Derrière Moodoïd, il existe toute une scène de musiciens aventureux qui ont mis leur folie au service de la musique pop. Ils sont aujourd’hui en pleine explosion. La rentrée s’annonce psyché !
Pour le grand public, Moodoïd tombe de la lune – c’est le cas de le dire – et vient apporter un album sensation sorti comme de nulle part. Pourtant une génération est actuellement en train d’arriver à maturité et d’infliger à la musique française un remake de Pont Saint Esprit 1951.
En effet, des musiciens déforment le patrimoine pop avec délectation, en français, en anglais voir parfois dans des langages abscons qu’ils inventent. Aujourd’hui, le grand public est doucement en train de découvrir ces groupes qui existent parfois depuis près d’une dizaine d’années. Comme s’il avait fallu le temps de laisser mûrir les projets, ou au contraire d’adapter le reste du monde à leurs univers libérés.
Une scène “indie pop rock aventureuse et décomplexée”
Qui sont ils ? Aquaserge, Julien Gasc, Forever Pavot, Dorian Pimpernel ou encore Orval Carlos Sibelius. Ils sont signés sur des labels comme Born Bad Records (en interview ici), Clapping Music ou Entreprise (ici). Selon les intervenants que nous avons rencontrés, les suivants pourraient être Chevalrex, Tara King Th., Eddy Crampes ou encore Cliché.
Comment les reconnaître ? Évidemment au goût absolu de la liberté appliquée à une musique facile d’accès composée et arrangée avec exigence. Laurent Bajon, animateur de l’émission de radio Planet Claire sur Aligre FM et curateur des compilations La Souterraine, qui suit ce mouvement depuis longtemps, le qualifie ainsi :
Je pencherais pour psych pop et plus particulièrement l’idée de “Baroque Pop”. Et ces groupes trempent dans le psychédélisme, dans leurs artworks ou leurs clips.
Julien Gasc, dont les albums solos comme ceux au sein d’Aquaserge sont des marqueurs de cette fronde, nuance : “Ce n’est pas seulement de la musique psychédélique, ce serait réducteur. Nous ne sommes pas tous inspirés par les drogues hallucinogènes, nous ne portons pas tous de foulards dans les cheveux, on ne peut pas vraiment parler d’une révolution psychédélique. Je parlerai plutôt d’une scène indie pop rock aventureuse et décomplexée.“
Le tsunami prend sa source à Toulouse
Dès le début de nos recherches, un élément clé semble rassembler toutes ces formations : elles sont toutes liées à la ville de Toulouse, qui semble avoir été l’incubateur de ce virus vertueux. Ce sont Benjamin Caschera du label Almost Musique et Laurent Bajon qui vont nous éclairer. Pour eux, tout s’est construit autour du groupe Hyperclean, né dans les 90’s: “Ce groupe a été signé sur une major et existe toujours car Frédéric Jean le leader est désormais en solo, à enregistrer et composer sans cesse, sans débouchés commerciaux” expliquent-ils.
Après une quasi implosion, Hyperclean a laissé la place à ce qui n’était qu’un side-project presque humoristique : Aquaserge. C’est autour d’eux que va se former toute une génération de musiciens. Géographiquement, tout ceci connaît un camp de base concret : “L’Electric Mami, la ferme retapée en studio gérée par des musiciens d’Aquaserge. Tous les membres y ont vécu ensemble. Moodoïd y a beaucoup traîné, Hyperclean, Aquaserge, Julien Gasc et Forever Pavot ont enregistré leurs disques là-bas “ precise Benjamin Caschera. Moodoïd nous l’a confirmé : ” Je me suis toujours revendiqué d’Aquaserge. Je suis un peu leur poulain“.
“La plupart de ces groupes sont des amis, que nous côtoyons et avec qui nous avons partagé l’affiche. Nous entretenons une réelle proximité esthétique et, pour certains, affective“, ajoute Johan Girard, de Dorian Pimpernel.
Adapter le monde de la musique à leur folie
Aquaserge ou Dorian Pimpernel existent depuis une dizaine d’années, et ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils commencent à émerger à grande échelle. “Il a fallu se rencontrer, jouer ensemble, faire venir du monde à nos concerts et surtout avoir un attaché de presse” explique Julien Gasc. Il faut aussi se rendre compte que les structures n’étaient pas prêtes à recevoir ces groupes hors normes.
A ce niveau là, tout était à faire. Il continue : “il aura fallu le temps de trouver des moyens, d’avoir de la visibilité, trouver une maison de disques (si on n’a pas monté la sienne), trouver des agences de booking qui puissent trouver des concerts dans les salles de musiques actuelles et des festivals. C’est comme ça que l’on peut être vu et entendu“. En 2007, face au manque d’ouvertures en France, Dorian Pimpernel signent par exemple d’abord au Japon, sur le label Rallye.
Alors que les sphères mélomanes françaises semblent aujourd’hui dérouler le tapis rouge à ces artistes, ça n’a pas toujours été le cas. Chez Entreprise, le label de Moodoïd, on nous explique que c’est une histoire de personnalités artistiques qui prennent de l’ampleur dans un moment de renouvellement du paysage artistique :
La norme synth pop des 10 dernières années est devenue assez ennuyeuse. Les fans de musique ont toujours aimé l’honnêteté et la prise de risques chez les musiciens. Il y a peu de scène en ce moment où ces deux qualités se retrouvent autant que chez les groupes psychés.
Un succès indé en cours de popularisation
Alors que tout le monde annonce un retour des 90’s, il semble que ce soit plus l’héritage des années 60 et 70 qui reprenne la main. Pourtant, les groupes refusent toute notion de “revivalisme”. Pour Johan Girard, cette scène “semble justement présenter l’intérêt d’échapper à la facilité du revival, et de concevoir le ” psychédélisme ” moins comme une période déterminée de l’histoire que comme une certaine approche de la musique, marquée par une volonté de briser le carcan de la composition pop en recherchant des formes plus complexes et des timbres aventureux“.
“On est à la bourre en France” explique Julien Gasc. Le phénomène est mondial depuis les années 90 : “La scène d’Athens avait repris le flambeau psyché, folk, pop, barré. J’ai aussi connu Stereolab et Broadcast qui étaient en Angleterre. Il n’y avait pas grand chose de comparable sur la scène en France“. Sans compter, aujourd’hui, l’explosion de Mac DeMarco, Jacco Gardner et autre libertaires-pop étrangers.
Les labels indépendants ont évidemment été les premiers à mettre des billes sur ces groupes. Born Bad, Clapping, Entreprise, Croque Macadam, 2000 Records pour ne citer qu’eux. Mais aujourd’hui, Aquaserge sont signés sur Chambre 404 et l’album de Moodoid est diffusé par A+LSO, deux filiales de Sony. Preuve de l’intérêt porté à cette mouvance par les mastodontes du marché.
Des “bons points” commerciaux
Elle présente en effet plusieurs “bon points” commerciaux qui laissent penser que le jackpot n’est plus très loin. D’abord, les groupes ont généralement un son très abordable, ce qui leur permet de viser hors des niches indie un public plus large.
Ensuite, la plupart d’entre eux chantent en français, ce qui tend à favoriser un passage en radio à travers les quotas qui favorisent la francophonie. Un argument, tout de même, à nuancer à ce stade : “À ma connaissance, à part Moodoïd, aucun des groupes cités n’est playlisté en radio nationale“. Pour l’instant.
Le troisième point est la longévité de ces artistes qui ont su dresser des rapports de confiance avec une solide base de fans dans les circuits indépendants. Ils ont la bénédiction de l’ensemble – ou presque – de la presse spécialisée et savent maintenant parfaitement se comporter sur scène.
On peut mettre dans cette génération beaucoup d’espoirs. Moodoïd sert volontiers de tête de gondole, les autres bétonnent, la sauce prend : Dorian Pimpernel à Rock en Seine, Aquaserge à la Route du Rock. Les disques se vendent. La France va enfin pouvoir se placer sur la carte du monde de la pop libre, exigeante et psycho-active qui séduit le grand public.