Make It Clap et Didier Piquionne fêtent, cette année, le dixième anniversaire de leurs soirées phares : Hip Hop Loves Soul. À cette occasion, on a recontré le père fondateur d’un mouvement de transculturalité à Paris pour lui poser quelques questions.
Il est très facile de constater l’ampleur que prennent les soirées hip-hop à Paris. Chaque semaine, les clubs sont remplis d’aficionados du boom bap et de ses dérivés. Des clubs les plus “branchés”, aux établissements les plus historiques, la déferlante hip-hop à Paris doit peut-être quelque chose à un homme qu’on a donc d’abord pas mal croisé, puis rencontré : Didier Piquionne.
Villa Schweppes : On t’a pas mal croisé en soirée ces derniers temps : à Electric Bridge, au Comptoir Général… Donc notre première question est : où est-ce que tu sors, à Paris ?
Didier Piquionne : Vous pouvez me trouver un peu partout… Au Titty Twister, à Nuits Fauves, au Comptoir Général que j’adore, d’ailleurs (S/O à Marji et Ama), le vendredi à Party Like, forcément… Mais je ne sors pas tant que ça, en réalité. J’aime les spots éphémères. Sinon, dans un registre plus posé, j’aime beaucoup le Mama Shelter, le Café Barge et le Café de la Presse.
Commençons par le début : peux-tu nous raconter l’histoire de Make It Clap et Hip Hop Loves Soul ? Comment as-tu monté ces projets ? Quelles étaient les inspirations, derrière tout ça ?
DP : Déjà, je vais commencer par me présenter : je m’appelle Didier Piquionne, j’ai 40 ans et suis à la tête de l’agence événementielle Make It Clap. Ça n’a cependant pas toujours été mon métier. J’ai d’abord commencé en agence de comm’, pendant 4 ans, et, par la suite, j’ai décidé de me lancer parce que je suis un amoureux du spectacle. En fait, je suis arrivé dans cet univers par les concerts. J’organisais ça à la Scène Bastille (Le Badaboum actuel, ndlr). Je m’occupais de la D.A du lieu, on me faisait confiance. Je développais mes capacités et je faisais mon expérience. Ensuite, j’ai eu l’envie de voler de mes propres ailes et ai donc monté Make It Clap. D’abord seul, puis j’ai été rejoint par des associés. Le projet, c’était de savoir tout faire : concert, soirée, festival, booking… C’est ainsi qu’est né Hip Hop Loves Soul : via la volonté d’avoir des soirées régulières. Ce qui nous différencie, c’est l’écriture et le show – qui est central. On voulait en faire un rassemblement important. Je n’ai jamais été pour le cloisonnement des genres : j’aime voir les mouvances se mélanger, à l’instar du paysage rap actuel, en somme. Multi-générationnel, et transculturel.
Je n’ai jamais été pour le cloisonnement des genres
Tu dis toi-même être un amoureux du spectacle. C’est d’ailleurs ce qu’on ressent d’abord dans les soirées HHLS : le show est sacralisé. C’est voulu à ce point ?
DP : Au final, chez Make It Clap, on estime être créateurs d’émotions. Créer une émotion, ça veut dire “créer une histoire”. Et l’histoire qu’on a décidé de raconter est liée au spectacle. On est bon sur l’aspect club, mais j’ai voulu y injecter l’amour du spectacle que je ressens. Chacun de mes shows est très écrit. Le show est effectivement au centre de ce que je propose. C’est d’ailleurs ce qui a amené des établissements historiques (et d’autres boites) à nous contacter. On a un positionnement différent et c’est ce qui fait qu’on nous suit dans tous nos délires.
Vous êtes aussi dénicheurs de talents : on vous a vu faire des soirées avec Tory Lanez, ou encore ce soir avec Hudson East. L’aspect label, au final, c’est ce qui vous manque, non ?
DP : On n’y est pas encore. Cependant, dénicher des talents, c’est cool. Je pense à Kalash, par exemple, qui fait partie de notre famille. Aujourd’hui, on veut plus se diriger vers du management. Pour nous, les artistes phares de demain, ce sont les “artistes 2.0” : les DJs / producteurs.

Didier Piquionne au Badaboum lors de la dernière HHLS.

Hudson East au Badaboum lors de la dernière HHLS.
D’ailleurs, vous en avez vu passer pas mal, en 10 ans de soirées. Les moments les plus forts dont tu te souviens, avec HHLS et Make It Clap, sont plutôt bons ou mauvais ?
DP : Alors… Je pourrais vous citer les débuts d’HHLS à la Scène Bastille, ici-même. On avait des files qui duraient toute la nuit, c’était plutôt impressionnant. Ça m’amène à un second bon souvenir : quand le boss de Garance est venu nous chercher pour nous dire qu’on pouvait passer à autre chose en produisant une soirée à l’Elysée Montmartre. C’est lui qui m’a donné envie de faire ce que je fais aujourd’hui, quelque part. Et, franchement, on n’était pas prêts (rires) ! C’était noir de monde. Très impressionnant. Avoir la première soirée régulière à l’Elysée Montmartre, c’est quelque chose de fou. Que des bons souvenirs, à l’exception d’une fois…
On arrive donc au plus mauvais souvenir…
DP : On était débordés par l’affluence et c’est notre première vraie expérience d’une production vraiment difficile.
C’est à dire, concrètement ?
DP : C’était l’émeute dans la rue. On avait 2000 personnes à l’intérieur et peut-être autant dehors. C’était particulier…
Si vous attirez toujours du monde aujourd’hui, c’est peut-être que tu as une recette pour cette longévité ?
DP : Au niveau conceptuel et artistique, il y a une réelle remise en question permanente. On est toujours en train de réécrire nos projets : à chaque rencontre, on propose une expérience. C’est primordial. Chaque édition, chaque soirée, est un collector. Après, côté production, la rigueur est essentielle. Les bonnes et les mauvaises expériences nous ont tout appris. Les gens savent qu’en venant chez nous, ça sera carré. Il y a aussi le choix des lieux… HHLS a toujours atterri dans des spots un peu hors normes ! D’abord à l’Elysée Montmartre, puis au Bataclan, à la Machine du Moulin Rouge, dernièrement au YOYO et, encore plus récemment, à La Clairière.
Busy P est l’un des principaux acteurs de la musique hip-hop. Pour moi, c’est un exemple à suivre.
Et le futur, c’est quoi ?
DP : Permettre à HHLS de devenir vraiment un festival. C’est ce sur quoi on réfléchit. On y travaille. J’espère qu’on pourra faire ça proprement dès l’été 2017. Exclu ! On cherche des spots sympa dans Paris et sa petite couronne. On veut proposer aux gens un voyage inédit.
Tu as du voir émerger plusieurs scènes/mouvements en 10 ans (que ce soit en musique, en événements etc.). En tant qu’acteur et spectateur, quel jugement de valeur tu portes sur tout ça ?
DP : Si on parle juste spectacle, aujourd’hui, il y a une offre qui est tout bonnement énorme. Ce qui n’existait pas ou peu avant. On a des événements très pointus à Paris qui se font en permanence. Des trucs de diggers, c’est fou ! D’un point de vue mercantile, c’est peut-être plus difficile pour les professionnels. Concernant les soirées, je dirais que je suis moyennement impressionné en France. Mais, ailleurs, à l’international, j’adore voir les mélanges se créer de plus en plus. J’adore la transculturalité, les rencontres etc. Par exemple, en 2013, lors de l‘Ultra Music Festival à Miami, il y avait, sur des grosses scènes, des artistes hip-hop. Ça m’a énormément plu de voir se mélanger ces cultures.
D’autant plus que ce sont des musiques parentes, faites sur les mêmes machines. C’est logique, en fait. Tu penses que, par ici, on a plus de mal à comprendre ça ?
DP : Oui, c’est un peu plus cloisonné ici. Encore que… On a des acteurs qui essaient de porter le truc : je pense notamment à Busy P ! Le mec est un des principaux acteurs de musique hip-hop, et, pour moi, c’est un exemple à suivre. Il y a aussi Savoir Faire, Bromance, etc. qui font un excellent travail !
Pour en revenir au Badaboum, tu peux nous parler un peu plus en détails de cette histoire que vous partagez ?
DP : On est franchement honorés d’être ici à nouveau pour être francs. Ici, c’est un spot électro, clairement. On est arrivés avec un format hip-hop complètement assumé : la soirée s’appelle Hip Hop Loves Soul. On leur a proposé ce format afterwork / expos et club. Un truc pointu et innovant et ça a pris. C’est dingue ! Après une première bonne saison, on nous a proposé une résidence tous les mercredis. Ça va dans le sens de ce que je disais plus tôt : faire se rencontrer des mondes qui sont au final voisins, des musiques faites par les mêmes machines comme tu le disais, parfois par les mêmes acteurs. C’est fou !
Et le plus gros défi à relever, c’est quoi, à tes yeux ?
DP : Réussir à faire que des mouv’ comme celui de DJ Snake aux États-Unis ne soient pas des exceptions.