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Le retour du vinyle : un plein essor qui cache une crise

Contrecoup du retour en grâce du vinyle : les usines saturent, les prix et les délais montent. Le vinyle deviendrait-il un luxe réservé aux plus gros projets ?

En 2014, le vinyle est redevenu l’un des supports clés de l’achat de musique : entre 2006 et 2013, les ventes ont été multipliées par 8, passant aux États Unis de 900 000 unités écoulées à 7 100 000 selon le Riaa, l’association américaine de l’industrie du disque. De même, le chiffre d’affaire du vinyle y a atteint 162 millions de dollars en 2012, hors réseaux parallèles et labels indépendants (le vinyle étant souvent le support historique de ces petites structures).

Les kids rachètent donc une platine vinyle, leurs parents les ressortent. D’abord, la collectionnite a semblé dominer, avec l’explosion d’un site comme Discogs, site collaboratif de référencements de disques et, depuis 2006, de ventes de particulier à particulier. Puis, rapidement, les disquaires ont repris du poil de la bête : l’établissement d’un shop avec pignon sur rue pour les vendeurs itinérants des Boutiques (devenues Balades) Sonores en 2012, ou encore la naissance de l’International Records la même année.

Qu’y vend-on ? Pour Toma Changeur, patron de la première entité, le partage est simple : “je vends 1 tiers d’occasions et de rééditions, 1 tiers de nouveautés internationales et 1 tiers de sorties françaises indépendantes. On veille à bien “pousser” ces dernières, pour soutenir la scène locale”.

Si le tableau semble idyllique et le marché florissant, la réalité est sensiblement différente : les moyens de production tendent vers une incapacité à répondre à la demande et les usines sont saturées.

Pour comprendre le problème et ses enjeux, nous avons contacté plusieurs patrons de labels indépendants, des distributeurs et Mobineko, une entreprise faisant l’intermédiaire entre les usines et les labels (ainsi que MPO, la principale usine de vinyle française qui n’a pas souhaité nous répondre).

Les quantités augmentent, les délais et les prix aussi

En moyenne, le prix d’un pressage indé représente entre 1 300 et 2 000 € pour 300 exemplaires. “C’est difficile de dire de combien les prix ont augmenté mais de notre côté on ressent cette hausse depuis 1 ans et demi, peut être 2 ans”, explique Remi Laffitte, patron du label Atelier Ciseaux. “Les délais sont un peu perturbants et ça peut devenir très facile de se rater dans le timing promo. Par exemple, on a eu un mois de retard sur un disque récemment, ce qui a fait que la soirée de lancement, ayant eu lieu avant la livraison des disques, n’en était plus du tout une” ajoute de son côté Alexandre Gimenez, l’une des deux têtes pensantes de RPUT Disques, qui couvre les labels Requiem Pour Un Twister et Croque Macadam.

Une augmentation des coûts et de délais qui se répercuterait sur les prix public ? Selon RPUT Disques :

Les prix d’usine ont augmenté d’environ 10 % en moins d’un an, c’est loin d’être négligeable, mais ça reste accessible. Ça impactera surtout notre marge, tout simplement. On ne veut pas vendre un disque plus de 15 €.

Autre conséquence de cette saturation naissante : l’augmentation des quantités minimum de pressage. Les labels alternatifs en France pressent généralement leurs disques à 300 ou 500 exemplaires. Une question de stockage mais aussi de prise de risques. “Le problème vient surtout de la difficulté de trouver un presseur qui accepte encore de faire 300 exemplaires. L’un des plus grands européens, GZ, a arrêté, et il a demandé à ses courtiers d’arrêter aussi de prendre des commandes en dessous de 500. Il reste encore MPO et Record Industry, mais pour combien de temps…” lance Etienne Gimenez l’autre responsable de RPUT Disques. Si toutes les usines imposaient 500 copies, il serait obligé “de prendre moins de risques” et d’utiliser des formats différents, “sans doute la cassette”, pour des projets plus dangereux.

Des machines hors d’usage et l’assaut gourmand des majors

Mais alors, pourquoi, en quelques mois, le système qui semblait annoncer un retour en force de la musique indépendante s’est-il mis à vaciller ? Il s’avère qu’avant le “retour du vinyle”, nombre d’usines ont mis la clé sous la porte. Les dernières survivantes vivaient essentiellement sur des musiques de niche ou la musique électro, friande des maxis. Les usines travaillent aujourd’hui sur un materiel des années 70 et 80, plus aucune entreprise n’osant fabriquer de nouvelles presses. Chez RPUT Disques, on explique que:

Personne n’osera mettre une dîme dans la relance de production de presses : le vinyle reste un marché fragile dans lequel personne n’est assez fou pour faire un tel investissement.

C’est alors que s’opère un regain d’interêt des majors pour le format: celles-ci vont investir dans des ré-éditions et des éditions deluxe. “Les majors s‘y sont remis à grand coup marketing et promotion depuis seulement quelques mois. De fait, quand une usine à le choix entre honorer une commande de 10 000 disques contre 300 pour nous, le gros de leur carnet de commandes est occupés par des projets immenses de majors.”

Jérome Makles, patron du label A Quick One Records, n’hésite pas à jeter la pierre aux stratégies de monopole de certaines usines : “Dans les 90’s et au début des 00’s, MPO a fait la chasse à toutes les presses en France et peut-être même en Europe, pour “contrôler” le marché, voulant anéantir tous les “petits presseurs” et livrant bataille avec GZ en République Tchèque. Résultat : ils ont acheté toutes les presses qui étaient sur le marché, en ont détruit certaines, et ont récupéré le marché des labels indépendants qui tirent à 300 exemplaires.” Une décision compréhensible mais qui pourrait être la source des problèmes actuels.

Le vinyle “indépendant” en danger ?

Un nombre insuffisant de machines, pas assez de certitudes pour concéder aux investissements nécessaires pour enrichir le parc industriel et retour des majors sur le terrains des vinyles : la situation regroupe tous les ingrédients pour, peut-être, mener le support à l’étouffement chez les labels indépendants.

Nos interlocuteurs ont été unanimes: si la situation empire, ils seront obligés de céder le marché aux grosses structures en éditant les projets les plus audacieux, ceux-là même qui en font leur ADN, dans d’autres format. “Le vinyle ne se vend pas plus facilement que les autres supports. Un disque, qu’il soit indé ou vienne d’une major, s’il n’intéresse personne, il ne se vendra pas, même en vinyle. Surtout que les majors, pour du catalogue déjà amorti, continuent augmenter leur prix. Et malheureusement, ce n’est pas parce que le vinyle “indé” sera 30 à 40 % moins cher qu’il sera plus attractif”, explique Jerome Makles.

Une ouverture du côté de la cassette …

En résumé, “la limite est à l’usine et non plus à la demande” explique Martin Labrosse, courtier chez Mobineko.

Si les coûts continuent à augmenter, les délais à s’allonger et les quantités minimum à gonfler, comment le milieu indépendant pourrait-il réagir ? Remi Laffitte nous rassure immédiatement : “L’indépendance, fort heureusement, n’est pas liée à un quelconque format. Le vinyle est, ces derniers temps, le symbole d’une supposée résistance mais ce n’est qu’un support parmi d’autres. L’indépendance n’est pas palpable, c’est une façon d’envisager un projet, de le mener”.

L’illustration du propos vient par exemple du label Celebration Tapes, mené par Francesco Consolini. Depuis sa création, cette structure a décidé de se consacrer entièrement au support cassette et à des projets risqués, édités généralement à 50 exemplaires. “Il y a un retour de la cassette dans les milieux indés, mais je pense qu’il est dû à une recherche d’esthétique particulière – et pas nécessairement vintage d’ailleurs. Le bruit blanc et la compression typique, la dégradation de la bande, la difficulté à passer d’un track à un autre, tout ça en fait un support très caractéristique – que certaines personnes détestent, d’ailleurs. Ce sont souvent ceux à qui il a été imposé lorsqu’il était populaire – mon père se reconnaîtra”.

Si la cassette pourrait être un support refuge pour certaines musiques, elle ne le serait pas pour toutes. Francesco le confirme :

On peut sortir n’importe quoi en vinyle, mais pas en cassette puisque c’est un support qui modifie l’oeuvre – Opal Tapes sont un très bon exemple de cet échange entre l’oeuvre et le support, tout comme Orchid Tapes ou AB Records quand ils en sortent.

L’une des grandes forces de ce support, c’est aussi son coût de fabrication : “Le prix revient à un peu plus de 2 €. Une cassette déjà dupliquée reviendra à un peu plus de 3 €”. Les cassettes se vendent en moyenne entre 5 et 8 € selon les packagings proposés, un support peu onéreux et propice à la diffusion de musiques alternatives auprès d’un public non spécialiste, à condition qu’il soit équipé. Qui plus est, le format permet encore de toutes petites séries, à 50 ou 100 exemplaires.

Seul hic : les dernières usines à assurer la fabrication des cassettes sont soit en Angleterre, soit sur le continent américain:Ce qu’on peut espérer, c’est un retour à de la production en petite série en France, puisque la demande est en hausse. Avis aux boîtes de duplication !”

… ou l’alternative des Lathe Cuts

Autre alternative pour un milieu qui ne semble pas tenir à revenir au bon vieux CD de papa : les Lathe Cuts. De quoi s’agit-il ? Ce n’est ni plus ni moins que l’équivalent du CD-R en vinyle.

Le label Alpage Records passe parfois par un prestataire qui lui grave ainsi des séries hyper limitées. “Nous faisons des Lathe Cuts (gravure directe) car c’est plus simple pour certaines éditions ultra limitées . Il est important pour nous de faire en sorte qu’une histoire existe de la création musicale à la fabrication du disque, sa distribution et sa promotion”, expliquent Amandine Steiger et Vincent Thiérion, qui mènent la structure.

Le prix unitaire d’un lathe cut est supérieur à celui d’un disque d’usine, mais permet une édition moins risquée à des volumes allant de 1 à 50 exemplaires la plupart du temps. Deux défauts, pourtant : la qualité de son est parfois un peu moins bonne, et le prix de vente peut être un peu plus élevé. Reste magré tout un intérêt symbolique. Pour Alpage Records:

L’immatérialité n’a pas de sens dans la culture… Un fichier digital ne peux pas avoir de valeur. C est juste de l’information sans odeur , qui ne vieillit pas. Le collector et les éditions super limitées deviennent une sorte de complément au tout numérique.

“Un futur qui ressemble déjà au passé”

Pourtant, les différents acteurs que nous avons rencontré dans cet article sont assez d’accord pour imaginer la possibilité d’un cycle. Le plus optimiste est Martin, de chez Mobinecko : “C’est déjà arrivé dans le passé : il y a eu une hausse suivie d’une forte baisse, et c’est fort possible que cette hausse subisse le même sort”.

Remi Laffitte, lui, penche plutôt pour l’arrivée d’un nouveau cycle de mode du côté du CD :

Le CD retrouvera sans doute ses lettres de noblesse, les quantités de pressage de vinyles diminueront et les usines accepteront à nouveau les plus petits tirages. Un futur qui ressemble déjà au passé.

Ce qui semble sûr, par contre, c’est que les labels indépendants continueront d’exister aussi longtemps qu’il y aura de la musique à défendre : “L’avenir est incertain. Mais le plus souvent, les label indépendants ont tenus par des gens amoureux du support et du bel ouvrage toujours prêts à des sacrifices” explique Jérome Makles.