SebastiAn, de son vrai nom Sébastien Akchoté, est aujourd’hui l’une des figures de proue de la French Touch. Disciple du label Ed Banger, DJ et producteur, il a oeuvré pour les plus grands depuis son premier Opus, Total, de Charlotte Gainsbourg à Frank Ocean, en passant par Saint Laurent. À l’aube de la sortie de son nouvel album, il était de passage au Pitchfork Music Festival Paris, le samedi 2 novembre dernier. Rencontre.
Thirst est ton nouvel album, huit ans après Total, ton premier opus : qu’est-ce qui a changé depuis ?
SebastiAn : À titre personnel, ce qui a changé c’est le fait d’avoir produit pas mal de gens entre les deux albums. On peut dire que ça a en quelque sorte refaçonné ma manière de produire. Et c’était mon intention première. À l’époque de Total et de la montée du label Ed Banger, c’était un son qui débarquait tout juste dans l’industrie musicale, jusqu’à ce qu’il devienne comme une norme, pour ensuite devenir de l’EDM, sa version massifiée américaine. Aujourd’hui, avec tous ces logiciels, tout le monde peut produire ce genre de son électronique chez soi, sur son ordi. De ce fait, je ne voulais pas revenir vers ce son là avec Thirst. L’idée était de ne pas trop se répéter. Mon nouvel album c’est plus un délire personnel qui correspondait aux gens que j’ai rencontrés pendant que je produisais pour d’autres.
Charlotte Gainsbourg, Frank Ocean, Kavinsky, Philippe Katerine… Sans oublier des remixes, des BO de film, ou encore des bandes-son pour Saint Laurent. Tu étais bien chargé visiblement. Comment c’était ?
SebastiAn : Quand Frank Ocean m’a appelé sur Skype, j’étais en slip dans mon salon. Je m’y attendais absolument pas. Et dès le début, après qu’il se soit présenté, il m’a demandé si je pouvais venir à Los Angeles le lendemain et produire pour lui, sans passer par quatre chemins. Il préparait sa troupe pour produire Blonde. Et quasiment en même temps, Charlotte Gainsbourg est revenue vers moi pour demander également de la produire. Ça a été un véritable challenge, avec ces deux projets en simultané complètement éloignés.
L’album de Charlotte ce n’est pas qu’un album : c’est aussi une belle aventure avec elle. Nous avons mis cinq ans à le produire, et pendant tout ce temps, j’ai fait office de sage-femme. Ce n’était pas mon bébé, c’était le sien.
En ce qui concerne les sons pour les défilés Saint Laurent, c’était complètement à part. J’ai atterri dans ce monde grâce à Charlotte et son statut d’égérie, sans y connaitre grand chose finalement. C’était un processus totalement délirant et surtout très court. Sur trois jours, il me fallait proposer un truc cohérent à partir d’informations très vagues, dans un milieu qui m’était inconnu. C’est l’inverse de ce que tu fais pour un album. Il m’est arrivé de boucler un projet pour un défilé littéralement cinq minutes avant le show. Le produit existe quasiment illico, et tu découvres son rendu, finalement, en même temps que les autres. C’était jouissif !
Chacun de ces projets t’a fait évoluer. Quel a été celui dont tu es le plus fier ?
SebastiAn : Sans hésiter, celui pour Charlotte. Pour l’anecdote, on avait eu une sorte de petit accrochage avec Charlotte auparavant, j’étais arrivé bourré une fois et j’avais été trop affirmatif. Pour son album Rest, il fallait reprendre tout le bagage créatif dont elle disposait, le ramener à elle et à sa sensibilité, et insuffler de la French Touch dans tout ça. Rien à voir avec ce que j’avais fait en collaboration avec Philippe Katerine sur Magnum, où il s’agissait plus d’un gag, un gag sérieux bien sûr, sur lequel on s’est marré pendant quatre mois. L’album de Charlotte ce n’est pas qu’un album : c’est aussi une belle aventure avec elle. Nous avons mis cinq ans à le produire, et pendant tout ce temps, j’ai fait office de sage-femme. Ce n’était pas mon bébé, c’était le sien. Je ne faisais que lui apporter mon aide, dans sa recherche de mots, dans la mise au clair de ses idées, dans son insertion dans ce moule français auquel elle n’était pas habituée. Et j’en suis fier parce qu’elle en est fière. Quand tu es producteur, ce que tu recherches c’est la satisfaction de l’artiste.
Et ton album dans tout ça ?
SebastiAn : Mon album à moi est né au milieu de ce bordel-là entre ces multiples projets, notamment celui pour Frank et celui pour Charlotte. Les grands écarts comme ceux-ci, c’est ce que je préfère, puisque l’un nourrit l’autre d’une certaine façon. Pour la petite histoire, qui souligne bien cette idée d’écart, Charlotte a bougé à New York pour confectionner Rest et Frank s’est quant à lui rendu à Londres pour peaufiner Blonde. Un Américain en Europe et une Française aux États-Unis. C’était complexe. Mais plus c’était complexe, plus ça me donnait des idées, aussi bien pour leurs albums que pour le mien. J’ai beaucoup appris pendant cette période de rush. J’ai revu la construction d’une chanson avec Charlotte et j’ai développé une certaine liberté artistique grâce à Frank. Lui, son truc c’était “fais ce que tu penses que j’ai envie que tu fasses”, c’est pour dire. C’est palpitant comme brief.
J’ai composé Thirst en voyageant à droite à gauche, dans des Airbnb différents, etc. Les écolos pourraient dire que c’est un album au taux de carbone très chargé, puisqu’il a été fait un peu partout.

La pochette de Thirst, le nouvel album de SebastiAn
Du coup, tu préfères quoi : être producteur pour d’autres ou pour toi-même ?
SebastiAn : C’est tellement différent que je ne pourrais pas dire lequel je préfère. D’un côté, tu te mets au service de quelqu’un, d’un autre, pour soi, il y a 10 degrés de challenges en plus, puisque tu as à faire à tes propres exigences. Chez certains artistes, c’est névrotique : le degré d’exigence peut augmenter au fur et à mesure. C’est un peu sans fin. Dans un sens tu es plus libre dans ce que tu fais, et bizarrement moins libre aussi, car le poids que t’y mets est encore plus lourd que pour un autre artiste. C’est plus facile d’être créatif pour un autre artiste parce qu’il y a une sorte de filet de secours. En tout cas, majoritaire, ce que je préfère c’est produire pour d’autres. C’est toujours intéressant de rencontrer différents artistes et de travailler sur différents projets avec eux. Ça apporte beaucoup, notamment pour mes propres projets, qui peuvent être très laborieux.
Chaque single sorti récemment est totalement différent du précédent. C’est quoi le concept derrière Thirst ?
SebastiAn : Dans le monde d’aujourd’hui, on fonctionne par playlist, à ce que j’ai compris. À partir de ce moment-là, la cohérence générale d’un disque a perdu un peu de son sens, pour moi. J’ai composé Thirst en voyageant à droite à gauche, dans des Airbnb différents, etc. Les écolos pourraient dire que c’est un album au taux de carbone très chargé, puisqu’il a été fait un peu partout. Je voulais que ça se ressente en l’écoutant. Par exemple, je suis parti voir ma famille à Belgrade, où j’ai d’ailleurs composé le titre Beograd. Ce morceau correspond à l’image que j’avais d’un son et à comment la French Touch sonne pour les Serbes. On y retrouve notamment des sonorités semi-orientalisantes, typiques de là-bas. Chaque morceau correspond au lieu où il a été produit.
Il y a eu un vrai pas entre l’époque des Daft Punk, l’époque de Justice, et aujourd’hui, où la French Touch joue avec la chanson française. Dans huit ans, nul ne sait où elle en sera. Elle évolue et prend forme dans les artistes qui s’y frottent.
Sur la pochette de Total tu t’embrasses, sur celle pour Thirst tu te bats. De l’amour à la violence. C’est quoi le message ?
SebastiAn : Thirst c’est une réponse à Total. Pour le premier, il s’agissait d’une atomisation des égos, avec l’essor de Facebook à ce moment-là, l’égo des artistes qui jaillissaient à cette époque. Aujourd’hui, nous sommes connectés à tout le monde via les réseaux sociaux, notamment à nos ennemis. Je ne fais pas une critique des réseaux sociaux, c’est juste un ressenti mis en image. En voyageant partout et en me connectant au monde, j’avais cette soif de plus. Et il faut parfois faire face à cette soif, la maîtriser, reprendre son contrôle. C’est un peu l’idée. Certains disent en effet que Thirst est plus violent que Total, d’autres disent l’inverse. Je laisse le débat ouvert à ceux qui l’écouteront.
Que sera la French Touch dans huit ans ?
SebastiAn : Il y a eu un vrai pas entre l’époque des Daft Punk, l’époque de Justice, et aujourd’hui, où la French Touch joue avec la chanson française. Dans huit ans, nul ne sait où elle en sera. Elle évolue et prend forme dans les artistes qui s’y frottent. Comme moi. On se revoit dans huit ans, et on voit à ce moment-là ce qu’elle est devenue.

SebastiAn dans la Grande Halle de La Villette, le samedi 2 novembre 2019, au Pitchfork Music Festival Paris
SebastiAn – Thirst
Nouvel album disponible
Ed Banger – Because Music