Alors qu’on suit depuis quelques années ses périgrinations, la sortie de son nouvel album Triomphe formait une occasion parfaite d’aller parler intention et positionnement avec l’O.V.N.I. pop que forme La Féline.
Sur l’échiquier de la pop française, La Féline semble depuis toujours jouer aux dames : alors que tout le monde semble rêver de “faire un coup”, Agnès Gayraud avance pas à pas, alignant sa conquête sur le rythme de ses albums. Si certaines choses ne changent pas – le goût d’une pop universaliste – les obsessions évoluent. De Adieu L’Enfance et ses influences synthétiques à Triomphe et ses audaces de jeu en groupe, cette murène continue à serpenter à une vitesse qui lui est propre dans le paysage escarpé que lui propose l’Hexagone. Mises au point et discussions d’intention avec ce cas à part de “musique populaire, mais…”.
Villa Schweppes : Il y a autour du projet un sentiment de “familiarité” ambiant, alors que les débuts sont assez peu documentés. A quel moment naît La Féline, et sous quelle forme ?
La Féline : J’ai toujours fait des chansons, j’ai eu différents groupes. En lançant ce projet, autour de 2008, je n’avais pas envie de m’appeler Agnès Gayraud. A l’époque c’était vraiment marqué “chanson française”. Je voulais une identité plus bizarre, un nom qui se retient, qui puisse aussi sonner dans toutes les langues. De fait ça marche : comme tu dis, il y a ce côté “Ah oui, je connais la Féline”. “T’as écouté ?”. “Non”. Comme quoi c’est plutôt efficace. Vers 2010, on est donc en trio. Le line up du groupe bouge, mais les morceaux vont jusqu’ici pas mal dans tous les sens : si je les écris, chacun a un peu son mot à dire, et ça donne des résultat assez multi-directionnels.
Tu avais du mal à t’y retrouver ?
La Féline : Disons que ça me semblait plus clair quand j’étais moins entourée. A une moment donné, je suis revenu à un format voix-boîte à rythme et guitare réverbérée pour un EP de reprises, Echo. C’est un disque qui a été aimé, on m’a vraiment encouragé à aller dans ce sens. Je suis ensuite parti aux Etats-Unis pour enseigner. C’est là-bas que j’ai composé les morceaux d‘Adieu l’Enfance, avec juste une boîte à rythme et un multipiste. J’ai joué un peu là-bas, et je me suis rendu compte que les gens appréciaient le français. C’est ce qui m’a décomplexé complètement par rapport à ça.
Je veux que ma musique ait de la profondeur, mais pas qu’elle nécessite un vade-mecum.
C’est à ce moment là qu’arrive cette image de “théoricienne du français en musique” ?
La Féline : Par rapport à ça, j’ai passé l’agreg’ de Philo en 2003. J’ai aussi fait ma thèse à ce moment là. Cet aspect a toujours été présent, mais je le cachais. Je me suis dis que les gens s’en méfieraient : “la pop, il ne faut pas faire l’intello”, tout ça. C’est mal vu. La difficulté, ça a été de trouver une voix qui ne correspondait pas à cette idée de “rockeuse philosophe”. Je veux que ma musique ait de la profondeur, mais pas qu’elle nécessite un vade-mecum. Je veux qu’elle provoque des émotions immédiates. Je suis dans quelque chose d’un peu ambigu : les oeuvres commencent seulement à s’imposer d’elles-même. J’aimerais qu’on parle plus de Triomphe que de La Féline. C’est un peu comme si je n’avais pas de lieu en France. La grosse presse, c’est comme si elle se méfiait de moi, peut-être un peu parce que je fais cette musique mais que je ne suis pas chez Barclay.
Entre la réception du projet dans des médias spécialisés, la présence d’intervenants très marqués, comme Mondkopf, et la réalité du projet, à savoir une pop très pure, il y a vraiment un forme de décalage détonnant…
La Féline : Ma tendresse profonde va aux radicaux. J’ai par contre une passion de l’immédiateté. Des fois, je me dis que je fais de la musique facile pour les gens difficiles.

La Féline
N’est-ce pas un peu frustrant, ce décalage ?
La Féline : Parfois, c’est troublant. Je me demande si malgré moi, tout ça respire le truc exigeant et réfléchi, qui peut faire peur. C’est hyper mystérieux pour moi.
Quand on écoute le disque, on se dit qu’il aurait la place pour être nommé dans des raouts comme les Victoires de la Musique. Un peu à la manière d’un Dominique A.
La Féline : D’autres me disent que le disque est hyper compliqué, crypté. C’est pas faux. Je fais la musique que j’aime. Il y a des moments où ça me rend folle de voir que les gens trouvent ma musique compliquée. Je suis là pour caresser l’auditeur, pas le violenter.
Tu es signée sur Kwaidan Records, label assez peu identifié, tu es soutenue par La Souterraine…
La Féline : Kwaidan, c’est que Marc Colin (de Nouvelle Vague, patron du label, ndlr) a trouvé mon disque super et a eu envie d’essayer. Ça aurait été bien qu’il existe quelque chose de plus identifié en France, mais ce n’est pas le cas. Il y a la Souterraine : j’étais sur leur première compilation, et c’est précisément là que je me suis rendu compte que je faisais partie d’une scène plus globale. Jusqu’alors, je n’avais pas l’impression que c’était le cas.
Comment la présence régulière de Mondkopf s’inscrit-elle là-dedans ?
La Féline : Avec Mondkopf, on partage énormément de goût, dans le métal notamment. On est en train de préparer un projet ensemble. La pop, ce n’est pas vraiment son truc, mais ce que je fais le touche, il est à mes concerts depuis 2011. Le positionnement n’est pas anticipé.
Est-ce qu’aujourd’hui, La Féline est Agnès Gayraud, ou est-ce que tu considères cette entité comme un projet ?
La Féline : Il y a encore des nappes de fond musicales qui passent en souterrain. Je vais aller faire du gros son avec Paul, et hop, je vais revenir sur la Féline et ça aura rendu ma musique un peu plus grosse. Mais par contre, j’ai l’impression d’être arrivé à une confiance en ce que je propose sous ce nom qui me satisfait. C’est mon camp de base, c’est enfin en phase avec moi.
Tu n’as que maintenant le sentiment d’arriver à quelque chose de satisfaisant ?
La Féline : Je me dis toujours “tiens j’ai encore de la marge”. Un jour, peut-être, j’arriverai à cette clarté qui me permettra de garder cette radicalité tout en étant vraiment grand public. Arriver, pour moi, c’est synonyme de mort. Je ne veux pas “arriver à quelque chose”. Par contre, il y a des acquis. Il y a du corps dans Triomphe. On est vraiment dans l’incarnation. Ce sont des questions qui m’ont obsédé. J’envisage désormais ma musique de manière plus frontale.