L’Internet regorge de profondeurs où l’on n’a pas pieds. Ainsi, régulièrement, nous plongerons vers ces eaux sombres pour y décrypter tags, sous-genres et micro-phénomènes. Aujourd’hui : la vaporwave.
Ce 5 mai, sort le premier LP de Fatima Al Qadiri. Et si cet Asiatisch n’a plus rien à voir avec ce micro-mouvement flou qu’est la vaporwave, ses premiers émoluments esthétiques vinrent d’ici. Passage dans les cuisines (vapeur) d’un mouvement embué via une simple question : “la vaporwave n’est-elle que du vent ?“
Oui, c’est suffisamment à l’état gazeux pour que l’on ait du mal à le saisir. De prime abord, la chose à tout d’une farce. Un coussin péteur fait de couleurs fluo, d’obsessions pour les balbutiements d’Internet, de webdesign périmé et d’esthétique de fond d’écran, de musique d’ascenseur (en tant que genre : la Muzak) et de calligraphies japonaises. Cette sorte de chillwave à l’état de givre, noyée dans les nuages d’anxiolytiques et les échos, a émergé en 2011 entre les mains d’interlopes individus comme James Ferraro (célèbre pour avoir composé la musique du répondeur du MoMA). Et depuis ? Depuis ce sous genre du web, reste une nébuleuse difficile à cerner, à moitié morte dans l’oeuf et condamnée à errer dans les limbes de l’Internet. Si éclosion il y a eu, on est toujours pas certains que le genre en soit un.
Non, le mouvement est vraiment codifié. Esthétiquement, la parenté à la chillwave dans la nonchalance et l’état de semi-conscience, à la Muzak dans l’inconsistance, au smooth jazz dans le mauvais goût des harmonies et du seapunk dans le mauvais goût (tout court) est indéniable. Le test ADN ne ment pas. Mais au-delà, le genre connaitrait des codes en sous-texte qui offrent de la lecture pour l’hiver. Notre informateur chez Wikipédia, lui, avance que l’excès de caractères japonais viendrait d’une vision dystopique où le Japon domine économiquement le monde. À vrai dire, si l’on se penche bien dessus, la reprise de l’esthétique 80’s, époque hyper consumériste, avec une ambition très new age ressemble à une satire au huitième degré de l’omni-capitalisme. Un poil à gratter où l’on sample des infomercials et autres télé-achats dans un contexte méditatif ou érotisé pour générer un malaise.
Oui, et non. Le genre est un coussin péteur...de gauche… Plus l’image s’égratigne, plus le poil à gratter prend des atours de cocktail molotov. Si l’on a bien saisi que la vaporwave ne vendait pas du rêve, on comprend mieux pourquoi elle somnole dans de mauvais songes. Au-delà de la moquerie, on distingue un vrai refuge et une portée politique. Dans ce genre surnommé “chillwave Marxiste” on trouve autant de sarcasme qu’une vraie fascination matérialiste. Il y a d’un côté, une volonté de résistance à la fièvre et à la complexité de la technologie moderne en trouvant refuge dans l’esthétique minitel/préhistoire de l’Internet de l’autre une abdication totale au capitalisme. C’est d’ici que vient l’autre surnom de la vaporwave : la “pop accelerationiste“. Concept emprunté à l’accélerationisme, cette notion voulant que la civilisation soit dissoute par le capitalisme dans un processus irréversible, que l’on peut et ne doit pas contrer mais au contraire alimenter afin qu’à son extinction, un nouveau modèle soit pensé. On vous épargnera des portes de sorties type “la vapor c’est du solide” mais on se comprend, derrière le rideau de gaz, on n’est moins enfumés qu’il ne semble.
Fatima Al Qadiri époque Vapor :
Un mix de Dummy résumant l’esthétique du genre :