Alors que l’album de The Adelians sort ces jours-ci, le moment est parfaitement choisi pour vous introduire à l’un des secrets les mieux gardés des souterrains : le label Q-Sounds Recordings, fierté du 93 et référence soul française.
Oubliez la musique lounge, qui s’écoute dans un bar décoré façon “Brooklyn”, matinée de R’n’B à papa : il y a ici et maintenant un label qui met un grand coup de pied dans la fourmilière soul. Reprenant aux fondations du genre, réécrivant l’histoire avant l’émergence de Prince, Q-Sounds Recording régale depuis plusieurs années avec des sorties vinyles imparables.
Comment ce registre, plus coutumier des paillettes que des tickets-boisson s’est-il retrouvé à glisser dans l’indépendance ? Qui sont ces gamines de 20 ans qui redonnent au genre une ferveur qu’il avait oublié depuis longtemps ? C’est à l’un des confondateurs du label, Ludovic Bors, qu’on est allé poser ces questions.
La solitude de la soul
“La soul en France a deux problèmes fondamentaux : héritée de l’ère new soul, ” post-Prince”, elle n’a jamais pu se constituer autrement qu’à travers les majors. Dans les 90’s, plein de chanteurs ont pensé qu’on ferait d’eux les nouveaux Mary J Blige. Du coup, il y a eu quelques one-hit wonders, mais jamais de vrais environnement soul. Ce qui aurait pu devenir une scène a été tué dans l’oeuf. Et du côté de la soul old-school, il n’y a jamais eu que des chanteurs 60’s. Et franchement, dès que tu en parles, c’est ” t’as pas honte d’aimer Eddy Mitchell ?””, commence de but en blanc le garçon.
Ludovic est issu du hip hop et de la house des 90’s. Professeur à Bobigny le jour, proche du label deep Qalomota la nuit, il suggère à l’aube de la nouvelle décennie l’ouverture d’une branche “soul” qui prendra rapidement son indépendance, gardant simplement le “Q” de sa maison mère. A ce moment-là, la scène soul en France est un désert. Pour lui, c’est une motivation supplémentaire. “L’idée, dès le départ, c’était justement d’impulser une vraie scène en France”.
Pour ce faire, il va au départ rassembler quelques unes des rares forces déjà présentes dans nos contrées : Rebecca Dry, chanteuse Montreuilloise ou encore les mods des Spadassins constitueront les premières sorties. Mais dans la soul, le concept de “groupe maison”, rendu célèbre par la Motown, revient toujours au galop.
Motown underground
Car autour de Q-Sounds, il y a une galaxie de musiciens qui n’ont qu’une envie : en découdre. Ainsi, quoi de mieux que de se mettre au service de jeunes chanteuses recrutées par Ludovic dans l’atelier musique qu’il anime dans un cadre scolaire ? “Les filles ont rapidement montré une volonté de chanter, de pousser la musique plus loin, alors on a décidé de leur créer des répertoires sur mesure”.
Ainsi naquirent Little Clara, Charlène ou encore Florence, la chanteuse des Adelians, dont les disques font les beaux jours de la maison : alors que rien ne les déterminait à embrasser un destin de leadeuse sur scène, l’histoire qu’elles ecrivent aujourd’hui les mène bien au delà de nos frontières. “Avec Little Clara, on est allé tourné en Allemagne, en Hollande…” explique Ludovic.
Passant par les réseaux punks, garage, 60’s, qui y voit une noble sucrerie, cette folle équipée s’impose doucement mais sûrement comme l’une des références européennes : “Un suedois me disait l’autre jour à quelle point la scène française lui semblait riche. Je tombais un peu des nues : il me citait, Charlène, Little Clara, etc… Mais tout ça, c’est nous”.
Pour autant, pas de mystère : “on les brief très tôt pour qu’elles continuent leur études. On est très clair sur le fait qu’il y a très peu de chances pour qu’elles puissent en vivre un jour”. Car si l’investissement nécessaire est énorme, la rétribution reste celle qu’on attend d’une économie de la musique de niche : “si un jour, on arrivait à faire un vrai bénéfice, ce serait génial, mais il ne faut pas rêver”. Pour autant, ces trois divas de Boboche sont les devenues les fers de lance de la maison.
Une musique populaire à l’ère du tout DIY
Quand ils jouent, ils se réjouissent aujourd’hui de cette capacité à rassembler les générations : “Contrairement au punk, la soul est une musique fédératrice. Un exemple : on a joué au Havre une fois, au Tetris. Le public était présent, c’était gratos. Certes, il y avait pas mal de mods, mais on a aussi vu ce papi qui était venu looké vintage, avec sa petite fille et toute la famille : ils ont tous kiffé”.
Finalement, l’essence de Q-Sounds tient en une phrase : “La soul, c’est une musique populaire sans être une musique de bouffon”. Pour autant, il reste de nombreux défis à ces fervents défenseurs d’une musique indémodable. Dont un, qui mine particulièrement le patron : “Mon regret, c’est que pour l’instant, je n’arrive pas à ramener vers nous les gens qui écoutent de la new soul. Je me sens hyper proche d’eux, on a ce même parcours, avec la new jack, le r’n’b. C’est un peu frustrant”.
“Historiquement, on est une exception. Ce n’est pas du tout dans l’ADN de base du registre. Dans les années 60, on montait des labels de soul avec la volonté de faire pas mal d’argent. ” explique-t-il. ” Plus jeune, j’ai failli signer en major. Je crois que le fait que ça ne se soit pas fait a été une des meilleures choses qui me soit arrivé”.
Il y a une forme charmante de décalage chez Q-Sounds Recording. Ils sortent une musique qui s’avère étonnamment universelle : le charme unique d’un passé fantasmé, sa mise à jour avec des influences riches dignes des années 2010, il y a tout là pour que les kids comme les mamans adhèrent. L’existence d’un tel label acte pourtant du passage d’un large pan de la musique française dans les us et coutumes du rock souterrains. Et montre qu’aujourd’hui, que l’artiste soit vêtu d’une veste à patchs ou d’une robe glamour, il n’est pas prêt d’oublier le temps de cuisson des pâtes. Mais heureusement pour nous, ce n’est pas ça qui les empêchera de continuer à livrer toutes voix dehors leurs merveilles discographiques.