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Ayo : “J’ai eu la chance de naître libre”

A l’occasion de sa semaine en rédactrice en chef invitée, Ayo évoque avec nous son nouvel album, “A ticket to the World”. Rencontre avec une personnalité aussi engagée qu’attachante.

Villa Schweppes : Quelles sont vos impressions quelques jours avant la sortie de “A Ticket to the World”?

Ayo : Je suis un peu nerveuse, il sort dans quelques jours, mais d’une nervosité positive ! J’ai appelé ma mère et je lui ai dit que j’étais un peu angoissée. C’est un sentiment qui m’est plutôt étranger d’habitude… Elle m’a répondu que c’était une bonne chose de ressentir cela “Ce qui n’est pas normal, c’est quand tu n’as pas le trac” !

Pourquoi avoir choisi ce nom pour votre album, A Ticket to the World ?

L’idée est venue à la fin de l’enregistrement, comme la chanson, que j’ai écrite à ce moment-là. C’est une personne qui est un peu mon père musical, Jean-Philippe Allard, qui a eu cette idée quand je lui ai envoyé la chanson. Je voulais avoir son avis puisque je rappe pendant que je joue du piano et que ce n’est pas dans mes habitudes. Il m’a dit que l’album devait s’appeler comme ça, car le titre le résumait parfaitement.

Il y a plusieurs niveaux de lecture de l’album…

L’album pouvait être “A ticket to my world” (un billet pour mon monde), mais aussi parler du fait d’être née avec le mauvais passeport. J’ai eu la chance de naitre libre, même si j’ai traversé de nombreuses épreuves dans mon enfance. Je suis née libre avec un passeport allemand qui me permet de voyager partout. Même si je n’avais pas l’argent, il me suffisait de travailler dur et je pouvais aller où le coeur m’en disait. Mais imaginez être née dans un pays où on ne possède pas cette liberté. C’est comme naitre en prison, tu peux travailler autant que tu veux, tu ne quitteras pas ton pays. J’avais envie d’en parler, car je me suis imaginée ce que j’aurai fait dans cette situation.

Ce n’est pas comme cela que vous travaillez normalement…

J’écris normalement sur moi, ou je me mets à la place des gens que j’aime. Cette fois, je me suis mis dans la peau d’un autre personnage : qu’aurais-je fait si j’étais par exemple née au Nigéria ? Un ami m’a raconté comment il est arrivé en France, et ce que cela signifiait pour lui. C’était comme arriver dans le monde. Il a quitté son pays à 13 ans avec un faux passeport, il a essayé 4 fois, et il a enfin fini par réussir…

Dans la chanson éponyme, êtes-vous plus triste qu’énervée par cette situation ? On a l’impression que vous jonglez entre les deux sentiments…

En réalité, c’est la même personne qui parle. Que ca soit la colère ou le calme, toutes ces émotions viennent du même endroit. C’est juste un changement progressif. Un moment je dis que j’aimerais ‘passer le port, mais je n’ai pas de ticket, j’aimerais passer le port, mais le monde est dérangé’. (“I wanna pass the port but i have no ticket, i wanna pass the port but the world is wicked“). Mon passeport est toujours sur mon piano. Une fois, je l’ai vraiment regardé, et je me suis dit : “quelle chose horrible, Passe-Port“. Je voyais l’objet, cette chose à ne pas perdre, à ne pas abimer, mais je n’avais jamais réfléchi à ce qu’il représentait. Je me suis sentie un peu esclave. On utilise toujours l’expression “port”, comme aux temps de l’esclavagisme. Ils devraient changer ce nom.

Etes-vous donc une militante ?

Je déteste la politique. Je me fiche de la politique autant qu’elle se fiche de moi, et de nous tous. C’est du bon cinéma, mais les acteurs sont mauvais. Beaucoup de gens pensent que c’est stupide, mais je ne regarde pas les actualités. Je ne crois pas à ça. Cela fait quelques années que je n’ai pas la télé, et si je dois être au courant de quelque chose, je finirai par le savoir, non ? Et c’est mieux de cette façon, on peut avoir l’information de différentes personnes et confronter les points de vue. Au journal, il n’y a toujours une version, toujours très sombre. Jamais vous ne verrez aux infos “aujourd’hui est une super journée!“. Je préfère être du côté des gens que du côté du système.

Une chanson a néanmoins été inspirée par les émeutes à Londres : comment avez vous été au courant ?

L’information est venue de plusieurs côtés. Et l’événement n’est pas resté qu’à Londres : il y en a eu aussi à Paris. Mon père m’a appelé à ce moment, très effrayé : “Où es tu ? Est ce que tu vas bien ?“. Tous les gens ne vivant pas à Paris pensaient à ce moment que la capitale était en pleine révolution. Ça m’a inspiré une chanson, car je sentais toute l’agression autour de moi, tout cette colère.

Vous enregistrez toujours vos albums très vite : était-ce le cas pour cet opus ?

Oui, mais c’était un peu différent. Je suis restée 3 jours en studio, j’ai dû attendre quelques mois, et j’y suis retournée après. Pas parce que je n’étais pas prête, mais parce que mes musiciens partaient en tournée. Certains ont accompagné Stevie Wonder, d’autres Bob Dylan ou Sting… J’ai dû attendre qu’ils reviennent pour retourner en studio ! Je pense que c’est pour ça que je suis un peu nerveuse, et bizarre, parce que cela a pris du temps, et c’est la première fois que je devais faire ça. En plus, je n’ai toujours pas le disque (ndlr : l’interview a eu lieu le 26 septembre)! Et je suis aussi nerveuse parce que mon père ne sait pas que je suis signée chez Motown… Je veux le surprendre, je veux voir sa réaction quand il va voir le sticker apposé sur le disque !

Ayo est du 7 au 13 octobre notre rédactrice en chef invitée : retrouvez tous les articles !