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Sébastien Tellier : “Je veux être comme les Lagerfeld, les Dali : intemporel et dans l’époque” (Partie II)

Du 23 au 25, Sébastien Tellier est notre Rédacteur en Chef invité, l’occasion de plonger dans l’esprit trouble et fantasque d’un enfant quadragénaire.

Lire la partie I de l’interview de Sébastien Tellier

Et en revenant sur ce qu’on se disait, cette envie de faire des grands albums qui dépassent la vie et cette envie de jouer, comme avec l’Alliance Bleue qui est une grande aire de jeu, et l’accueil que l’on a réservé à cette grande aire de jeu, je me demande si la pop c’est pas devenu un peu trop sérieux.

Oui et non. Elle l’est à la fois trop et pas assez. On ne prend pas les bonnes choses au sérieux. Il suffit d’allumer la radio pour voir les torrents de boue que l’on déverse. Des radios influentes, il y en a trente, sur ces trente, il y en a 29 tenues par des débiles mentaux. En plus ils s’inter-changent à leur poste, on dirait que c’est tenu par une espèce de mafia. De la pourriture qui défend de la musique qui est de l’imitation de musique d’il y a trois ans. Ce sont des tout petits cycles. Parce que ces gens n’écoutent même pas la musique, ils ont des esprits de porcs, ils s’imaginent ce qu’écoutent les porcs, ils deviennent eux-mêmes des porcs et ces gens-là sont en train de tuer la musique. Ce n’est pas comme ça en Angleterre ou en Australie. C’est comme si petits on enseignait l’art en faisant dessiner les petits avec de la bouse. Voilà ce qu’ils sont en train de faire. Mais d’un autre côté la pop, c’est sérieux parce que la pop c’est un format, c’est couplet-refrain, il y a plein de codes, mais c’est intéressant pour moi parce que ce sont des codes difficiles. Pour faire un vrai tube, un tube qui fonctionne dans le monde, c’est vraiment difficile, ce n’est pas à la portée de chacun. Tu peux en réussir un mais en faire plusieurs, ça réclame une véritable maitrise. La pop c’est assez facile à faire et en même temps ce n’est pas facile à faire et puis c’est un univers qui me répugne parce que il y a tellement d’horreurs par rapport à la Beauté que moi je me réfugie dans mes disques de François de Roubaix. Et il existe bien entendu une belle pop, mais pour moi les radios françaises sont les nazis de la musique, ils sont en train de tout tuer.

Les radios françaises sont les nazis de la musique

Toujours dans la pop, on trouve chez toi une certaine signature, un fil rouge au sein de tes albums qui piocherait chez les grands compositeurs de B.O, type Delerue pour le drame ou Magne rayon bricolage.

Ha oui complétement. Et puis chez François de Roubaix aussi. Pour moi, ces gens qui font de la musique instrumentale, ce sont les vrais amoureux de la musique. Quand on se lance dans la pop, en plus d’être amoureux de la musique, on est amoureux de la célébrité, du vedettariat. De Roubaix, la musique c’est toute sa vie, ce sont des mecs qui se mettent même en retrait vis-à-vis de leur musique. Je me suis construit en admirant ces mecs-là. Mais je me suis rendu compte que je ne pourrais pas exister en restant un mec qui fait de la musique dans son home studio non plus. Je n’aurais pas l’argent pour me payer le studio de Verucai, pour avoir des violons, je ne pourrais pas faire ma musique. Et puis l’époque a changé, qui ça intéresse que je bricole mes bandes ? Personne. Mais je me méfie de la culture américaine, d’un autre côté, voulant trop mettre l’individu en avant. La chorégraphie par exemple, je trouve ça ridicule. Et puis cette culture voulant que tu sois toujours jeune, toujours mince, c’est ridicule. Pour ça, j’aurais une vision assez française. Et puis ma musique correspond à cette idée de la vie parfaite, notamment en chantant en Français : être proche de sa langue natale, ne pas être inquiet de son poids, je m’en fous, aller chez le coiffeur tous les matins, c’est trop chiant. Donc finalement, ce n’est pas que je deviens chauvin mais j’essaie de parfumer tout ce que je fais d’un parfum français, dans l’âme. La vision artistique Française, elle est sympa. On a Truffaut, on a Gainsbourg, on a plein de mecs cools sur qui se reposer même si ça n’aurait aucun sens de refaire ce qu’ils ont fait aujourd’hui. Mais on a un bel héritage. C’est là où pêchent les anglais en ce moment, ils regardent trop les Etats Unis avec le R&B, entre autres et ils ne se renouvellent pas. Les artistes qui renient leurs racines je trouve ça pourri, quoiqu’il en soit. J’ai toujours assumé ma carrière sous mon nom, j’aurais pu m’appeler “The Killer Of Brodway“, pour me faire passer pour quelqu’un à la carrière internationale et puis je l’aurais regretté. Même pour mes enfants, je regretterais de leur donner cette vision ou tu n’as pas le droit d’être gros ou d’être triste : (sur un ton affirmatif, ndlr) “Si, tu as le droit d’être triste”.

 

Parvenir à un certain stade sans avoir à se travestir en somme ?

Mais je me suis beaucoup travesti, sur My God Is Blue, je jouais un rôle encore. Mais il faut savoir définir les buts. Est-ce qu’on est là pour faire semblant ? Semblant d’être jeune, semblant d’aimer une chanson complétement pourrie, ou on est là pour vivre une vie pleine, une vie riche. Il y a rien de pire que d’être la marionnette de quelqu’un d’autre. Etre la marionnette d’une maison de disque ça n’a rien de mieux que d’être la marionnette d’un mari alcoolo. C’est pas génial. Pour être heureux, il faut être le roi de son propre petit royaume, c’est un conseil que j’essaie de transmettre via ma musique. Pourtant je me mets beaucoup en scène, j’invente un nouveau Tellier. C’est assez paradoxal mais je me suis toujours caché derrière la visibilité, sauf sur cet album. Je ne pouvais pas assumer de monter sur scène et de ne faire que ma musique, c’est pour ça que je me vidais des bouteilles de vodka sur la tête ou que j’arrivais en dérapage contrôlé sur les genoux. C’est un manque de confiance en moi. Si j’ai pleinement confiance en mes notes, j’ai pas besoin de tout ça. J’ai essayé de bâtir un truc autour de la musique. Tout ça ce sont des actes d’un mec qui n’a pas 100% confiance en lui. Et en même temps je méprise les mecs qui ont 100% confiance en eux. C’est des gros patatoufs voire d’énormes connards. Les gens qui se remettent pas en question sont les détritus de la société. J’ai signé un contrat avec une maison de disques très tôt, j’avais 25 ans et j’ai rencontré beaucoup de monde comme ça se fait souvent dans ces cas-là et un mot est revenu très vite, c’est le mot charisme. On me disait qu’il fallait en profiter, et je sentais que ça avait un effet sur les gens, on me prenait pour un farfelu ou quelqu’un d’au moins différent. Donc j’ai tablé là-dessus, avec un mélange de force et de mystère et je me suis dit que si jamais j’arrêtais on allait m’oublier. Bon, je suis passé à autre chose, je pense qu’avec celui-ci on va me dire que c’est l’album… comment on dit déjà ? C’est une connerie. Ha oui, l’album de la maturité. Et pourtant personne n’a idée des trucs de cinglés que je vais lâcher derrière. Pour appréhender, il faut avoir un esprit pervers, dans une même interview, je peux te dire presque tout et son contraire. Il faut un peu de perversion pour aimer être en même temps aussi cohérent et incohérent, à me perdre dans mes propres idées. A mon petit niveau, c’est du dadaïsme, je me dadaïse la tête. Pourquoi à l’envers ça serait pas plus joli qu’à l’endroit ? Et puis le dadaïsme c’est une réaction au malheur. Si le monde était heureux, les dadas ça auraient été des gens qui restent glander chez eux, des contemplatifs. Mais en tant qu’artiste il y a une envie de créer quelque chose de différent, pas sur un plan social, on n’est pas des politiques mais de changer une part de l’environnement.

Je méprise les mecs qui ont 100% confiance en eux

Et en parlant de malheureux, j’ai eu ouïe dire qu’on avait détecté très tardivement une dépression chez toi.

Ouais ça a été un vrai problème. Je n’avais rien de spécial mais la glande qui secrète la sérotonine marchait très mal et on l’a découvert vers 31 ans parce que j’étais en hôpital psychiatrique, donc on m’a fait des tests et on a fini par me refiler des cachets pour réactiver cette petite glande. Et c’est bien, ça a donné de nouvelles couleurs à ma vie, je peux l’apprécier à sa juste valeur aujourd’hui. Ça fait huit ans que je suis bien, je suis smooth, c’est plutôt cool. Et j’ai 39 ans, je me suis rendu compte que la frime ça sert à rien, c’est pas ce qui mène vers le bonheur, c’est l’intelligence, la frime c’est de la foutaise, même si j’ai adoré briller en société. Maintenant que je peux capturer un peu de bonheur, j’essaie de le transmettre aux gens. Je veux simplement que la vie soit douce et ça doit se ressentir.

 

Tu faisais partie du crew Chivers à une époque, c’est quoi ton rapport à l’éléctro aujourd’hui ?

Je suis toujours très proche d’eux, SebastiAn et tout, je bouffais avec Kavinsky il y a quelques jours, M. Oizo je le vois moins, il habite à L.A. Je ne me suis pas éloigné d’eux mais de leur musique, j’aime plus l’éléctro. J’ai envie de sentir les doigts qui frottent sur la corde, j’ai envie de charme, et puis passer son concert derrière les platines… C’est ça qui est intéressant avec le dernier album des Daft, ils ont mis un vrai coup de pied là-dedans. Moi je veux être comme les Karl Lagerfeld, les Dali, toujours intemporel, et toujours dans l’époque. Trouver un équilibre entre l’actuel et l’intemporel, c’est l’équilibre sacré. Certains ne vont être que dans l’actuel et je trouve ça dommage pour eux, ça fait des carrières super courtes.

 

Et comment on fait pour être intemporel ? C’est quoi le secret ?

Tu as un truc évident, que tous les bouffons de la musique utiliseraient pour être intemporels : c’est le piano-voix. Mais ça c’est la facilité. Il faut savoir utiliser des sonorités qui motivent, se différencier un peu de ce qu’on entend tout le temps. Et puis réussir dans ses mélodies, ses accords, une âme, quelque chose que l’on aurait pu dire il y a longtemps. Et ce volontaire ? Est-ce que ça sort de mes doigts ? Je ne sais même pas. Je ne sais même pas si mes buts musicaux sont atteints. Faudrait que je sois dans la tête d’un type chez lui dans son salon pour le comprendre. Et puis d’un côté c’est fou comme le contexte dans la musique Française est autodestructeur. Pourquoi vouloir refaire de la musique comme il y a soixante ans ? Tous ces jeunes qui essayent de refaire du Goldmann, qu’est-ce qu’ils ont foutu ? Qu’est-ce qu’ils ont foutu ? Il y a eu Funkadelic depuis et des trucs géniaux, même en France, on a eu Christophe, on a eu Polnareff, on a eu Gainsbourg, et puis même Air, les Daft

 

Question spéciale Cannes : Tu as déjà joué sur un bateau ?

Non, j’ai déjà joué sur une scène qu’on avait construit sur la mer, ça c’était au Liban et les gens étaient sur terre, c’était très marrant. Mais un bateau jamais. Et puis Cannes, j’adore. C’est un festival que je connais comme ma poche. C’est là où j’ai rencontré ma femme donc il n’y a pas que la cuite et la capote usagée (rires).