que la pochette donne envie de se pencher dessus) et les nombreux morceaux ne donnent à aucun moment sentiment de déjà vu. Des instruments électroniques s’invitent de partout, et la musicienne joue sur toutes les harmonies possibles et inimaginables. ” Sonner comme moi-même et comme personne d’autre ” nous confiera t-elle dans un sourire à peine esquissé (j’en ai noté quatre, pendant mon entrevue).

Une vraie différence artistique qui se confirmera le jour même en live à la Cigale. Saint Vincent est une perfectionniste, son show est plus rôdé que celui de n’importe quel artiste mainstream. La jeune femme exécute des chorégraphies avec sa claviériste sans se jeter un seul regard, tout est calculé au millimètre et ses solos de guitare -instrument dont elle joue depuis ses 12 ans- mettrait n’importe quel Hair Metalleux à l’amende. Annie Clark (de son vrai nom) est sacrément douée. Voire même un peu trop.

Et la chose nous apparaît tout à coup. Saint Vincent ne veut rien laisser au hasard. Et elle ne se laissera pas porter par cette interview qui n’a aucun moyen de se transformer en une conversation légère. La pression qu’elle s’inflige se distille dans l’air et s’impose. Tout est calculé. Elle dessine depuis plusieurs années une carrière exigeante et une musique qui ne parlera surement pas à tous, mais qui a le mérite de ne ressembler à aucune autre. Le trône sur lequel elle siège sur ce quatrième album est un trône qu’elle s’est elle-même construit.

Au bout de 10 minutes, je m’incline. Je n’arriverai pas à mes fins, et je trébuche dans mon anglais qui semble aujourd’hui avoir fait ses valises. Il restera cinq minutes à Maxime pour faire ses clichés, qu’elle surveillera de près pour être sure de ne pas afficher son mauvais profil.

Après un dernier sourire sans dents et un regard vague, on laissera la place à un autre journaliste qui essuiera surement lui aussi les plâtres. On reste quelques minutes devant l’hôtel, un peu sonnés. En positif comme en négatif, Saint Vincent dégage une aura magnétique, qui attire autant qu’elle repousse. Une aura électrique à couper le souffle, comme cet opus.

St Vincent, disponible depuis le 24 février 2014 dans tous les bacs

Le site de St Vincent

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