"Nous avons : Le sens de l'élégance... Vous aussi ? [...] Du savoir-faire et un amour immodéré pour les cocktails et notre métier. Nous n'avons pas : de manque de patience, de mauvais produits, de verres trop petits ou poreux, de dosages trop courts, de temps d'attente trop long, de bière de pression, de carte des vins ..." Telles sont les règles énoncées par cette maison emblématique qu'est le Forvm, l'un des plus vieux bars de la Capitale. Et pour cause, ici, on maîtrise l'art du cocktail depuis plus de 80 ans. Après avoir fermé l'an dernier suite à un rachat par un fond d'investissement du Qatar, l'établissement vient tout juste de rouvrir ses portes au coeur du 2e arrondissement. Une renaissance heureuse et célébrée par les deux gérants de ce lieu rebaptisé le Forvm Classic Bar. L'histoire de cet établissement mythique, le déménagement, la nouvelle carte des cocktails... Pour tout savoir sur cette réouverture, nous sommes allés à la rencontre de Josiane Biollato et Xavier Laigle, les deux gérants de cette nouvelle adresse du Forvm.
Vous voyez, c'était vraiment une affaire de famille !
Villa Schweppes : Bonjour Josiane, tout d'abord une question très simple, pouvez-vous vous présenter et nous raconter également un peu l'histoire du Forvm ?
Josiane Biollato : Je suis la femme du fils du fondateur du Forvm, Jean Biolatto. Son père, Antoine Biolatto, a fondé le Forvm en 1931. Au départ, il était barman dans un petit bar situé à côté du Forvm. Quand un local situé à 10 mètres de son bar a été mis à la vente, il n'avait pas les fonds pour acheter cet espace. Ce sont des clients qui se sont proposés pour lui prêter de l'argent afin d'acheter ce lieu. Antoine Biolatto, d'origine piémontaise, a donc ouvert, sur le Boulevard Malesherbes, la première adresse du Forvm. Il a fait venir son frère Angelo et son beau-frère Tino pour travailler avec lui. Son épouse, quant à elle, s'occupait de la caisse. Vous voyez, c'était vraiment une affaire de famille ! En 1958, Antoine Biollato décède. Sa femme, René Ambrino, continue de gérer le Forvm avec l'aide de ceux qu'on appelait "les tontons", Angelo et Tino. Suite au décès de René en 1971, mon mari Jean Biolatto, alors chef de produit dans la publicité, se souvient d'une promesse faite à son père : " S'il ne reste qu'un bar à Paris, ce sera celui-là ! ". À l'époque, le Forvm faisait déjà partie des bars à cocktails emblématiques de Paris avec le Harry's Bar. Jean décide alors de quitter la publicité et de commencer à travailler pour le Forvm. Il prépare lui-même les cocktails, et change les horaires du lieu. Avant, le Forvm était ouvert dans la journée, et "les tontons" fermaient lorsqu'il n'y avait plus de clients après l'apéritif. Résultat : vers 21h, le bar fermait. Jean trouvait qu'il y avait un véritable potentiel de clientèle en ouvrant plus tard. Il a repris les rênes du bar, a ouvert le soir, et le succès a été au rendez-vous !
Villa Schweppes : Et vous, quel a été votre rôle ?
Josiane Biollato : Je suis traductrice anglais-russe de formation,et un peu d'italien. Au début, nous vivions avec mon mari au cinquième étage au-dessus du bar, mais je ne m'occupais de l'affaire. Je m'occupais à temps plein de nos enfants. Au fur et à mesure, j'ai commencé à m'occuper de tout l'aspect administratif (comptabilité, banque...). J'ai ensuite repris la gérance en 1994.
Villa Schweppes : Puis vous avez fermé le 1er juin 2015, pourquoi ?
Josiane Biollato : En fait, un fond d'investissement du Qatar a racheté tout l'immeuble. En 2008, les Qataris nous ont annoncé un non-renouvellement du bail de notre bar. Après de nombreuses années de procédures judiciaires afin de résister le plus longtemps possible, nous avons finalement rendu les clefs le 1er juin dernier.
Nous avons tout refait à notre manière afin de garder l'ADN du Forvm !
Villa Schweppes : Comment avez-vous procéder lorsque vous avez cherché ce nouvel emplacement ?
Josiane Biollato : On ne cherchait pas précisément dans le quartier de la Madeleine, mais plutôt dans un quartier un peu plus dynamique... et dans une rue sympa ! Surtout, on voulait un espace où l'on pourrait aménager le lieu à notre façon. On savait qu'on allait repartir avec notre boiserie, le mobilier, les juke-boxes, nos tableaux etc... Notre but était d'ores et déjà de recréer l'ambiance de la première adresse. Nous avons donc trouvé cet endroit, non loin de la rue Montorgueil, où était situé la saladerie Jour. Nous avons tout refait à notre manière afin de garder l'ADN du Forvm ! Les juke-boxes étaient également au fond du bar, les tableaux accrochés au plafond...
À l'époque, les gens n'allaient pas dans un établissement, ils allaient chez Antoine !
Villa Schweppes : Justement, que représentent ces photos ?
Xavier Laigle : Il y a une photo par exemple de la première façade du Forvm. Une façade en fer forgé avec "un tambour rotatif" au niveau de la porte. Le nom du Forvm était affiché sous la forme de néons et en perpendiculaire. On peut voir également le nom d'Antoine. À l'époque, les gens n'allaient pas dans un établissement, ils allaient chez Antoine !
Villa Schweppes : Et vous, Xavier Laigle, pouvez-vous nous parler un peu de votre histoire avec le Forvm ?
Xavier Laigle : J'ai fait un CAP de salle. J'ai travaillé ensuite en tant que barman. C'est après avoir fait l'armée que je rencontre lors d'une présentation de Cognac, le chef barman du Forvm qui m'a engagé en tant commis en 1985. Et depuis, je ne suis jamais parti. Aujourd'hui, je suis directeur et chef barman du Forvm Classic Bar.
"Si tu as travaillé au Forvm, tu peux travailler n'importe où !"
Villa Schweppes : C'est donc vous qui avez recruté la nouvelle équipe du Forvm ?
Xavier Laigle : On a opté pour une équipe jeune. Ils ont tous entre 19 et 23 ans. On a aussi pris en compte leur parcours et leur motivation. Je pose souvent la question "pourquoi vous voulez travailler au Forvm ?". Je ne sais pas si on le dit encore, mais à une époque, dans le milieu des barmen, on disait souvent "si tu as travaillé au Forvm, tu peux travailler n'importe où !". C'est un peu comme une école. Par exemple, on a eu dans notre équipe Aurélie Panhelleux qui est aujourd'hui propriétaire du CopperBay. D'ailleurs, Aurélie me raconte encore que certains clients lui posent des questions sur le Whisky, "Aucun souci, j'ai appris avec Monsieur Xavier Laigle, allez-y !".
Villa Schweppes : C'est votre spécialité ?
Xavier Laigle : Oui, je suis l'un des meilleurs connaisseurs et dégustateurs de Whisky. Quand je suis rentré au Forvm, il y a avait déjà une belle gamme de Whisky, c'est Monsieur Biollato qui m'a transmis sa passion pour ce spiritueux.
En 1985, nous avions 280 cocktails à la carte
Villa Schweppes : Et vous proposiez déjà des cocktails à l'époque ?
Josiane Biollato : Oui, contrairement à ce qui se dit aujourd'hui, l'art du cocktail existe depuis de très nombreuses années en France !
Xavier Laigle : En 1985, on avait 280 cocktails sur carte. Il y avait beaucoup de "classiques ", mais la moitié était tout de même des créations du Forvm. Et le barman était tout seul !
Villa Schweppes : Parlez-nous un peu de votre carte actuelle de cocktails ?
Xavier Laigle : Avant, on avait 65 cocktails sur carte, aujourd'hui nous sommes passés à 30. Tout comme la carte des spiritueux qui a été également réduite. Nous avons ajouté les cocktails signature imaginé par Guillaume Guerbois, notre ancien chef barman, qui a travaillé au Park Hyatt Paris Vendome et au Comptoir de la Bourse à Lyon. Il y a le Spritzvm, le Tea Party, l'Elixir.
Avec Madame Biollato, on a également souhaité mettre en avant tous les "grands classiques " des cocktails du Forvm comme la Rose de Varsovie créé en 1956 par Angelo Biolatto, ou encore, le Forvm cocktail imaginé par Antoine Biolatto en 1929. Sans oublier des cocktails très classiques comme le Martinez ou le Bellini. Le but est de faire plaisir et aussi de conforter notre ancienne clientèle ainsi qu'à la nouvelle !
Villa Schweppes : Et si on vous demandait un et un seul cocktail emblématique du Forvm ?
Xavier Laigle : Juste un, c'est impossible. En fait, le milieu des cocktails fonctionne par période. Par exemple, il y a une période dans les années 85-90, où les clients consommaient des cocktails plus alcoolisés et aussi plus sucrés, alors que la tendance aujourd'hui est de faire des cocktails moins alcoolisés et moins sucrés. Il faut s'adapter aux goûts des clients en fonction des périodes, tout en continuant de maîtriser les classiques bien sûr !
En 1985, nous proposions déjà une dizaine de cocktails sans alcool.
Villa Schweppes : Et vous avez aussi des cocktails sans alcool sur votre carte ? On parle beaucoup de cette tendance ? Avez-vous voulu vous adapter à la demande ?
Xavier Laigle : Non pas du tout. Les cocktails sans alcool ont toujours été présents sur notre carte. En 1985, on avait déjà une dizaine de cocktails sans alcool sur la carte.
Villa Schweppes : Donc la demande existait déjà ?
Xavier Laigle : Bien sûr !
Villa Schweppes : Et par exemple, si je ne connais en cocktails comme cela passe-t-il au Forvm Classic Bar ?
Xavier Laigle : Justement, nous sommes là pour vous conseiller. En posant les bonnes questions : est-ce que vous avez une eau de vie de préférence ? (Gin, Vodka, Tequila...). Ou préférez-vous un cocktail plutôt long, frais,acidulé, fruité ou alors, sec ou encore corsé. Si jamais on ne trouve pas l'équivalent de votre demande sur la carte et bien on le crée !
Villa Schweppes : Et vous , madame Biollato, comment allez-vous vivre ce déménagement ?
Josiane Biollato : Comme d'habitude, je serai là tous les jours. Pour le moment, nous n'ouvrons qu'à partir de 18h et jusqu'à 1h du matin. Mais d'ici la semaine prochaine, nous devrions ouvrir dès 16 heures. Nous allons aussi avoir une terrasse chauffée, nous décalerons les horaires à ce moment en proposant des repas légers le midi avec des salades par exemple. On a hâte de voir tout cela se mettre en place !