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Tête d’Affiche en interview : les nouveaux visages du clubbing

Avec Polo & Pan, Dean de La Richardière et Greg Boust, on a parlé de leur projets, de la musique, du Baron, forcément, et du virage plus artistique de l’agence.

Comment s’est fondée l’agence Tête d’Affiche, dans quelle optique ?

Greg Boust : Il faut remonter il y a 7 ou 8 ans, quelque chose comme ça. Je venais d’intégrer les rangs de cette boite naissante qu’était le Baron. On m’appelait déjà souvent avant pour me demander si je ne connaissais pas des DJ pour des soirées. Très vite, on a monté une équipe avec des DJs parce qu’on nous appelait, Lionel Bensemoun de la Clique et moi, sans cesse pour des productions événementielles. Pour être plus pro, on a donc décidé de monter une agence de booking d’artistes.

Qu’est-ce qui définit un DJ Tête d’Affiche ?

Greg Boust : Il faut être quelqu’un de sensible à ce qu’on considère comme étant de la bonne musique et vouloir s’investir en tant que DJ. Au tout début, pour rentrer dans Tête d’affiche il fallait surtout avoir cette passion de la musique, pas spécialement être un DJ de la mort. Aussi, ça n’avait pas trop de sens de travailler avec des gens qui restaient enfermés chez eux. Ça a évolué. Aujourd’hui, il faudrait quelqu’un d’aguerri, qui connaisse son sujet, parce qu’on reçoit dix demandes par jours. Tête d’Affiche évolue, à travers le faire d’élargir le champs de nos activités, de travailler plus en profondeur sur le développement des artistes et la production événementielle. Il y a une vraie demande.

Dean de La Richardière, l’héritière 80’s

Dean, tu vas bientôt sortir ton disque sur le label mythique Ze Records. Comment les as-tu rencontré ?

Dean de La Richardière : Oui, c’est un label culte, que j’ai d’abord découvert en tant que passionnée. Je suis vraiment fan de Lizzy Mercier Descloux, Kid Creole & The Coconuts, toute cette scène new wave, post-disco et même un peu world. A l’époque, quand j’ai commencé à faire de la musique, j’étais très marqué par Lizzy. Ze Records n’était plus en activité, mais il se trouve que par réseau et connexions, j’ai réussi à contacter Michel Esteban. Et il a décidé de rouvrir la boutique pour sortir mon album, ce qui est fantastique.

Pour Michel Esteban (Ze Records), ma musique est dans la continuité des choses qu’il faisait il y a trente ans

Tu as enregistré à Kingston, tu étais au courant de l’habitude qu’avait le label avec les Caraïbes, notamment chez Suicide Romeo à Nassau…

Dean de La Richardière : Ou Lizzy Mercier Descloux ! Après, Nassau, c’est pas Kingston. Mais je suis fan de toute cette scène de Compass Point, à Nassau. Je m’en sens presque l’héritière. Il y a une filiation improbable, mais qui existe. Quand j’ai rencontré Michel, il m’a dit tout de suite : “je comprends pourquoi tu viens vers le son Ze Records”. D’ailleurs, c’est Greg qui nous a mis en contact !

Quel a été la direction de ce disque ?

Dean de la Richardière : C’est pas évident à dire en deux mots… C’est de la pop, qu’on est allé enregistrer en Jamaïque. Pour autant, ça n’a rien d’un disque de reggae. On l’a fait avec Sly Dunbar, qui a fait les batteries pour Grace Jones, de toute cette scène de Compass Point et Steven Stanley, qui avait enregistré tous ces groupes. Pour Michel Esteban, ma musique est dans la continuité des choses qu’il faisait il y a trente ans, mais en version 2014

Polo & Pan, l’audace au service de la pop

On a un amour commun de la percussion rigolote, des sons tropicaux

Polo & Pan, vous êtes signés sur Ekler’o’Shock, avec tous ces groupes qui gravitent plus ou moins autour de Poni Hoax, à savoir Paris, Limousine ou Gyrls… Vous vous sentez proche de ces groupes ?

Polocorp : Je connais surtout Joakim de Tigersushi, parce que j’avais un peu travaillé pour Versatile. Mais j’adore leur musique. J’ai toujours une écoute attentive à plein de morceaux de ces gens-là, comme “Budapest”.

Alex Pan : Après, notre EP est le fruit d’une coproduction avec Hamburger Records, qui partage leurs bureaux et y sont intimement liés. Toute cette bande que tu viens d’énumérer, on ne les connaissaient pas forcément, mais on se sentait extrêmement proches d’eux. Par exemple pour leur rapport à la musique analogique, aux vrais instruments qu’on partage vraiment. Quand Limousine nous a proposé de leur faire remix, ça a été le declic à propos de cette cohérence par rapport au label. Si tu écoutes leur album, qu’ils ont enregistré en Thaïlande avec des instruments tout aussi étonnants les uns que les autres, tu retrouves quelques éléments dans notre musique.

Polocorp : On a cet amour commun de la percussion rigolote, des sons tropicaux. C’est qu’ils ont fait dans Siam Roads, avec des gongs, des marimbas, des balafons.

Justement, comment restituez-vous ça depuis Paris ? Comment s’organisent vos sessions de studio ?

Alex Pan : Polocorp répondra après, mais je pense qu’on a, lui comme moi, une certaine culture de la musique ” world “, ou du moins non française. Aussi, je bosse pour Radiooooo.com, un site sur lequel on classe la musique en fonction de son époque et sa provenance. Après, Tête d’Affiche m’a pas mal fait voir du pays et m’a initié à de nouvelles cultures.

Polocorp : J’ai une culture qui est surtout issue de mes voyages, j’ai beaucoup bougé, je collectionne depuis longtemps de nombreux instruments, des balafons etc… J’ai acheté de nombreuse percus, orientales, africaines etc… Mais le balafon, c’était notre premier instrument vraiment “signature”. Ça nous a naturellement poussé à en chercher plus. J’ai toujours aimé ces espèces d’instrument à usage unique : dans un morceau, on utilise une petite flûte en roseau, dans un autre des verres à vin en cristal. C’est amusant, on chine des petites choses et c’est ça qui crée la patte du projet.

Du Baron à Tête d’Affiche

Greg a aussi su réunir spécialement des gens dans un domaine très précis

Polo & Pan, Dean, vous êtes artistiquement assez différents. Finalement, est-ce que ce n’est pas le Baron qui lie entre-eux les membres du roster Tête d’Affiche ?

Alex Pan : Tout à l’heure, Greg a dit qu’il cherchait des gens liés par la musique, mais j’irais plus loin que ça : c’est un espèce de feeling. On a tous une compétence, comme Dean avec les 80’s. Pour moi, c’est la pro de cette période là. Greg a aussi su réunir spécialement des gens dans un domaine très précis, ce qui fait que ces gens s’aiment bien entre eux, mais sont très différents. Il y a chez chacun une spécialité, qui crée une complémentarité.

Greg Boust : Je n’ai pas cherché à monter une écurie sur un son. Il y a des boîtes où, si t’y joue, c’est pour des choses très précises. Moi, je ne voulais pas ça, au contraire et je me suis assez fait tailler pour ça. Le panel de Tête d’Affiche est très large.

Polocorp : Tête d’Affiche c’est très cool pour ça, tu peux jouer des trucs années 50, du vieux rock comme des choses électro à peine sortie.

Greg Boust : Je me suis battu pour ça, et encore aujourd’hui, c’est quotidien. Qu’on le veuille ou non, il y a une pensée unique dans les clubs. Je défends des artistes qui ne sont pas dans le sérail des radios, ou dans les simples carcans de la techno…

Alex Pan : Je respecterais à vie Greg parce qu’on a fait Nova ensemble, et qu’on devait choisir des morceaux. Il a sorti une face B de la Compagnie Créole, et tout le monde était là : ” Wow ! C’est une tuerie “. Tout est bon à prendre dans tout, il faut juste réussir à l’amener.

Greg Boust : Est-ce que c’est le Baron alors ? D’une manière oui, mais pas uniquement. Ce serait réducteur.

Alex Pan : C’est notre labo.

Greg Boust : Ce qui est sûr, c’est que le moindre DJ TDA qui franchi le palier est chez lui.

Il y a eu au Baron une ” déprofessionnalisation ” du DJ

On sent dans vos propos qu’il y a une certaine revendication. Comment définiriez-vous ce clubbing, notamment propre au Baron ?

Greg Boust : Il y a dix ans, par exemple : je jouais partout, mais j’en avais marre de devoir jouer de la house. Dès que je mettais ” Jump Around ” de House of Pain, les mecs étaient à deux doigts de rappeler le résident. Ils ne comprenaient rien. Au Baron, on m’a donné complètement carte blanche. Quand j’ai mis les Stones, j’ai vu des gens de 18 à 60 ans péter un plomb, sauter partout et venir me remercier. Aujourd’hui, évidemment, ils nous disent “on connaît, c’est bon… “. Cette musique n’était plus jouée. On l’a remise en route.

Alex Pan : Si tu es aux platines, c’est qu’on a confiance en toi. Tu vas pouvoir mettre un Bourvil, ” Le Petit Bal Perdu “, et ensuite un truc électronique très pointu, tu crées ton ambiance. A part Greg, les Djs n’étaient pas des professionnels, c’est comme à la maison, tu venais et tu jouais ce que tu voulais. Il y a eu au Baron une ” déprofessionnalisation ” du DJ. Ça c’est retourné contre nous, mais c’était le seul endroit à Paris à se libérer ainsi.

Greg Boust : Je tiens vachement à cette idée là. La musique résiste à tout. Aujourd’hui, on s’est ouvert à d’autres univers. Au Baron, aujourd’hui, ce serait cliché de dire que tu vas rentrer et que tu vas écouter du rock 50.

Il y a aussi cet aspect technique…

Alex Pan : Niveau technique, il faut aussi dire que les choses ont changé avec la technologie. Avant, sur vinyle, c’était extrêmement dur de switcher d’un tempo à un autre, ça nécessitait une vraie maîtrise. Aujourd’hui, si tu n’as pas envie que tes morceaux soient calés, c’est que c’est un choix. Tu peux aujourd’hui faire quelque chose de très construit et technique en passant du coq à l’âne.

Greg Boust : C’est ce qui fait la touche des gens de Tête d’Affiche en général. C’est pouvoir faire ça sans que ça se sente. Au tout début, tout le monde s’étonnait de ça. En ce moment, il y a une envie d’être très bon et très précis, alors les Djs le font, plus personne ne fait un gros cut au milieu des morceaux.

Alex Pan : Il est devenu très facile d’être un bon DJ techniquement. Sinon, c’est un choix artistique. On en a un dans TDA qui est capable d’imposer un silence de 15 secondes à un dancefloor de 2000 personnes, et ça par contre, c’est quelque chose d’ultra respectable.

Avoir ce laboratoire a disposition a pu être utile pour choisir les membres de l’agence ?

Greg Boust : Par rapport à Tête d’Affiche, à une époque, le Baron pouvait être un filtre : les DJs avaient plutôt envie d’y jouer. Il y a beaucoup de gens très pointus, que vous avez déjà pu interviewer, qui peuvent en témoigner : c’est hyper casse gueule. Beaucoup de gens s’y sont rétamés.

Alex Pan : Je pense à des mecs qui remplissent des stades et qui se sont trop mis la pression : ils ont essayé d’intellectualiser ça, d’aller chercher les vieilles pépites etc… Mais non, fallait juste rigoler, se foutre aussi parfois de la gueule du public, qui lui même se fout de la tienne, faire comme à la maison.

Greg Boust : Pour conclure sur le sujet, il y a l’antériorité. Le Baron est arrivé et a cassé les codes d’une époque. Le Baron reste et restera dans les esprits, ça a été le premier lieu comme ça, on nous en reparlera toujours.