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Blondi’s Salvation, à la recherche d’un psychédélisme moderne

Rencontre avec le groupe nantais auteur de l’un des albums les plus marquants de la fin de la saison passée. Au programme, musique totale, refus des étiquettes et obsessions numériques.

C’est dans l’air du temps : après avoir porté une esthétique minimaliste durant son revival 80, la France retrouve aujourd’hui le goût d’un expressionnisme ultra libéré. En figure de proue, Blondi’s Salvation, dont le récent album Wisdom Whisper sur Howlin’Banana Records redonne ses lettres de noblesse à une certaine idée de l’épique.

Violons, guitares thailandaises, rythmiques inhabituelles : tout en zig-zaguant entre les pièges du kitsch, les cinq musiciens laissent sur près de 40 minutes libre court à toute leur exhubérance. Impressionnant jusqu’à en convaincre les programmateurs de monuments américains comme l’Austin Psych Fest, le groupe sort aujourd’hui du ghetto psychédélique avec la livraison d’un disque qui en explose toutes les frontières. Si sa sortie un 13 novembre est passée loin de l’exposition à laquelle on aurait pu s’attendre, les 11 hymnes qui le composent refont surface de manière très régulières aux quatre coins de la toile. Il devenait de plus en plus évident d’essayer de les bloquer à Paris pour tenter de comprendre comment cette musique là avait pu sortir de l’esprit de cette tribu de Nantais à cheveux longs.

Rome ne s’est pas faite en un jour

Si l’essentiel des gens ne les découvrent qu’aujourd’hui, les Blondi’s Salvation ne sont pas nés de la dernière pluie : le projet est en marche depuis le début de la décennie. “On a commencé par faire du garage-rock au départ. A l’époque, il n’y avait pas grand monde dans le rock dit “psyché”. Il faut comprendre aussi qu’on s’est lancé au moment où sortaient les tous premiers Black Angels. C’était encore Myspace”. La claque est immédiate et va plonger le quintet dans la culture psychédélique. C’est décidé : hors de question pour eux d’être un énième groupe de 60’s bas du front.

“On s’est sentis assez seuls à vouloir dépasser cette mouvance garage à Nantes, il a fallu qu’on trouve un moyen pour avancer malgré ça, trouver des gens dont on pourrait se sentir proches”. Pour ça, ils créent la French Reverb Church, structure avec laquelle ils cartographieront, artificiellement mais sûrement, le squelette d’un psyché français en plein balbutiements.

La Church sera aussi le moyen pour eux de s’imposer sur leurs terres : “Quand on arrivait vers les salles au nom du groupe, on nous envoyait bouler. Avec la French Reverb Church, tout le monde était ok. Ce qui est un peu bizarre en soi, parce qu’on était les mêmes gens qui qu’on allait proposer les mêmes plateaux”. S’entourant ainsi de ce qu’ils considèrent alors être le psyché renaissant dans l’hexagone, ils se trouvent au passage une merveilleuse rampe de lancement.

Une progression organique

“Au départ, on était assez limités techniquement”, expliquent-ils. Avant de réussir à incorporer tous les éléments qui font exploser l’étiquette psychédélique dans Wisdom Whispers, le groupe a travaillé durant près de 5 ans. “On vit ensemble aujourd’hui, ce qui fait qu’on est assez symbiotiques au moment de jouer. La règle qu’on s’est rapidement fixée, c’est qu’il ne devait y avoir aucune limite dans Blondi’s Salvation”. Rapidement, la bande s’intéresse aux musiques non-pop, commençant à se fasciner pour les musiques asiatiques, arabes, médiévale, celtiques. “Une fois qu’on a pu se procurer l’ampli, la guitare et les pédales d’effet dont on avait besoin, on s’est naturellement reportés sur des instruments issus de ces cultures”.

Tous les clichés nous emmerdent

Face à des pièces qui nécessitent des années et des années d’apprentissage, les membres du groupes ont un fonctionnement empirique décomplexé : très à l’aise les uns avec les autres après des années de collaboration, ils prouvent qu’on peut en sortir des choses passionnantes malgré une maîtrise précaire : “Après en avoir exploré le fonctionnement global, on peut arriver avec un sitar et l’inclure à la musique du groupe. On a pas besoin d’être vraiment de grand technicien pour transposer nos idées quand on est tous ensemble. Qui plus est, les accidents qui arrivent forcément nous ouvrent aussi parfois des voies harmoniques inattendues”.

Une sale allergie aux facilités

Pour éviter de tomber dans les clichés de la world music voire du new age bête et méchant, le groupe se fait confiance : “on veut que nos morceaux soient vraiment nôtres. On ne supporte pas l’idée de parodier des choses existantes. Quand on flirte avec ce genre de kitsch, on sait généralement s’arrêter à temps, reprendre les constructions, tout ça”.

Autre aspect qu’ils exècrent : celui du psyché facile. Alors qu’avec la Church, ils exprimaient une vraie volonté de faire partie d’une scène, ils fuient aujourd’hui l’assimilation trop rapide à un champ esthétique dans lequel ils ne se reconnaissent pas : “le mot psyché, comme le garage avant lui, est désormais galvaudé. La moindre réverbération suffit à y être assimilé. On ne supporte pas non plus le délire LSD : c’est pas en prenant un champignon que tu vas réussir à faire notre musique. Tous ces clichés nous emmerdent”.

Enfants d’internet

S’ils jouent des cordes frottées à l’ère du tout électronique, ce sont bien là des produits d’une époque numérique. “On se verrait bien faire des bandes sons de jeux vidéos, genre Diablo, un jour”, lâchent-ils. Alors que le rock à guitares s’affilie bien souvent à un conservatisme parfois loufoque, les Blondi’s Salvation vivent dans leur époque : “Sans internet, on aurait jamais pu faire cette musique. On sort d’un disquaire : il y avait de super disques de musique extra-occidentale. Mais à 30 balles le disque, on aurait pas pu découvrir grand chose”.

Va-t-on continuer à avancer aveuglément dans un monde fait de réalités virtuelles ?

Dans leurs textes, les problématiques d’une époque sur-connectée sont omniprésentes, signe que le groupe est absorbé par ces notions : “Je ne comprends pas qu’on ne se pose pas des questions sur le fait de passer 5 heures par jour sur Facebook. Quel sens ça a ? Qu’est-ce que ça veut dire ?”. Ils entretiennent ainsi rapport très ambivalent avec le sujet. S’ils sont le résultat de l’accès immédiat à l’information, ils sont loin d’y vouer un culte.

Aux sources de la liberté

“Il y a une question fondamentale dans le propos du groupe, qui se pose à toute notre génération : va-t-on continuer à avancer aveuglément dans un monde fait de réalités virtuelles ?”. Plus pragmatiques que fantaisistes matrixiens, on sent chez eux des heures et heures de discussion sur le sujet. Ils s’alarment autant qu’ils semblent se fasciner :

“On est passés dans un internet de la suggestion. On te montre des choses que tu connais et que tu as envie de voir. Il passe son temps à te mettre sous les yeux des choses sur lesquelles tu es susceptible de cliquer. Ça crée un internet des tribus, des mondes clos. “

Plus encore, ils alertent volontiers sur les perversions de ce nouveau système : “Avec ce mode de fonctionnement, ça devient trouble : la plateforme te renvoie vers des choses qui sont financièrement plus intéressantes pour elle. Par exemple, sur les sites de streaming, quand tu écoutes Blondi’s Salvation, on te propose le dernier Tame Impala, qui est un meilleur produit que nous. Ça pose un problème”.

Comprendre et connaître sont souvent interpretés comme des notions liées aux conditions d’une véritable liberté. Quand on fait face à ces jeunes gens, Wisdom Whispers prend tout son sens. Voici une musique rock affranchie des contraintes des fantasmes passés et des chapelles étriqués. Fatalement, l’auditeur trouvera là une richesse inédite et une inventivité rare. Ce sont justement ces ingrédients qui porteront Blondi’s Salvation bien au delà du simple underground rock. Leur LP en forme de disque-monde s’affirme comme l’une des plus jolie propositions récentes de musique totale. Ruez-vous donc dessus sans attendre.