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Hamza est le nouveau Casanova dont le rap a besoin

Dans le paysage contemporain du rap francophone, H24 est certainement l’une des mixtapes qui aura fait le plus de bruit ces dernières années. 24 titres et autant de hits qui ont apporté une certitude dans le rap francophone : il faudra désormais compter avec le jeune rappeur belge.

Lorsqu’on l’avait rencontré, l’année dernière, le minot de Bobox nous expliquait que pour figurer sur la carte, il lui faudrait charbonner. Depuis, on a assisté à l’arrivée en grandes pompes de Damso chez 92i, avec son premier album, Batterie Faible. Avec les deux rappeurs bruxellois, on assiste certainement à la naissance -à échelle internationale- d’une scène rap belge digne de ce nom. Plus nichés, on retrouve des noms comme Caballero, Jones Cruipy ou Gil Hil et avec eux, des mouvements porteur d’une créativité qui va intéresser ailleurs qu’en France ou en Belgique.

“T’as affaire avec le plus vrai du Continent”

Depuis notre première rencontre avec le SauceGod, Zombie Life, dont il nous parlait à l’époque, est arrivé. Dessus, de nombreuses collaborations : Joke, B la B, Damso. Sur 20 morceaux, seulement trois invités -sur un total de 20 tracks. Au niveau des productions, c’est du pareil au même ; mis à part ses proches collaborateurs (Myth Syzer, Ponko etc…), Hamza compose seul. L’album a certainement installé un succès d’estime rarement aussi remarqué dans le rap francophone.

“Lever du Soleil” s’exporte même jusqu’aux Etats-Unis. En juin dernier, Pitchfork consacrait un papier entier à ce premier single. Avant cela même, c’était Virgil Abloh qui le mettait à l’honneur en soirée. Le fondateur de la marque Off-White, bras droit de Kanye West et collègue de Guillaume Berg derrière le Serato est connu pour ses goûts avant gardistes. “La Sauce” a beaucoup tourné en club et est rapidement devenu un no-brainer pour tout amateur de rap contemporain – au passage, OKLM, la radio lancée par Booba et Ben-J emprunte le titre pour son émission phare. La portée de la musique d’Hamza va même s’étendre encore. Sur sa radio Apple Music, Drake consacre le jeune talent et diffuse à deux reprises ses morceaux dans ses célèbres OVO Sounds Radio, un événement pour tout rappeur francophone, très simplement.. Dans le même temps, Hamza performe aux Francofolies de Montréal. Tout cela, à peine un an après H24. “C’est là que je me suis trouvé musicalement”, nous expliquait-il dans le Piège, son studio bruxellois.

“J’ai été beaucoup sollicité, et comme à chaque fois, quand je m’y retrouve musicalement, je suis partant pour une collaboration.” Ainsi, le jeune prodige collaborera rapidement avec certains des plus grands noms français : Alkpote, Nekfeu, Seth Gueko et Joke, pour ne citer qu’eux. En dehors de l’hexagone, la vibe druggy et emplie de luxure du rappeur plait énormément : son compatriote Damso nous révélait apprécier le délire du jeunot, et de l’autre côté de l’Atlantique, Ramriddlz et B la B ont voulu s’essayer à la collaboration. Ce n’est pas un hasard si un artiste belge apprécie tant les scènes de Toronto et d’Atlanta. Apparemment, les locaux le lui rendent bien. D’ailleurs, c’est Brodinski qui est à l’origine du featuring avec B la B. Le boss de Bromance Records a fait le lien entre le H et le jeune artiste signé sur 1017 / 300 Entertainment (label de Young Thug, ndlr). “Il bosse beaucoup avec ces mecs là. Il a fait écouter le morceau à B la B, qui a apprécié et à voulu enregistrer un morceau directement, ça s’est fait très simplement”.

Hamza

Hamza

Le H peut paraître frigide aux premiers abords. L’artiste est peu bavard en interview, il se contente de répondre aux questions qui lui sont posées, sans trop d’artifice, ni de précisions qui peuvent lui paraître inutiles. Ses lunettes soigneusement posées sur le nez accentuent encore le sentiment d’avoir affaire à un personnage. Hamza acquiesce souvent, précise lorsque c’est nécessaire, où lorsqu’on fait fausse route. “Dès qu’il y a de l’intérêt, tu connais les gens : ils sont là. Avant tout ça, avec les filles, on essayait, on y arrivait pas. Mais aujourd’hui, tout est plus facile”. S’il est si lucide, c’est aussi qu’il est bien entouré. Son équipe n’a pas changé avec l’arrivée d’enjeux toujours plus gros. Si Killogrammes Gang vit uniquement via Hamza aujourd’hui, c’est -aussi cliché que cela puisse paraitre- que le jeune homme n’a pas tellement changé depuis 2013.

C’est avec H24 que je me suis trouvé musicalement

Artistiquement, il l’avoue volontiers, le changement est drastique. D’un point de vue plus personnel, et dans les thèmes qu’il aborde, rien n’a réellement bougé. Une constance que l’on note facilement en écoutant ses premiers morceaux. Dans “Lalala” , sorti en 2012 avec son collectif (constitué de Triton, MK et Hamza à l’époque), le H montre déjà les mêmes techniques qu’aujourd’hui. Sa mélodie conduit le morceau, le vocoder et le très galvaudé “egotrip” sont présents. Deux nuances notables : le tempo des compositions en premier lieu. Sur une production épileptique, il débitait : “J’vois la vie en vert sa mère, gros sdeh, j’suis posé / à cause d’la qualité d’ma beu-her tous les keufs veulent m’coffrer”. Un thème explicite qu’on retrouve sur bon nombre de morceaux du bruxellois, comme sur “High” : “Baby j’ai quitté la school, jeune rebeu, j’étais amoureux de la mula / Et quand tu shakes, ça fait boom. Elle veut juste rouler avec le plus cool.”

Une phase qui nous amène directement au second thème de prédilection d’Hamza, loin devant n’importe quel autre sujet : les femmes.

Dans la descendance des plus grands

Quand il parle d’elles, la bravade est forte et le verbe haut. Les influences artistiques sont évidentes et Hamza a à sa propre confidence baigné dans Get Rich Or Die Tryin’ toute sa jeunesse. Ainsi, on retrouve des figures de styles et des éléments de langages empruntés – attention, nouveau terme surutilisé après ce court aparté – au “gangsta rap” américain. “J’ai pas l’temps d’te faire des compliments, t’as affaire avec le plus vrai du Continent. […] j’vais assurer, baby, j’t’en fais la promesse, viens t’amuser, baby, ramène tes collègues” fredonne-t-il sur “La Clef”. Hamza n’avait qu’une dizaine d’année quand le premier album de 50 Cent, et il porte une estime particulière pour cet album. Ces codes, à la base seulement présents dans le rap le plus percutant de la fin des années 90 et au début des années 2000, on les retrouve aujourd’hui partout, jusqu’à la scène r’n’b, auparavant presque hermétique à un tel langage. Car effectivement, Hamza n’est pas juste un rappeur ou un chanteur. Son statut d’artiste, il le revendique : “j’ai le sentiment d’être un artiste. Je ne me considère pas simplement comme un rappeur. J’aime beaucoup essayer, prendre des risques”.

Musicalement, on retrouve des reliques d’un r’n’b (pas si) ancien chez Hamza : le rapport au sexe opposé, l’impersonnalité de ce dernier et le désir exprimé là sont autant de marqueurs d’un genre ancré dans la fin du siècle dernier. Seulement, H est un artiste contemporain, assurément. Sur son EP New Casanova, les 5 titres explicitent encore plus ce côté. En bon puriste musical, sait jongler avec les casquettes, les appellations et les musicalités. New Casanova est d’ailleurs un concentré de dancehall et de cloud rap, teinté ostentatoirement de rythmes empruntés à Drake, PartyNextDoor ou Roy Wood$, pour ne citer qu’eux. “Cet été, j’ai beaucoup écouté les sons de ces gens là. Il y a là dedans une musicalité qu’on retrouve peu ailleurs. J’ai d’abord lâché “Ghetto” et “One One”, et après, je me suis dit pourquoi pas… C’est comme ça qu’est né cet EP.”

J’ai encore besoin d’une liberté créative totale

La prise de risque peut paraître minime, puisque le tout fonctionne. Dans l’EP, on compte en plus des deux morceaux déjà sortis, trois inédits. On sent la volonté assumée de tout casser dans le club lorsque ces sons s’afficheront sur Serato. “Eldorado” est peut-être l’hymne de New Casanova. Un instrumental terriblement simple et une mélodie entêtante. En 30 secondes, le chanteur belge nous montre son univers et expose tous les thèmes qu’il aborde dans sa musique : les critiques, l’argent, les femmes. “Un tas de rageux mais on vit avec, tout le temps monnaie qui appelle, fuck celui qui vit avec toi / Depuis l’temps que j’t’attendais, baby file avec moi / T’emballe pas j’veux juste partager mon spliff avec toi / Dans son pussy, glisse comme au ski alpin / je sais ce que tu kiffes, j’t’apprécie enfin, en particulier ton poom poom…”. Dans ce morceau, paradoxalement, le refrain n’est pas forcément ce que l’on retient le plus. C’est peut-être ce qui fait la particularité d’Hamza : sa technique et son écriture viennent sublimer ses mélodies, là où d’autres se reposent seulement sur l’un ou l’autre de ces atouts. L’une des nombreuses façon de définir le r’n’b moderne.

Indépendant, “pour le moment”

Bien que ce r’n’b soit retranscrit assez largement dans la pop et les dérivés actuels de la soul, on a du mal à sentir cette ambiance aussi fortement que dans la musique d’Hamza. Lui qui produit ses morceaux “à 80% ou 90% tout seul” comprend les enjeux d’un contrôle artistique total. C’est d’ailleurs ce qui le motive “pour le moment” à rester indépendant. “Pour l’instant, je n’ai pas besoin de maison de disque. Avec mon équipe, ça marche bien comme ça. C’est pas encore le moment et je m’y retrouve pas.” Même si, il le concède, rejoindre une maison de disque n’est pas proscrit : “Je suis encore en plein développement et j’ai besoin d’une liberté créative totale. On verra ça plus tard.”

Hamza

Hamza

On est en 2016, un artiste émergent, ou encore relativement inconnu ne peut plus se permettre de simplement livrer un track catchy ou un featuring de poids. Pour exister sur le paysage médiatique, notamment sur les réseaux sociaux, il faut être visuellement attrayant. Le duo PNL l’a compris en 2015, lorsque leur règne commençait. Hamza, lui aussi a vu cette évidence, et s’entoure de créatifs de tout bord pour donner naissance à ses vidéos. On peut par exemple nommer Frank Lucasz, Nico Bellaggio, Nabil El Hajjouti, ou encore Rock Well pour créer ce qui visuellement devient la vitrine du son d’Hamza. Un reflet qui reprend là encore les codes d’un genre dans lequel a été bercé le rappeur, né en 1994. Il y ajoute même un storytelling fin et exéprimente beaucoup. On le voit dans le clip de “Slowdown”, sur “High” d’Ikaz Boi et Myth Syzer, ou encore sur l’excellent “No limit” avec Alkpote.

Le H s’inscrit dans une mouvance avant-gardiste et semble très peu calculer ce qu’il fera ensuite. “Tout marche au feeling, si [avec mon équipe] on pense tous que c’est cool, on le fait.” L’inverse est aussi vérifié. Il révèle avoir refusé plusieurs sollicitations d’artistes français, sans jamais nous donner de nom.

Très courtisé, on sait d’ores et déjà que de nombreuses collaborations arrivent rapidement. La Belgique, la France, et les big players du nouveau continent sont d’ores et déjà conquis. Pourtant, le plus dur est à venir. Hamza doit encore convaincre un public plus large. Actuellement en tournée en France, Hamza sera de passage avec celui que l’on peut considérer comme son alter ego canadien, Ramriddlz à la Bellevilloise le 18 novembre prochain, pour un concert événement.

D’ailleurs, et en un peu plus d’un an, Hamza aura parcouru les salles sur plusieurs continents. De Berlin à Montréal en passant par Lyon, Marseille, Paris ou Bruxelles, le rappeur belge exporte une francophonie salace qui parle à une grande tranche de “la jeunesse”. De H24 à New Casanova, l’évolution est palpable et ses performances scéniques, franchement remarquables. La suite ? “Je veux prendre les choses une par une. Je ne veux surtout pas me précipiter”.