Le premier album des Casseurs Flowters est sorti le 18 novembre 2013. Le duo formé par Orelsan et Gringe raconte en 19 morceaux une journée plutôt pas banale de leur colocation. Les deux rappeurs nous racontent cette collaboration.
Les débuts des Casseurs Flowters
La Villa Schweppes : Votre formation a vu le jour en 2000. Pourquoi avoir attendu 13 ans avant de sortir ce premier album ?
Gringe : Je suis vraiment plus passif qu’Orelsan, qui a toujours été plus discipliné, ambitieux et qui s’est professionnalisé très vite. Et puis, surtout, nous avons vécu une dizaine d’années de colocation, et il fallait vivre cette période pour prendre du recul et en parler. C’était le bon timing surtout parce qu’on sort de deux ans de concerts, j’ai accompagné Orelsan sur scène sur environ 150 dates. Ça nous a donné une bonne impulsion pour faire un album.
VS : Vous n’avez finalement jamais splitté…
G : Orelsan est parti en solo et a rencontré le succès qu’on lui connait, et j’ai trouvé ça plutôt cool de sa part de me demander si ça me branchait de faire un album. Il m’avait déjà invité sur ‘Ils sont cools’ (Le Chant des Sirènes), et on avait eu de bons retours.
O : Gringe était présent sur mon premier album et sur mon deuxième, et puis sur toutes les tournées. Dans nos têtes, il n’y a jamais eu de rupture. A la base, il est vrai que c’est plus simple de faire des solos en premier, et après le groupe, on est plus facile à cerner comme ça. Peut-être que si nous avions sorti en premier cet album là avant mes deux projets, cela n’aurait pas eu le même impact, il aurait fallu se faire connaître.
VS : Vous vous êtes toujours appelés les Casseurs Flowters ?
G : On a eu des blazes douteux au début.
O : On avait “Le Scrabble”, ce qui est naze pour des mecs qui écoutaient un groupe appelé “Puzzle”. Et puis avant ça, on ne s’appelait même pas Orelsan et Gringe, mais Orel et Gringo.
VS : Pourquoi Gringe, d’ailleurs ?
G : Il faut demander à Orel, mais c’est un dérivé de “Gringo”. On a vraiment un vocabulaire qui nous appartient.
O : Son pseudo de rap, c’était ‘Gringo’. Et un moment, on l’a appelé “Grinjeaud” et puis on a fini par l’appeler “Gringe” (prononciation à la française), et maintenant entre nous on l’appelle Jeugue : c’est Gringe en verlan, et on a viré la dernière syllabe. C’est un peu con…
VS : Vous vous êtes rencontrés quand ?
G : On s’est rencontrés en 2000, quand je suis arrivé sur Caen. Je bossais dans un skate shop et Orel s’est pointé. On avait entendu parler l’un de l’autre par des amis communs, et il m’a directement demandé si je voulais monter un groupe avec lui. Je l’ai trouvé très audacieux. Du coup, je l’ai invité à manger dans un restaurant mexicain, et il a pris un steak d’autruche avec un jus de cactus ou un truc chelou, et j’ai vu qu’il avait un potentiel de folie qui m’a charmé.
O : Quand on a mangé au restaurant, c’était marrant, parce qu’on avait 16/17 ans et que je n’avais jamais fait ça avec un pote auparavant. Après on s’est procuré un peu de matériel et on a commencé à enregistrer nos premiers démos.
VS : Que pensez-vous apporter à l’autre d’un point de vue musical ? Pourquoi cette collaboration fonctionne-t-elle ?
G : Elle fonctionne parce qu’on a un mode de vie en commun, et qu’on est potes avant de faire du rap.
O : On avait à l’origine des styles vraiment différents, Gringe venait de banlieue parisienne, du coup, il écoutait beaucoup de rap parisien, qui est une école précise et qu’on a fini par adopter (en faisant quelques entorses). Moi j’écoutais beaucoup de rap américain, et à la base, je ne voulais pas trop rapper, je faisais des instrus. Je faisais plutôt de l’improvisation, donc peu de rimes, je ne rappais même pas dans les temps. Du coup en mélangeant nos deux mondes, on s’est retrouvés sur ce truc, un peu rigolo, certes, mais qui reste du rap.
VS : Vous réécoutez des morceaux que vous produisiez avant ? Vous avez honte ?
G : Il y a des trucs, ouais. Des morceaux de l’époque qui sont passés par la fenêtre de la voiture. A l’époque, quand on passait dans des radios locales, j’étais super fier, et Orel, lui, dès qu’il entendait un truc pas bon, il balançait les cassettes par la fenêtre. On a perdu des archives de fou.
Le concept du “Buddy Album”
VS : On vous a découverts avec “Ils sont cools” : vous avez été surpris par le succès du single ?
G : Carrément ! C’était un morceau de rap assez classique, même si on a un univers où on arrive à amener de l’absurdité quand il faut. Après, je pense que c’est le clip qui a apporté une plus-value au morceau, c’est un travail mortel.
VS : Vous avez l’air de bosser entre potes : vous vous voyez monter un collectif un peu à la ODD Future ?
O : On ne se pose pas trop la question puisqu’on bosse exclusivement entre potes : nos producteurs sont Ablaye et Skread qu’on a rencontrés à la même période. Et puis au fur et à mesure, on s’entoure, alors monter un collectif ça n’aurait pas vraiment de sens, ça existe déjà, c’est un peu ça les Casseurs Flowters, nous et les gens autour.
VS : Avez-vous mis beaucoup de temps à écrire cet album ?
G : On a mis 10 mois de studio, on est rentrés en décembre et on finalisait l’album jusqu’à il y a quelques semaines. Du coup on est passés directement de la partie création à la partie promo. On s’est beaucoup pris la tête sur les textes.
VS : Comment avez-vous choisi les thêmes de cet opus ?
G : On avait un bon prétexte, cet album à deux, pour aborder des thèmes un peu clichés comme l’alcool, les meufs ou les potes. On n’est pas dans l’introspection qu’impose un album solo, mais plus dans une discussion de surface, de rigolade. Ça ne veut pas dire néanmoins qu’il y a moins de travail d’écriture.
VS : Et l’idée de 24 heures en musique, comment vous est-elle venue ?
O : L’idée est arrivée à la moitié de l’album à peu près. On n’avait pas mal de morceaux, et il commençait à être cohérent. On savait que l’on ferait un album particulier, parce que c’est toujours ce qu’on a fait à deux. Au bout d’un moment, on s’est dit que ça pouvait être cool que ce soit en “temps réel”. Il y avait ainsi un fil conducteur, et ça nous permettait de contextualiser les morceaux comme “Prends des pièces” ou “Change de potes”. Tu le comprends plus au milieu de l’album que tout seul.
VS : Vous parlez régulièrement votre album comme un “Buddy Movie musical“, vous pensez à quels films quand vous dites ça ?
O : Le Buddy Movie c’est assez large, c’est tous les films avec “Very Bad” dedans, mais aussi les films de Kevin Smith comme “Clerks”, ou encore ceux de Judd Apatow comme “Pineapple Express”, et même South Park. C’est ce genre de films où il n’y a pas énormement d’action, mais où les dialogues sont bossés et qui dégagent une vraie atmosphère. Même en France, “les Valseuses” ou “les Bronzés”, ce sont de bons Buddy Movies !
VS : Orelsan, tu es assez comédien dans tes clips : tu te vois tourner dans des films ?
O : A la base, je disais non, parce que je me sens pas spécialement comédien, mais à force de faire toutes ces conneries, je trouve ça marrant. Je suis sûr que pour le moment je ne suis pas très bon : j’en ai refusé un max, maintenant je me dis qu’on verra, surtout si on me propose un rôle dans “Les Chevaliers du Zodiaque” (rires).
VS : Dans votre opus, le langage est plutôt fleuri : vous vous adressez à une tranche d’âge précise ?
G : Peut-être que si on n’avait pu, on aurait mis un avertissement.
O : Il y est sur iTunes ! Il y a l’avertissement, le truc explicite et tout. A l’origine, on voulait mettre des avertissements comme sur les jeux vidéos. Pour moi, à partir de 15 ans c’est cool. Je me rappelle écouter de la musique à cet âge, je comprenais tout. En dessous, c’est vrai que c’est tendu.

“Forever Young”
VS : Vous parlez beaucoup d’alcool, de fêtes : à trente ans, ça ne cacherait pas une peur de vieillir ?
G : Si. Il fallait qu’on immortalise cette décennie à faire de la merde ensemble. Après c’est ce sentiment de liberté qu’on a fait durer le plus possible (et qu’on aurait voulu continuer, même si on a maintenant 30 piges et que ce n’est plus possible de faire la même chose). On a toujours un pied là-dedans.
O : Après mon grand-père boit beaucoup plus que moi et fait vraiment plus la fête, alors je ne sais pas si c’est générationnel… A mon avis, ce sont des trucs de tous les âges.
VS : Vous êtes un peu nostalgiques ? Genre “c’était mieux avant” ?
G : Moi, grave. Je suis un peu nostalgique, je l’associe à une période d’insouciance, où on faisait les 400 coups. Il y a aussi plein d’avantages aussi à notre époque actuelle, mais voilà, j’écoute peu la radio, je regarde pas la télé…
O : Je ne suis pas du tout nostalgique. Je préfère maintenant. Malgré ce qu’on pourrait croire quand on écoute “Plus rien ne m’étonne”, je suis bien comme ça, beaucoup plus heureux qu’avant. Je suis content d’avoir des ordinateurs et de ne pas mourir à 30 ans.
VS : Vous pouvez nous parler des instrumentales sur cet opus ? Elles sont très originales…
O : En fait, sur cet album, il y a beaucoup de paroles, pas beaucoup de refrains, pas mal de dialogues, donc il nous fallait des instrus minimalistes qui nous laissaient de la place. Du coup elles fonctionnent principalement sur le rythme. Il fallait que les instrus servent les paroles, et c’était pas évident pour Skread, notre producteur, il a fallu qu’on unisse nos forces, et qu’on déproduise de nombreuses productions.
VS : Sur cet album, il y a la participation d’Izia Higelin et de Mai Lan, comment vous êtes-vous retrouvés à travailler avec elles ?
O : Ce sont des potes à moi. J’ai rencontré Izia en festival, et on passe pas mal de temps ensemble. Mai Lan, j’avais écrit une chanson pour elle, “Les Huitres”, et on a le même guitariste, on s’entend vraiment bien.
VS : Vous avez des punchlines préférées dans l’album ?
G : J’aime beaucoup celle d’Orelsan dans “Manger c’est Tricher” : “Jpicole du Bacardi jfais comme l’Etat j’expulse du Rhum“. C’est là-dessus qu’il a plié le truc !
O : Merci ! Il y en a beaucoup dans l’album, bien à propos, comme celle de Gringe “Plus ça va, plus j’me détache / Déchiré sur les photos : même sur l’périph’, j’souris quand y’a les flashs “?. Je trouve que ça fait mouche.
VS : Quel est l’avenir des Casseurs Flowters ?
G : Divorcer, puis se remarier d’ici 10 piges et sortir un deuxième album.
O : Ouais, on fera un album sur la crise de la trentaine. Là sinon on part en tournée, mais exclusivement dans les boites de nuit. Ça va bien avec l’album et puis ça nous fait bien marrer. On sort de deux ans de tournée, du coup on a besoin de changer un peu d’air.