Par nature énergivore, la teuf n’est pas tendre avec la planète. Le monde de la nuit en est conscient, et tente depuis une dizaine d’années d’adopter des comportements plus responsables. Mais il aura finalement fallu attendre une catastrophe pour que cette transition écologique s’accélère, et que l’on constate un vrai passage à l’action. En mettant la teuf à l’arrêt forcé, la pandémie de Covid a permis à tous ses acteurs de prendre un peu de recul, et de réfléchir à des moyens d’action plus concrets pour préserver l’environnement. Mais la route vers une teuf vraiment écolo reste longue et parsemée d’embûches…
Le monde de la nuit a particulièrement souffert de la pandémie de Covid-19… et le bout du tunnel semble encore loin. Après 16 mois de pause entre mars 2020 et juillet 2021, les clubs ont été contraints de re-fermer leurs portes depuis le 10 décembre. Mais malgré cette situation compliquée, le monde de la nuit n’est pas resté les bras croisés à attendre que la teuf reprenne son cours comme si de rien n’était. Les organisateurs d’événements ont profité de cette pause forcée pour réfléchir à des fêtes plus responsables, plus respectueuses de la planète.
“Le fait d’avoir subi un arrêt forcé a été un déclencheur, parce que ça nous a permis de prendre un peu de recul sur notre activité“, reconnaît Tommy Vaudecrane, président de Technopol, l’association pour la défense, la reconnaissance et la promotion des cultures et des musiques électroniques, notamment connue pour organiser la Techno Parade et la Paris Electronic Week. “On n’avait plus à courir sans cesse pour mener à bien nos projets, ce qui nous a permis de nous poser des questions, et de passer d’une prise de conscience à un véritable passage à l’acte.“.

Tommy Vaudecrane, fondateur et président de Technopol.
Technopol a profité de cette parenthèse pour lancer un cycle de conférences sur l’avenir de la teuf, avec un gros focus sur les questions de développement durable. Au total, une centaine d’intervenants ont participé à ces réflexions, qui ont conduit à la publication du livre blanc “Danser demain”. Parmi les 70 propositions qu’il contient figure un sujet qui tient particulièrement à coeur à l’association : le circuit court artistique. “L’idée, c’est que les clubs et les organisateurs d’événements puisent les talents dans un rayon de 150-200 km autour du lieu de la teuf. Non seulement ça permet de réduire l’empreinte carbone, mais en plus ça favorise la mise en avant d’artistes locaux émergents.” explique Tommy Vaudecrane. “C’est notre priorité, on y travaille actuellement avec le Collectif des festivals et Music Declares Emergency. Il y a déjà une quarantaine de festivals, des bookers et des artistes qui sont mobilisés autour de cette proposition.“.
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La question écologique face aux difficultés financières
Music Declares Emergency, DJs for Climate Action, Drastic on Plastic… Depuis 2020, les initiatives pour des teufs plus écolos fleurissent comme jamais. Parmi les projets phares de ces derniers mois en France, on peut citer le rapport “Décarbonons la culture”, réalisé par The Shift Project. Fruit d’un an et demi de travail, il dresse un constat détaillé des enjeux énergétiques et climatiques auxquels le monde de la culture doit faire face. Mais surtout, il offre aux acteurs culturels des pistes variées pour passer immédiatement à l’action. Opter pour une nourriture locale et végétarienne, offrir des réductions aux gens qui viennent en transports en commun et en covoiturage, renoncer à diffuser les concerts en 2K ou en 4K… il y a des mesures adaptées à tous les profils d’organisateurs.
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Malgré la prise de conscience actuelle du monde de la nuit, les difficultés économiques engendrées par le Covid-19 risquent d’imposer de revoir les ambitions à la baisse. En effet, lorsqu’on se lance dans le développement durable, les principaux problèmes sont toujours financiers… sans parler de la prise de risque que cela implique, même pour les événements déjà bien installés. “On vend la majorité des billets environ un mois avant We Love Green, donc toutes les décisions techniques, logistiques, salariales qu’on prend longtemps à l’avance représentent un vrai pari“, détaille Marie Sabot, cofondatrice et directrice du festival. “Il faut avoir le courage de se dire qu’on perdra peut-être plusieurs centaines de milliers d’euros. C’est pour ça que certains festivals ne se lancent pas à fond dans l’éco-responsabilité… le risque est trop gros ! C’est là que se situe la difficulté principale.“.
Dans le milieu de la musique électronique et des raves, la question financière revient sur toutes les lèvres quand on parle d’écologie. “Il ne faut pas qu’on soit trop culpabilisateurs non plus, parce que les organisateurs font avec les moyens à leur disposition“, explique Tommy Vaudecrane. “Beaucoup de festivals n’ont pas les ressources d’aller à fond dans le développement durable… Il ne faut pas les pointer du doigt, il faut les accompagner, et c’est là que l’État a un rôle à jouer. D’ailleurs, le Centre National de la Musique va bientôt disposer de subventions dédiées aux initiatives écologiques dans les festivals, c’est un bon début.“.
Tous impliqués pour rendre la teuf plus verte

Collectif Organïk
Pour parvenir à des teufs plus vertes, les acteurs du monde de la nuit ne peuvent agir seuls, ils ont besoin du soutien des pouvoirs publics. “L’État devrait aider financièrement les organisateurs d’événements qui prouvent qu’ils font des efforts pour l’environnement“, souligne Nicolas Persant d’Organïk, un collectif techno éco-responsable créé par des membres de Reforest’Action et Pur Projet. “Ce serait bien plus efficace que ce qu’ils font actuellement, à savoir distribuer des amendes ou interdire l’activité“.
Le ministère de la Culture semble avoir pris conscience de ses responsabilités en matière de protection de l’environnement, en publiant début décembre la Charte de développement durable pour les festivals. Facultative pour le moment, cette charte va permettre d’allouer des subventions aux festivals qui s’engagent à réaliser des efforts pour être plus responsables. “Les festivals qui vont adhérer à cette charte vont toucher des aides pour faire une étude d’impact, ce qu’on n’a jamais eu les moyens de faire pour We Love Green, donc on va en profiter“, se réjouit Marie Sabot. “Cette analyse d’impact va permettre de donner une grille de travail aux festivals qui vont pouvoir identifier leurs priorités pour lesquelles ils vont recevoir des subventions. Ils seront également soutenus pour réaliser leur bilan carbone. C’est un vrai changement de paradigme qui n’aurait jamais eu lieu sans la pandémie et l’arrêt des festivals“. Reste à savoir quels vont être les budgets alloués à cette initiative, pour connaître l’impact réel qu’elle aura sur les festivals français…

Technopol
Au-delà des organisateurs et des pouvoirs publics, les artistes ont eux aussi un rôle à jouer. Par l’influence qu’ils ont sur leurs fans, ils peuvent initier un vrai changement de mentalité. “Une personne du public sera toujours plus sensible à une démarche écologique présentée par son artiste préféré que par son festival préféré“, souligne Tommy Vaudecrane. “Plus on aura d’artistes engagés, plus on aura de porte-voix hyper influents pour faire prendre conscience au public qu’il faut changer ses habitudes.“. Le public a en effet un rôle-clé à jouer pour accélérer la transition écologique de la teuf. Pour en finir avec les fins de soirées à danser dans les monticules de gobelets et de bouteilles en plastique, les teufeurs doivent prendre leurs responsabilités, remettre en question la nourriture qu’ils achètent sur les festivals, revoir la manière dont ils se déplacent. Finalement, c’est le public qui a le plus de poids pour faire changer les choses, comme le résume bien Nicolas Persant d’Organïk : “Si les gens dans les soirées étaient plus nombreux à exprimer leur opposition aux déchets plastiques, s‘ils boycottaient les événements les plus polluants, les organisateurs seraient obligés de modifier leurs comportements. En même pas une semaine, on verrait déjà des résultats.“. C’est plutôt une bonne nouvelle de savoir que nous avons les cartes en main pour imaginer une façon plus responsable de faire la teuf. Le chemin vers des événements zéro carbone reste long, mais si tout le monde s’implique, il n’y a pas de raison que les choses n’évoluent pas dans le bon sens.