A l’occasion de la sortie de la compilation de raretés Chubbed Up et de leur venue prochaine dans notre contrée, interview de l’un des groupes les plus marquants de ces dernières années.
Comme nous vous l’expliquions, Sleaford Mods était certainement le groupe le plus marquant de 2014. En 2015, ils continuent sur leur lancée en sortant la compilation de raretés Chubbed Up et en venant jouer dans notre capitale en avril prochain – ou du moins, pour énerver les parisiens, à Pantin (lignes 5 et 7 sur le metro…).
Alors qu’ils sont en train de devenir l’un des groupes les plus fédérateurs de notre génération outre-Manche, il nous a semblé naturel de leur poser quelques questions à propos de la prise d’ampleur du duo, son histoire et sa vision de la musique et le fait de devenir, aux yeux des médias, la voix de la contestation anglaise.
Villa Schweppes : Chubbed Up est sorti sur Ipecac Records , mais vous êtes plus régulièrement sur Harbinger Sound, un incroyable label expérimental, bruitiste, post punk. Vos premières parties ont très souvent été très noise, Shit and Shine pour la date à Pantin par exemple… Vous sentez-vous plus proches de ces musiques-là que de la scène indie rock “dominante” ?
Jason Williamson : Nous ne sommes pas réellement signés sur Harbinger Sound, ni où que ce soit, d’ailleurs. Mais il est important de se rappeler que Steve d’Harbinger Sound n’a pas seulement eu un rôle clé dans la sortie de nos disques : il est aussi intervenu dans la construction même de nos albums. Sa ligne de conduite a toujours été de considérer que Harbinger Sound était un label punk et que Sleaford Mods était un groupe punk. Alors où est le problème ?
Bien sûr, ce n’est pas du punk rock basique, mais ça se joue dans les attitudes et les approches. La vaste gamme d’idées, de projets et de goûts qu’ont les gens derrière Sleaford Mods signifie que la musique peut se propager très largement et au-dessus de toute notion de genre pour, potentiellement, toucher un public massif.
La plupart des groupes se confinent dans leur zone de confort, mais pas Sleaford Mods. La variété des groupes qui ont joué avec nous découle de cette idée. On trouve de tout, du rock, de l’indie, du punk, du rap, du hardcore, de la noise, de la musique improvisée ou encore du spoken word.
Justement : le grand public en France a principalement accès à la scène indie qui découle des Horrors. Votre existence nous montre qu’il existe une musique alternative en Angleterre. Quelles sont les scènes qui vous semblent importantes et auxquelles il faudrait s’intéresser ?
S’affilier à une scène, c’est risquer de couler avec le navire.
Jason Williamson : Il y a a des scènes, mais elles sont difficiles à cerner. Je ne suis pas sûr de bien connaître toutes les scènes récentes et pour être honnête, nous restons loin d’elles car elles peuvent fausser notre message. C’est aussi un piège potentiel pour ceux qui mettent de l’argent sur la table et pour les médias de nous connecter avec une scène : quand on y est affilié, il peut être très difficile de s’en extirper par la suite. S’affilier à une scène, c’est risquer de couler avec le navire.
Vous n’êtes plus vraiment ni dans une échelle, ni dans une économie underground aujourd’hui. Est-ce que cette nouvelle donne a changé votre façon de penser et travailler votre musique ?
Jason Williamson : Pas vraiment, non. La seule chose qu’on pourrait dire, c’est qu’on est aujourd’hui un peu plus radio-friendly, même si ça a toujours été le cas. Je fais aussi plus attention dans la préparation des tournées. La musique est mon travail aujourd’hui donc je suis moins susceptible de me faire baiser à longueur de temps.
Les médias anglais disent régulièrement de vous que vous êtes la “voix de l’Angleterre moderne”. Êtes-vous inquiets de devenir pour eux un espèce de symbole, un faire valoir ?
Il semble que les gens se retrouvent dans ce que nous disons. C’est très encourageant.
Jason Williamson : C’est très important de rester fidèle à ce qu’on dit, et mes mots s’opposent à la cupidité excessive et décrivent les choses telles que nous les voyons à l’heure actuelle. Illustrer une journée normale, montrer ce qui ne va pas. Andrew et moi, nous ne sommes pas là pour répondre aux frustrations des gens. Il semble que les gens, eux, se retrouvent dans ce que nous disons. C’est très encourageant. Il est évident qu’il y a comme une “main riche” qui ne cesse de prendre toujours plus, il faut en prendre conscience et agir en conséquence. Évidemment, je suis conscient qu’en tant que groupe, nous gagnons de plus en plus d’argent… Je ne sais pas quoi faire face à ça. Je ne suis pas sûr qu’il y ait vraiment de réponse.
Vos deux dates parisiennes (2013 et avril 2015) ont été bookées par les Instants Chavirés en banlieue. J’imagine que beaucoup de gens voulaient vous faire jouer ces derniers temps : les avez-vous choisi volontairement ? Pourquoi ?
Jason Williamson : Le mec qui gère les Instants Chavirés, JF Pichard, est fan de Sleaford Mods depuis un bail et sa façon de travailler rend possible un bon concert et de bonnes conditions d’accueil. Bien sûr, les Instants sont plus connus pour des concerts de musique expérimentale, mais ils ont aussi fait beaucoup de grosses soirées avec des groupes intéressants comme Melt Banana ou The Ex par exemple. Dans le futur – proche – nous risquons de jouer dans de plus gros clubs, mais nous pouvons encore faire de plus petits concerts avec les Instants. Ils sont amicaux, ce sont des gens de confiance, alors pourquoi nous priverions-nous ?