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Jessie Ware : “Je suis incapable d’écrire une chanson comme Happy”

Jessie Ware fait paraitre un deuxième album consacrant l’amour. Nous nous sommes assis à sa table pour parler de grands sentiments et de la façon de les mettre en musique.

Lorsque nous arrivons sur place, nous venons d’essuyer une trombe de flotte, nous ressemblons à des serpillères dans l’Hotel de Sers. Jessie Ware est là, pleine de compassion et très tendre avec les interlocuteurs qui ont bravé l’intempérie pour s’entretenir avec elle. Jessie est épuisée, la veille elle jouait en live chez Jools Holland. Elle n’a pas envie d’être là, mais reste néanmoins présente et disponible, curieuse du pataquès suscité par une foule électrique devant l’Hôtel. Hasard des agendas, Tokio Hotel réside dans le même établissement qu’elle ce soir-là.

 

Tu sais que Tokio Hotel est dans le même hôtel que toi ?

Jessie Ware : Je l’ai compris quand j’ai vu une foule démente attendre sous la pluie. C’est terrible, il pleut des cordes et ils campent malgré tout. Je crois que j’ai croisé le groupe mais je ne suis pas sûre, je ne sais pas à quoi ils ressemblent.

Vraiment ?

Non. Ils sont populaires ici ?

Il faut croire. C’est une musique qui plait à une frange plutôt jeune et très…dévouée…

Oui… Je vois…

Si jamais vous souhaitez un featuring, c’est le moment de demander.

(rire, ndlr) C’est gentil mais je ne suis pas en était de penser à quoi que ce soit sérieusement maintenant. J’ai répondu à tellement d’interviews que mon cerveau fonctionne de travers. Si je dois encore discuter avec quelqu’un après toi, je vais me tirer une balle dans la tête. Tout ce dont j’ai envie est un verre de vin. Je suis désolé de te confier des choses pareilles, je suis vraiment heureuse que tu sois là, que des gens se déplacent pour discuter avec moi mais, tu sais, quand tu passes la journée à parler de toi, à la fin tu deviens dingue.

J’aimerais écrire une chanson comme “Happy” mais j’en suis incapable, je préfère composer autour de moments doux-amer.

Surtout que ces derniers temps, j’ai le sentiment qu’on ne parle que de votre mariage. N’est-ce pas étrange ?

Ce n’est pas si étrange. Je me suis montrée plutôt ouverte sur le sujet. Les gens sont intéressés et je peux comprendre pourquoi. Et puis c’est un moment heureux, c’est agréable d’en parler. Une même densité de questions à propos du décès d’un proche me rendrait cinglée.

Néanmoins, toutes les interviews tournent autour de ça. Je ne comprends pas l’acharnement.

C’est peut-être parce que j’ai expliqué qu’une chanson était liée à mon mari, inspirée de mon sentiment quand j’attendais qu’il me demande en mariage. Et puis mon compte Instagram était hyper centré là-dessus ces derniers temps. On me parle beaucoup de mon compte Instagram. Mais ces questions partent d’un bon sentiment. Et puis, je pense que l’on me perçoit comme quelqu’un d’ouvert, accessible, à la conversation facile. Ça peut faciliter ce genre de questions.

J’aborde l’intime mais ne dévoile rien de privé.

Et il s’agit d’un moment heureux. Et il a inspiré des morceaux de l’album. Paradoxalement, vous avez un dit un jour : “je ne peux pas me permettre d’être trop heureuse, ça me ferait des albums domestiques et ennuyeux“.

Ce que je voulais dire par là, c’est que… je suis vraiment heureuse. Et je ne pense pas que qui que ce soit souhaite entendre tout mon contentement d’être une aussi heureuse personne. J’aimerais pouvoir écrire une chanson comme Happy. (Rires, ndlr) Mais j’en suis encore incapable, je préfère composer autour de ces moments doux-amer.

Vous vous inspirez de sentiments, de faits très intimes. Vous vous fixez quelle limite ?

Je conserve une véritable distance, je romance. J’aborde l’intime mais ne dévoile rien de privé. Concrètement, personne ne sait rien, je reste très secrète.

C’est un symbole de reconnaissance, une mesure de votre popularité, ces intrusions de la presse dans votre vie privée ?

Je ne le perçois pas comme ça. Encore une fois, je reste persuadée que ces questions venaient de choses que j’alimentais sur Instragram. Tu sais, ça n’est plus tellement un fait privé d’aller diner au pub avec ta mère pour ton anniversaire si tu le publies sur Instagram. C’est juste qu’un jour tu as 2 000 followers et le lendemain sans t’en rendre compte, tu en as cent fois plus.

C’est lorsque cette audience apparait devant vous que l’on prend la mesure d’un succès.

Définitivement. Je me souviens de mon passage au Bestival, peu de temps après la sortie du premier LP, il y avait du monde à perte de vue. Le public chantait mes titres. J’ai eu un vertige. Je venais de comprendre l’ampleur que ma musique prenait. C’était adorable.

Et un succès pareil, ça peut constituer une pression pour composer un nouvel album ?

Je n’ai jamais ressenti de pression, à vrai dire. Je n’y pense pas lorsque je suis en studio, que j’écris, que je compose. C’est une énergie très positive. Mais c’est vrai que contrairement au premier, en écrivant j’ai la conscience d’un public. Je me suis déjà dit “ça je ne le fais pas parce que ça ne passera pas auprès du public“. Je ne me freine pas, je ne m’oriente pas non plus, aujourd’hui je me mets plus à leur place.

Je ne veux pas composer un album qui s’use avec le temps.

Il y avait un défi derrière cet album ?

(Elle réfléchit, ndlr)… Non, je ne vois pas. Je ne crois pas avoir vraiment ressenti de défi. Peut-être que le défi était de trouver de nouveaux collaborateurs. De me pousser vers de nouvelles personnes, apprendre à travailler différemment. Mais dans le fond, je n’ai pas ressenti ça vraiment comme un défi. Je me suis tant amusée.

Le défi peut s’avérer amusant.

C’est vrai.

Il n’y a pas eu une tentative de se dépasser vocalement ? Tu dis parfois que tu chantes comme un dauphin ?

(Rires, ndlr) Oui, en quelques sortes. Le travail vocal c’est surtout une manière pour moi d’apprendre à faire confiance aux autres. A tenter de me dépasser et écouter ce que les gens avec qui je collabore ont à en dire, ce qu’ils peuvent me conseiller. Dépasser mon propre jugement plus que mes compétences vocales.

Vous pourriez travailler avec des étrangers complets ?

Comment ça ?

Tu as partagé des moments très forts avec tes producteurs, tu as rencontré leur famille. Vous avez besoin d’entretenir une intimité commune avec eux, dirait-on.

Oui, ils étaient ma famille durant tous ces mois. Surtout Benny (Blanco, ndlr). Il fait absolument tout pour te mettre à l’aise, il t’inclue dans tout, il tient à établir des liens très forts avec toi. C’est un ami maintenant. Si je me rends à New York, aujourd’hui, c’est lui que j’appelle en priorité. C’est important pour moi de travailler avec des gens qui sont ou deviennent mes amis, sinon j’aurais l’impression de besogner.

Et ce choix de ne pas travailler à nouveaux avec des proches comme Julio Bashmore, c’est une volonté de donner un aspect moins club à l’ensemble.

Sur cet album, j’ai travaillé avec Julio Bashmore !

On ne le reconnait nulle part…

Tant mieux ! On ne voulait pas ça sonne comme du Julio Bashmore. Keep On Line, c’est lui.

C’est très surprenant.

C’est une bonne chose.

Mais globalement, la grosse différence avec le premier LP, c’est une envie de se couper des repères temporels d’aujourd’hui, ne pas connoter l’album comme une oeuvre de 2014. En un mot, le rendre intemporel.

C’est très vrai. Même si j’ai essayé de faire ça sur le premier, c’est vraiment accentué ici. Je ne veux pas composer un album qui s’use avec le temps. Je veux faire de bonnes chansons, qu’elles accompagnent l’auditeur toute sa vie. Je veux écouter mes titres à cinquante ans et les trouver pertinentes. Je conçois ma musique avec une notion de longévité.

C’est pour ça que vous que vous parlez tant d’amour ?

Il est possible que j’aie fait le tour. Ça m’inspirait ici mais je ne sais pas de quoi le prochain album sera fait.

Et puis il y a cette idée d’exorciser des relations passées non ?

Je ne me souviens pas avoir dit ça ! C’est curieux tout le monde me parle de cette histoire de démons… D’où ça sort ? Bref, avant mon mariage, j’ai eu ces moments de retours sur les faits marquants de ma vie, ça pousse à l’introspection, un mariage. Et c’était l’époque où je composais cet album, j’imagine que oui, j’ai dû exorciser quelques moments via ma musique.

On vous pose souvent les mêmes questions, sur votre mariage notamment, à longueur de temps. Inversement, il n’en existe pas une question que l’on oublie systématiquement ?

Non. Et honnêtement, contrairement à ce que tu penses, il n’y pas une question qui revient au point de me fatiguer. Il peut y avoir quelques répétitions mais rien qui me fasse penser “pourvu que l’on ne me demande plus ça“. Au moins j’ai le sentiment que tous les angles d’un album sont couverts.

Tough Love sort le 13 octobre chez Barclay