A 25 ans, Thomas Azier s’est déjà fait remarquer en produisant quelques tracks pour Stromae et en faisant la première partie de Woodkid l’année dernière.
Ce jeune Hollandais installé à Berlin, est le concepteur d’une pop solitaire et sombre mais qui possède de multiples reflets, à l’image d’un pétrole noir. Son premier album sortira au début de l’année prochaine, et comportera quelques pépites, comme “Red Eyes” ou “Angelene”, déjà sortis sur de précédents EPs. Actuellement en tournée, nous lui avons posé nos questions entre deux avions. Rencontre.
Villa Schweppes : Vous avez commencé à faire de la musique très tôt.
Thomas Azier : J’ai débuté le piano à cinq ans, mais c’est à partir de 17 ans que j’ai vraiment commencé à en faire sérieusement.
Qu’est-ce qui vous a donné envie ? J’ai lu que vous aviez grandi dans une toute petite ville hollandaise…
TA : Il n’y avait pas grand chose à faire là-bas. Mes parents vivaient dans cette bulle qui ne me convenait pas vraiment. Tout ce que je pouvais faire c’était de la musique, jouer du piano… Internet venait juste de débarquer, et j’ai commencé à télécharger. Je suis tombé sur un album de Wu Tang, et c’était tellement bizarre. Comme écouter le truc le plus futuriste de tous les temps. C’est à partir de là que j’ai élargi mes horizons musicaux.
Quel a été votre premier crush musical ?
TA : C’est certainement le live de Donnie Hathaway. Un ami à moi m’a fait découvrir son live à New York, c’est tellement intense. Et puis Kraftwerk, évidemment, dont le son est toujours d’actualité alors qu’il a été imaginé il y a des années !
Vous avez commencé une trilogie avec la sortie de vos EPs “Hylas”… Pourquoi un statement aussi fort ?
TA : Mon idée principale était très simple : sortir mon disque. Tout le monde se fichait de ce que je faisais à Berlin. J’ai donc lancé mon propre label, Hylas Records, et j’ai sorti “Red Eyes” et “How to disappear”. Les réactions étaient très positives sur internet, je me suis dit qu’il fallait que j’enchaine.
Concernant la trilogie, j’adore sortir des singles. J’en sortirais plus si cela ne tenait qu’à moi. Mais je me suis aperçu que les magazines se fichait des singles. Il fallait que je passe une étape supérieure, l’album. J’ai réalisé que j’avais 120 chansons disponibles. Personne n’était au courant, certaines étaient sur mon ordinateur, d’autres dans ma tête. Il fallait que je sélectionne ce qui représentait le mieux ces cinq ans que je venais de vivre, de ce gamin arrivé à Berlin à ce jeune adulte.
Que signifie Hylas, le nom de vos premiers EPs ?
TA : Je ne l’avais pas réalisé avant, mais quand j’ai terminé l’opus, je me suis aperçu que tout tournait autour du changement. C’est l’une des seules choses que l’on sait de la vie : rien n’est pérenne. Tout fluctue : son corps, sa personnalité, même la ville. Berlin est un bon exemple de ce perpétuel mouvement.
Pourquoi Hylas ? Je lisais le poème d’Ovide qui traite de ce mythe, un jeune homme qui cherchait de l’eau et qui a été attiré par les nymphes, et qui est finalement devenu l’un d’entre eux. Cette idée était pour moi une métaphore de plein de choses, et me parlait énormément.
Vous parlez de transformation : est-ce que cela se sent dans votre musique ? Est elle différente de celle d’il y a cinq ans ?
TA : Oui, c’est sûr. Si vous me connaissez un peu, vous verrez la différence entre les chansons les plus récentes et celles que j’ai composé au début. Quand je suis arrivé à Berlin, j’étais jeune, naïf, et c’est devenu de plus en plus sombre au fur et à mesure des années, parce que la ville n’est pas facile à vivre.
Vous êtes influencé par la scène Berlinoise ?
TA : D’une certaine manière, oui. J’ai commencé par jouer live dans des clubs avec des amis, avec des instruments analogiques. On jouait au Visionnaire, tout le monde déteste cet endroit maintenant, mais à l’époque c’était dingue. Les gens sortaient du Berghain, et y venaient en after.
Vous préférez jouer en club ou en concert ?
TA : En club, assurément. J’ai joué à New York la semaine dernière vers 3 heures et demie du matin, c’était fou, ça s’est terminé de manière assez punk. Les grosses scènes sont aussi cools mais je n’y ai pas joué seul, simplement en faisant des premières parties, comme avec Woodkid l’année dernière.
Vous avez des musiciens ?
TA : Je joue avec des musiciens aux synthétiseurs, un peu à la Kraftwerk. Mais j’ai fait dernièrement des concerts seul, et j’ai beaucoup aimé. C’est facile : pas besoin de balance, c’est brut, vous pouvez jouer à quatre heures du matin entre deux DJ sets.
Vous enregistrez et mixez aussi seul ?
TA : Oui : tous les instruments, l’enregistrement, le mixage… Je pense qu’il faut être indépendant actuellement, faire les choses soi-même et pour soi même. C’est comme cela que j’ai tout appris, de zéro. J’aime les choses simples, les sons primitifs. Je n’utilise pas de samples. Il est vrai que ça ne sonne pas forcément “hifi”, mais mon ingénieur du son, Robin Hunt, a réussi à retranscrire une agressivité sonore.
Votre musique est peut-être brute, mais elle n’est pas sale.
TA : Non, c’est de la pop ! Je n’ai pas envie d’être un snob de la musique. Je déteste les mecs comme ça. J’aime ce format, et j’avais envie de faire de bonnes chansons dans ce cadre-là. Ce sont des contraintes finalement que nait la créativité. En tant qu’artiste, vous devez respecter ce cadre, sinon, il y a trop de possibilités. Mais pour le prochain album, j’irai dans des directions complètement différentes.
Pouvez vous nous parler de vos clips ?
TA : C’est mon ami Sander (ndlr : Houtkruijer) qui s’en est occupé. On a une relation particulière : on s’asseoit, on parle d’art, de plein de choses. On étudie ensemble. Chaque jour, je vais fouiller sur internet à la recherche de nouvelles musiques. Lui fait la même chose avec les livres, les films, et on échange. C’est lui qui a donc imaginé l’univers de la chanson, et je suis très content de ce qu’il a fait.
Il y a des artistes avec qui vous aimeriez collaborer ?
TA : Je n’ai pas de noms, mais je suis ouvert à tout ! J’aime aider les artistes avec leurs albums. Beaucoup sont ceux qui travaillent seuls et qui n’arrivent plus à avancer. C’est bien si quelqu’un peut leur permettre d’y voir plus clair sans avoir d’intérêt, à part celui de la musique et de l’artiste. Je suis pas du genre à dire “il faut changer ça ou ça”, je suis juste là, je dis ce que je pense, et ils finissent par faire ce qu’ils veulent. Cest le travail que j’ai fait avec Stromae.
Etes vous surpris par son -énorme- succès en France ?
TA : Oui, j’ai vu, je joue avec lui sur pas mal de shows. C’est une collaboration qui peut paraître singulière, mais qui fonctionne très bien ! Il a une très belle âme. Il est venu à Berlin à la recherche d’inspiration pour sa musique il y a environ un an. Il les a jouées chez moi, et les choses évoluant, il a écrit “Formidable”. Je pense qu’il est très bon parce qu’il est humble. Il montre des voies différentes dans la musique. Je le respecte énormément.
C’est quelque chose qui manque un peu à l’industrie musicale actuellement…
TA : L’authenticité ? Complètement. Quand on dépose son coeur sur la table, les gens le poignardent parce qu’ils veulent être cool. Mais si vous faites quelque chose avec le coeur, si vous êtes honnête avec qui vous êtes et ce que vous voulez, vous allez faire un bon album. Et les gens vont l’aimer pour ces raisons. On emmerde le mainstream, et l’indie finalement. Ça n’a pas d’importance. Si on arrive à parler à une vieille dame et à un hipster, c’est qu’on a fait du bon boulot. Le problème majeur actuellement, c’est le snobisme musical. Les gens essaient trop, alors que je pense que tout devrait se passer sans effort. Dès que les gens essaient trop fort, ça se voit. Berlin est douée pour ça, pour se foutre de tout. Ce que Paris n’arrive pas forcément à faire.
Paris est trop petit, et les gens ont du mal à aller en banlieue, où la vie et les soirées seraient moins chères…
TA : Je pense que ça peut changer. Les jeunes ne peuvent plus s’offrir ce type de soirées. Ils sont fatigués des soirées trop consensuelles. Les artistes devraient boycotter ce genre de soirées, et aller jouer ailleurs.
Vous avez un label : vous comptez sortir des artistes ?
Oui, évidemment, c’est l’avenir !
Quels sont vos projets ?
TA : J’ai aussi envie de tourner. J’ai travaillé pendant deux semaines à New York, et j’ai travaillé avec un mec très cool, qui mélange le R’n’B dans une vibe un peu à la Thom Yorke. J’ai fait des chansons pour son album, et je vais travailler avec pas mal de gens, retourner en studio avec TEPR… Et puis je vais travailler sur mon nouvel album, même si le premier n’est pas encore sorti. Hylas a déjà cinq ans : c’est fini pour moi, j’ai entendu les morceaux un million de fois !
Vous en avez marre ?
TA : Pas vraiment, mais je les vois différemment. Certaines chansons ont étés écrites quand j’avais 19 ans, elles sont assez naïves, mais je les garde, parce qu’elles font partie de l’histoire de cet opus. Je ne vais pas les renier ! Des fois, j’ai l’impression d’être une autre personne, mais c’était le cas.
Si cet album a été conçu autour de Berlin, prévoyez-vous de bouger pour peut-être concevoir ce second opus ?
TA : J’adorerai faire ça ! Mais je ne sais pas. Toutes mes habitudes, mon studio, mes amis, tout est à Berlin maintenant. J’aime bien m’en éloigner, mais la ville me manque.
Vous parliez de sortir à Paris : des endroits préférés ?
TA : Pas vraiment… A chaque fois que je sors à Paris, cela m’ennuie. Je n’ai pas envie d’être pontifiant, mais il serait temps que les choses changent. Les gens essaient tellement fort ici. Je préfère aller à des fêtes chez les gens, passer la musique que je veux..
Quels sont les artistes que vous écoutez actuellement ?
TA : Plein de choses, notamment de la World Music : des artistes d’Inde, d’Afrique, du Mexique. Ils font leur propre musique, leur propre artwork. J’ai envie de faire de la musique plus basée sur le rythme maintenant, un peu différer de ce que j’ai pu faire dernièrement, où je me concentrais sur les harmonies…