Lors de sa dernière tournée américaine, le producteur star Wax Tailor a pris le temps d’aller rendre visite à une quinzaine de disquaires indépendants pour en tirer un joli docu sur ce métier très particulier. Rencontre et Visionnage.
Villa Schweppes : Pourquoi se lancer aujourd’hui dans un documentaire sur la thématique du vinyle et des disquaires aux États-Unis ?
Wax Tailor : D’un côté, il y a évidemment le sujet. J’ai pas parlé de vivisection en Amazonie. De l’autre, il y a le format en lui-même. Ça fait longtemps que ça me travaille. Je crois que je suis un bon client du documentaire. C’est un truc que j’ai procrastiné pendant longtemps, et qui s’est décidé au dernier moment : j’allais attaquer une tournée américaine, en terme de logistique, c’était l’occasion de visiter 25 villes différentes. Du coup, après avoir pas mal tergiversé, j’ai tout lancé au dernier moment.
Qu’as-tu voulu amener avec cette proposition ?
Wax Tailor : Il y a déjà eu pas mal de docus sur la question du disque, mais pas tant autour des gens qui les vendent. Je voulais que tu puisses le mater avec ou sans intérêt initial pour la question : tu te fais un plateau-déj’ à midi, tu zappes, tu vois un truc sur un menuisier. Tu te dis que tu t’en tapes, puis finalement tu le regarde et tu t’intéresse à la personne. Ce que j’ai recherché, c’est le passionné derrière le disquaire. Quand Sean d’Atlanta me dit que grâce à ce boulot, il n’a pas eut besoin de grandir, je sais que je tiens ce pour quoi je suis venu. Je voulais pas vulgariser pour vulgariser, mais je voulais que ce soit accessible. Je voulais éviter le côté “ah mais c’est le pressage de 71” et tout ça, le truc de digger.
Tu as eu des déceptions dans ces rencontres ?
Wax Tailor : J’ai fait 16 interviews, j’en ai gardé 11. Donc oui. Y a deux choses : il y en avait deux qui étaient inutilisables, tu sens tout de suite que tu as affaire à une armoire, et c’est pas la peine. Faut pas non plus angéliser ce métier, ce ne sont clairement pas tous de preux chevaliers. Il y a aussi des gens qui sont touchants à te dire : “Ça faire trente ans que je fais ça, je ne sais rien faire d’autre”. Ils n’ont pas besoin de te faire une histoire à la Walt Disney pour aimer leur métier. Mais t’as quelques sales cons, ça arrive et heureusement.
Tu étais en tournée, comment s’est inséré le projet dans cette logistique ?
Wax Tailor : C’était n’importe quoi. On était en tour bus pendant 5 semaines. Tu pars vers 2 ou 3 heures du matin, tu arrives vers 9 ou 10 heures là où tu vas jouer le soir. Évidemment, tout le monde dort jusqu’à 14 heures, et c’est précisément le moment où on se mettait au travail. On a eu assez peu d’images d’illustration, car c’était très serré. C’est aussi ça qui a décidé ce format court de 26 minutes.
Tu n’as d’ailleurs pas spécialement insisté sur les spécificités des villes et leurs rapports au disque.
Wax Tailor : C’est ma petite frustration. J’ai pas aiguillé les différents intervenants dessus, je voulais les laisser libre de prendre mes questions dans le sens qu’ils voulaient. Certains pourtant en parlaient d’instinct.
Par rapport à la France, les disquaires américains ont moins déchanté à l’heure du digital, ça a guidé ton choix par rapport à ce pays ?
Wax Tailor : Y a deux choses fondamentalement différentes. J’ai sorti mon premier album il y a 12 ans aux États-Unis. Au moment où je l’ai fait, on m’a dit, pour franciser : ” Ton disque ira à la Fnac, à Virgin etc… “. Au second album, on m’a dit : ” il n’y a plus de Virgin “. Le suivant, c’était la Fnac qui disparaissait. Il n’y a plus de grosses machineries aujourd’hui aux Etats Unis. A l’inverse de la France, ce sont les disquaires indépendants qui ont survécus. L’autre truc, c’était d’être dans l’oeil de la tempête et de voir que des mecs ouvrent des shops aujourd’hui alors que tout le monde leur dit qu’ils vont dans le mur.
Les disquaires présentés sont essentiellement des hommes, âgés et blanc…
Wax Tailor : C’est une réalité. Ça aurait pu être un angle, d’ailleurs. Les jeunes de 25 ans qui ouvrent des shops restent un peu des épiphénomènes. Objectivement, il y a plus d’anciens, qui sont là depuis longtemps et font tenir la baraque. Mais il y a des perspectives, ces gars ont des gens qui sont prêts à prendre le relais le jour où ils arrêteront.
Quel est ton rapport à la musique enregistrée aujourd’hui, et, de fait, au vinyle ?
Wax Tailor : En dehors du truc de digging, j’ai une consommation de musique en streaming sur toutes les nouveautés. Ensuite, je sanctionne mon approbation d’un album en allant l’acheter. Comme ça, dans 5 ans, dans 15 ans, je pourrai me dire : “C’était quoi 2016 déjà ?” et regarder dans mes disques ce que j’avais trouvé bien à l’époque. Et me dire “wow, c’est une tuerie”.
Aller vers la réalisation, c’est aussi lié à l’envie d’étendre tes médiums de travail ?
Wax Tailor : Il y a d’abord un intérêt pur et dur pour ce genre de projet. Mais il faut être franc aussi : il y a toujours de l’excitation à faire un disque, mais des mécanismes se mettent en place. Je connais pas trop ce truc de la page blanche. Au bout de 20 ans, tu es capable de sortir des choses en te disant “il manque une étincelle”. Mais tu maîtrise ton sujet. Là, j’avais besoin de tenter une expérience où je serais à nouveau sans filet.
Te verrais-tu remettre ça dans le futur ? Y a-t-il des thématiques que tu pourrais aborder dans le format docu par la suite ?
Wax Tailor : Tu sais, je suis vachement dans ce rapport de légitimé, à me demander qui je suis pour faire ça, alors qu’il y a plein de nouveaux réals qui galèrent. Ce sujet me redonnait de la crédibilité pour me plonger dans l’exercice. Il y a des thèmes que je voudrais explorer, des choses en périphérie de la musique. J’aimerais faire un travail sur le sampling par le prisme de l’industrie. L’incidence que celle-ci a pu avoir sur la musique depuis 25 ans. L’envers du décor, du business m’intéresse. Je ne m’interdis pas l’idée d’aller aussi au delà du documentaire, même si on n’y est pas encore.