Skip to content

Lettre à la Nuit #2 par Eric Metzger

Après un hommage à ses nuits estivales, Eric Metzger, auteur de “La Nuit des Trente” et acolyte de Quentin sur Canal+, nous écrit une deuxième lettre à la nuit, celle d’automne.

Chère Nuit,

On te voit de plus en plus tôt ces temps-ci. Une idée de l’automne, je suppose. Je ne sais pas quel est votre lien, mais j’ai l’impression que vous vous cherchez tous les deux, que tu ne parviens pas toujours à trouver ta place. En hiver tu es d’une franchise glaciale, tandis que l’été ton parfum est si léger ! Mais à l’automne, jolie nuit, qui es-tu ? Tu apparais par surprise à vingt heures à peine, dans ta longue robe ébène. Ce soir, j’ai rendez-vous avec des amis à l’autre bout de Paris, et pour cette fois, tant pis, je laisse mon scooter de côté, je vais marcher, ça fait du bien de se promener, paraît-il, longer les quais, la Seine, tu veux bien m’accompagner ? Tu seras ma cavalière, ce sera l’occasion de faire un peu mieux connaissance…

Notre périple débute en face de la Maison de la Radio, tout à l’Ouest parisien. D’abord l’île aux Cygnes ; une île silencieuse et mal éclairée, repère de joggeurs en sueur qui la traversent d’un jet. Puis la Tour Eiffel avec sa foule de touristes émerveillés et leurs bras métalliques tendus pour selfies émaillés. En face, Trocadéro, Palais de Tokyo, puis Yoyo. De pont en pont.

C’est juste histoire de, et après on rentre promis

Je m’arrête devant le Pont Alexandre III et ses imposantes statues dorées. Le Faust est ouvert, il fait encore assez bon pour y boire un verre. La foule est en costard/ tailleur, soirée afterwork, décompression et rire nerveux. On s’y rend pour oublier sa journée de travail, et c’est précisément parce qu’on cherche à l’oublier qu’on ne parle plus que de ça. Chacun possède son cocktail fétiche, Mojito, Tonic, ou Caïpirinha, tu sais, ce goût qui nous rassure, sorte de madeleine de Proust enivrante, gonflée de souvenirs ! Ces afterworks ont l’allure de grandes messes expiatoires, les boutons des cols de chemises s’ouvrent, libération de la parole ; ça ne finira pas tard, c’est juste histoire de, et après on rentre promis, dodo, pas de beuverie, de toute façon, demain il faut être en forme, tout recommence ! Une Caïpiroska dans les mains, je sirote en te dévisageant. Sur les quais il suffit de baisser la tête pour te regarder, la Seine joue les miroirs ; je me sens complètement idiot à traîner là tout seul, genre poète maudit et cliché, j’aurais l’air bien bête de leur expliquer que tu es ma cavalière pour ce soir. Une fois mon verre vide, je décide de fuir, viens, prends mon bras jolie nuit, poursuivons notre chemin !

.

.

Sur les quais de l’ile de la Cité encore des joggeurs, infatigables, qui frappent le pavé ; ils passent en vitesse devant des groupes d’étudiants assis en train de discuter ; les chanceux viennent à peine de faire leur rentrée. Tu entends ce qu’ils racontent ? Des confidences, des projets, des envies. Pour eux, il s’agit en quelque sorte d’un beforework : gobelet en plastique à la main, l’avenir leur appartient. On a tous été eux. Ils deviendront tous un peu nous. C’est une ronde, tu connais ça…

Puis le pont Saint Louis. Toujours calme ce coin-là lorsque tu poses ton regard dessus. Mais l’averse d’octobre, brouillonne, apparaît soudain ; tu aurais pu me prévenir ! Je cours au hasard, à la recherche d’un abri. Découverte d’un caviste étonnamment ouvert, vingt-deux heures passées, rue Jean du Bellay ; je m’y engouffre, l’air penaud et les cheveux trempés. À l’intérieur, un couple d’Américains, deux Japonaises et une jolie fille habillée en noir, qui goutent différents vins. “De simples clients !”, m’explique l’affable Hervé, le commerçant aux cheveux blancs. Les japonaises rigolent sans cesse, tandis que le couple d’Américains hurle de joyeux “Cheers” alcoolisés, et que la fille en noir trinque avec élégance. Hervé décide de nous faire découvrir sa cave. En bas, sur le mur, partout, des dédicaces gribouillées au feutre : “Des clients qui m’aiment bien…”, sourit-il fièrement.

.

.

L’Est parisien, nous y sommes mademoiselle, fin du voyage. Le bras de la Seine s’épaissit en un gros biceps volumineux. Minuit passée, je pensais notre trajet terminé, mais tu entends cette musique en provenance du quai Saint-Bernard ? Étonnant à cette heure-ci… Du tango. Viens, on va regarder ! Au bord de l’eau, dans un amphithéâtre du jardin Tino Rossi, des couples dansent, légers comme des fantômes. Ils tournent, se retournent, accélèrent puis ralentissent, main sur la taille, étonnant et joyeux, ils se retrouvent ainsi chaque semaine, ivres de musique ; en mesure ils improvisent, piétinent les heures, éventent les minutes : après tout, tu sers aussi à ça, chère nuit, n’est-ce pas ? C’est toujours dans tes bras qu’on oublie vraiment le temps qui passe.

Alors ça y est. Une heure du matin. Nous voilà au pied de la Cité de la Mode. Mes amis sont là-haut, perchés au Nüba. J’entends le mix de Defexperience et sa punk-funk déborder des toits. Tu restes encore un peu avec moi ? On ne finira pas tard, je te le promets. Un dernier cocktail pour conclure la soirée, et après je vais me coucher. Tu auras encore le temps de veiller de ton côté. Et on se revoit bientôt, d’accord ? Tu sais où me trouver.

Je t’embrasse…

.

.

Retrouvez également la première Lettre à la Nuit d’Eric Metzger