Après la lecture de Strike A Pose, histoire(s) du Voguing, on a voulu en savoir plus sur la racine de cette danse qui a affolé la fin des années 80 avec Madonna et son clip Vogue. Jérémy Patinier, co-auteur de l’ouvrage, qui s’est penché sur ce mouvement, a accepté de répondre à nos questions. Il nous parle de l’univer
Après la lecture de Strike A Pose, histoire(s) du Voguing, on a voulu en savoir plus sur la racine de cette danse qui a affolé la fin des années 80 avec Madonna et son clip Vogue. Jérémy Patinier, co-auteur de l’ouvrage, qui s’est penché sur ce mouvement, a accepté de répondre à nos questions. Il nous parle de l’univers particulier du Voguing, mouvement né à New York dans les années 80, et qui connait actuellement une seconde vie.
OnVillaNuit : Quelle est votre formation à la base ?
Jérémy Patinier : Je suis journaliste. Mais j’ai monté ma petite maison d’édition, Des Ailes sur un Tracteur, suite à des livres que j’avais écrit qui ne trouvaient pas forcément preneur…
OnVillaNuit : D’où vous est venu cet intérêt pour la culture Voguing ?
Jérémy Patinier : J’ai toujours fait de la danse, et entre autre, du Voguing. Je faisais partie d’une association. Il y a une soirée à Paris, House of Moda, qui, quand elle a commencé il y a un an et demi, a voulu remettre au gout du jour ce mouvement. De plus, un livre signé de la photographe Chantal Reygnault, consacré au Voguing entre 1989 et 1992 est sorti l’année dernière. C’était le seul qui existait sur le sujet et il n’y avait rien en français.
OnVillaNuit : Vous avez donc décidé de vous lancer…
Jérémy Patinier : J’ai commencé à me poser des questions en tant que journaliste. Comment quelque chose qui peut paraître daté, comme le Voguing, peut ainsi revenir sur le devant de la scène ? Pourquoi ça vient à peine de traverser l’Atlantique ? Pourquoi ce mouvement est même allé jusqu’en Russie et que c’est toujours aussi vivace là bas ? Cela a toujours été une contre culture, et je pense qu’on apprend beaucoup sur le monde actuel en regardant ce que produit l’underground.
OnVillaNuit : Pourquoi pensez-vous que le Voguing revient ?
Jérémy Patinier : Il ne revient pas vraiment. Aux Etats-Unis il a toujours été un peu sous jacent, avec des groupes tels que Hercules and the Love Affair ou encore Azealia Banks. On est toujours à la recherche de nouvelles expériences sur le genre, et cette androgynie qui existe en permanence dans le Voguing est très intéressante. Le Voguing, certes, est en cercle fermé dans une petite communauté gay, mais c’est aussi l’espace de tous les possibles.
OnVillaNuit : Quelles sont les raisons qui expliquent pour vous que le Voguing soit resté un mouvement assez obscur ?
Jérémy Patinier : Madonna l’a mis au firmament et l’a tué d’un coup. C’est un peu Attila Le Hun… Elle touche quelque chose et après, l’herbe ne repousse plus ! Quand on fait un truc aussi mainstream que Vogue en partant d’une sous-culture, forcément le développement est tué dans l’oeuf. Mais je ne pense pas que le Voguing possède une énorme propension. C’est assez spécifique aux gays et à la communauté transexuelle black et latino. C’est une petite communauté assez fermée, et c’est un besoin pour ces gens là. Quand tu fais du breakdance dans la rue, tu te montres. C’est fierce et show off. Le Voguing est plus interdit, c’est aussi le besoin de se retrouver entre personnes d’une même communauté.
OnVillaNuit : Pensez-vous que cela peut s’ouvrir à d’autres communautés ?
Jérémy Patinier : Cela fait connaître un mouvement, des sujets de société, mais je ne pense pas que ça infuse d’autres groupes. Pourquoi cela fonctionne en Russie ? C’est parce que les adeptes n’ont gardé que le côté “démonstration”. Si on analyse le Voguing, c’est un mime de l’éternel féminin.
OnVillaNuit : Y a t’il actuellement des maisons de Voguing à Paris ? (Les maisons, ou “Houses”, sont des regroupements de danseurs ou de pratiquants de Voguing, qui s’affrontent pendant les soirées, les Balls)
Jérémy Patinier : House of Moda est une soirée, mais ce n’est pas une maison au sens newyorkais du terme. Il y a la House of Tati, qui est issue de mon association de danse, mais ils ne font pas beaucoup de représentations. A Paris, il y a des élements qui font partie de maisons internationales. Alex Mugler, un américain qui vit ici, est de la House of Mugler. C’est lui qui organise les Balls dans la capitale avec Lasseindra Ninja, une danseuse guyanaise qui fait partie d’une des Houses les plus connues, House of Ninja (certains membres de cette maison ont dansés avec Madonna pour le Superbowl de 2012). Après, il y a des petits groupes français comme la House of Deelishious ou la House of Khan. Il y a aussi beaucoup de très bons danseurs, qui sont repérés quand un américain vient à Paris par Youtube ou Facebook et sont invités à représenter sur place les différentes maisons.
OnVillaNuit : Où peut on voir alors des battles de danseurs à Paris ?
Jérémy Patinier : On peut en voir tous les mois avec le Ball dans un endroit différent organisé par Lasseindra Ninja, Alex Mugler et François Chaignaud, un chorégraphe en résidence à la Ménagerie de Verre, un espace dédié à la création contemporaine à Paris. Il a intégré pas mal de Voguing dans ses performances. Il travaille avec Cecilia Bengolea. J’ai une page Facebook qui permet de suivre l’actualité. Le fait d’avoir sorti un livre déclenche aussi un intérêt. Je commence à avoir des propositions pour organiser des soirées !
OnVillaNuit : Quel est le constat que l’on peut faire en 2012 ?
Jérémy Patinier : Il y a eu un petit moment de flottement, parce que les principales “Mothers” (responsables) de ces Houses sont toutes décédées au même moment. Mais il y a une génération qui essaie de se réapproprier cette histoire. Un travail de mémoire est en train de se faire, une recherche d’ancrage. En France, la lumière commence à se poser sur le mouvement grâce au livre de Chantal Reygnault et un peu du mien. Cela draine des gens, et puis il y a des activistes comme Lasseindra qui essaient de tirer le niveau par le haut. Pour les Balls, elle vérifie par exemple les costumes et demande aux danseurs de venir trois ou quatre heures plus tôt pour se préparer !
OnVillaNuit : La playlist parfaite du Voguing ?
Jérémy Patinier : Le Voguing se dansait d’abord sur le disco et sur la house. L’important ce sont les rythmes syncopés, car c’est une danse qui colle à la musique. Quelques danseurs sont devenus DJs ou musiciens comme Kevin Aviance. Il y a aussi cette chanson de Diana Ross, Love is the message, qui est un peu l’hymne du Voguing. Mais tout est possible !
Propos recueillis par Marine Normand
A Lire : Strike a Pose, histoire(s) du Voguing par Jérémy Patinier et Tiphaine Bressin
Le site des Editions Des Ailes sur un Tracteur
Voguing: Voguing and the House Ballroom Scene of New York City 1989-92 par Chantal Regnault, éditions Soul Jazz Records.
A voir : Paris is Burning, de Jennie Livingstone.