Première partie de la rencontre au long cours avec nos rédacteurs en chef invités du week-end, Arnaud Rebotini et Blackstrobe.
Arnaud Rebotini, Mathieu Zub – aka Museum en solo – Benjamin Baulieu et Mathys Dubois, nos rédacteurs en chef invités du week-end, nous ont réservé la fraîcheur du tout début de la promo du nouveau disque de Black Strobe. Un moment rare, où les réponses aux questions n’ont pas encore été érodées, qui nous a permis d’aborder le “patrimoine Blackstrobe” d’Elvis au Groupe de Recherche Musicale, de l’internet de la fin du 19ème siècle à la techno. En voici la 1ère partie…
A l’écoute du EP qui sort en septembre, on a été très surpris par cette face B qui est une reprise guitare voix d’Elvis. C’était un défi pour vous, Arnaud, pour vous affirmer en tant que chanteur ?
Arnaud Rebotini : Je tiens à le dire tout de suite : je ne suis pas un grand fan d’Elvis Presley, mais il y a de rares moments où il est absolument génial, comme sur ce morceau. Il a une consonance particulière puisque c’est le seul morceau politique qu’il ait fait. J’ai toujours adoré ce morceau, je voulais le reprendre et il n’était, qui plus est, pas trop dur à chanter.
Museum : On l’a travaillé pour avoir une sorte de surprise pour les promos radio et tout ça, et la première fois qu’on l’a joué tous les deux, dans sa cave, on a pris énormément de plaisir à le faire.
Arnaud Rebotini: On l’a donc enregistré comme face B de l’EP.
L’album est très “rock” et “guitares”. Est-ce que ça marque l’entrée de Black Strobe dans une démarche de véritable groupe de rock ? L’album a-t-il d’ailleurs été spécialement composé en groupe ?
Il y a eu une vraie maturation des morceaux qui s’est faite en groupe.
Arnaud Rebotini : Ça fait assez longtemps qu’on ne fait plus de la musique de DJ. Ça fait un moment qu’on est dans une configuration à la LCD Soundsystem. Tu dis que ce disque est plus “guitares”, mais au contraire, je le trouve justement moins “guitares” que Burn Your Own Church : sur ce nouvel album il y a beaucoup de synthés etc… Mais oui, il y a une vraie volonté d’écrire des chansons et pas des tracks. Sur la composition, j’ai écrit les chansons, les grilles, l’ossature. Ensuite on est parti en repet’ et on les a mises en place. Certains morceaux n’ont pas du tout changé, d’autres ont été énormément modifiés. Et on en a pas mal joué sur scène, aussi. Il y a eu une vraie maturation des morceaux qui s’est faite en groupe.
La pochette fait très “Tennessee”, dans le visuel, la typo, on dirait un album de rock du sud des États Unis. Est-ce que finalement tu ne te considère pas comme un rockeur, quoi que tu fasses ?
Arnaud Rebotini : Je n’aime pas trop le mot “rockeur” en français. Les compos de l’album sont totalement influencées par la Louisiane plus encore que par le Tennessee, mais oui, le sud des États Unis. On écoute tous ce genre de musique, que ce soit blues ou country. C’est une musique qui m’a toujours plus parlé que la pop des groupes anglais. L’idée, c’était de garder tout le côté qui avait bien fonctionné, “I Am A Man”, le blues, et de laisser un peu de côté les aspects indus et métal, dans lesquels je me reconnais moins aujourd’hui. Stockhausen parle, en musique concrète, d’“objets sonores” qui s’assemblent entre eux. En musique concrète, il vont prendre de vrais objets sonores, des bruits de nature, des marteaux piqueurs, ils déforment des voix etc… Ces choses là assemblées créent une pièce. Pour ma musique, j’essaie toujours de faire un peu comme ça : réunir des concepts, des idées, et les faire vivre ensemble et cohabiter pour créer un tout cohérent. Avec Black Strobe, il y a d’abord l’idée qu’on soit des sudistes, noirs, blancs, peu importe, qu’on soit dans le bayou, avec le côté boogie, la boucle, des racines blues, country et même disco, car le boogie est aussi un style de disco…
Museum : Ce sont ces idées là qu’on entend plus dans cet album que dans le précédent. Pour revenir à ce que tu disais tout à l’heure, sur Burn Your Own Church, tu avais “I Am A Man”, certes, mais tu avais aussi un côté plus dur, plus métal qui a totalement disparu sur cet album là. On est sur quelque chose de plus proche de la musique des racines, quelque chose de plus cosy parfois.
Arnaud Rebotini: C’est un peu comme un western italien : c’est un spaghetti. Ça ressemble, de loin, à du blues sudiste, mais ce n’est pas pareil. C’est comme un John Ford comparé à un Sergio Leone. Après Burn Your Own Church, on aurait pu avoir envie d’incarner ce truc là, Black Keys, blues moderne mais pas vraiment, groupe revivaliste. Je ne trouvais pas qu’on avait une crédibilité pour faire ça. On est français, il y a ce parcours électro, tout ça : mélanger ça avec les synthés me semble être une meilleure option. Exactement comme le font Depeche Mode, en somme.
Le premier extrait de Godforsaken Roads, le nouvel album de Black Strobe, en live sur un rooftop:
Justement, la figure du western est omniprésente quand vous composez ?
Museum : C’est ce fantasme des États Unis.
Arnaud Rebotini : C’est comme quand tu écoutes les premiers Nick Cave, les paroles… ce que j’aime aussi dans le blues et la country, c’est qu’il n’y a pas de métaphores dans le texte, tout ce côté européen, à vouloir faire de la poésie, des images à la con, pour finir sur des trucs pseudo-réalistes qui ne veulent rien dire et n’ont pas de sens. Je préfère prendre des phrases qui peuvent avoir des doubles sens, une chansons d’amour qui est en fait, au fond, une chanson sur la liberté, sans se cacher derrière des images… J’aime ce côté un peu… western : l’histoire de base, c’est toujours des mecs qui s’embrouillent et qui se buttent, mais il y a toujours quelque chose derrière.
“I Am A Man” était la bande son du trailer de Django Unchained. Vous êtes un peu sur un créneau proche, esthétiquement, de Tarantino, non ?
Arnaud Rebotini : Je ne sais pas si on est au niveau de Tarantino (rires). C’est un peu le truc de la création : mêler plusieurs objets ensemble pour faire quelque chose de moderne. Pourquoi le blues, le rock, les Rolling Stones remplissent-ils un stade en 45 minutes ? Parce qu’ils reprennent la musique du sud des Etats Unis. Et à cette époque, les gens du sud des Etats-Unis avaient internet avant l’heure. Tu avais tout le monde au même endroit : Noir, Blanc, Crocodiles, Juifs, Pédés, etc… Toute la culture européenne, les influences indiennes, des souvenirs de la culture africaine chez une population qui avait vu son identité presque complètement oblitérée, la musique hawaienne, la musique créole, et tout ça s’est mélangé là-bas dans une musique qui va devenir universelle. Car eux avaient vraiment Youtube avant tout le monde. Cette idée m’a conforté ma façon de voir les choses