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Koudlam : (Re)Tour de béton

“Les grands esprits avancent masqués disait Descartes”. Et Koudlam porte son masque comme un gant. Comme un charme. Chose confirmée lors de notre rencontre avec celui qui vient de réaliser son Blade Runner dans l’enfer du tourisme de masse.

Des Pyramides de Goodbye aux tours de Benidorm Dream, Koudlam change les décors mais conserve la même hauteur. Sur ce troisième album, il surplombe les êtres depuis sa tour et laisse se dérouler une oeuvre de haut vol. Artiste lettré d’une langue propre, Koudlam réécrit sans cesse son vocabulaire, conservant le verbe haut et dialoguant ici avec l’électronique en des termes brutalistes. Oui la musique de Koudlam est bavarde. Elle raconte, cite, fourche parfois, jusqu’à tarir son dialogue lors d’entretiens : “J’ai horreur des interviews” confie-t-il amusé. On le comprend. Nous aussi. Tout questionnaire mis de côté, aujourd’hui, nous dialoguerons. Il ajoute : ” Je ne me sens pas vraiment bon orateur, j’ai besoin de temps pour réfléchir. Je suis admiratif de quiconque pouvant déballer une pensée intelligente, concrète, profonde, du tac au tac. J’ai un cerveau un peu dégénéré – c’est horrible de dire ça – disons plutôt particulier, happé par la matière et du coup une simple question ouvre un éventail de possibilité qu’il faut que j’observe attentivement. Mais dans le fond, j’adore parler musique, une interview ça permet d’aborder la musique sous un angle différent que si tu discutais avec un pote“. Pour profiter de Koudlam, il faut plus qu’un créneau, mais un format où s’étendre paisiblement, faire du temps un sofa. Nous l’aurons.


La Vérité Moderne

C’est-à-dire que le sous-texte de l’album offre à lire pour l’hiver. Vangelis tape comme un soleil sur le ciment de Benidorm, Koudlam vit reclus dans une tour, elle-même enclavée dans un foyer de tourisme massif et son esprit élabore un Blade Runner propre. Benidorm Dream, est de ces endroits au béton fertile. Koudlam donne de l’épaisseur, un relief cosmique, parfois cosmogonique, parfois ésotérique à une verrue de béton et de verre encombrant la côte Ibérique. Une bourgade réputée pour sa densité rare de tours au kilomètre carré. La tour, un pilier de ce Benidorm Dream, tant celle qui l’abritait, que celles qu’il abrite. “Les tours sont toujours importantes pour moi. C’est le bâtiment du passé et du futur. Et puis toute la science-fiction est pleine de ça. Même d’un point de vue démographique, il n’y a pas de meilleures solutions que de faire des tours et la violence du truc est tout bonnement fascinante. Vivre dans des tours est un sujet qui m’attire, n’importe où, c’est le bon contexte pour être au coeur d’une vérité moderne“.

Les tours sont toujours importantes pour moi

Une vérité moderne. Tandis que le corps est captif, voilà ce après quoi l’instinct coure dans Benidorm, la nuit, sous ses néons, entre ses touristes, aux côtés de ses freaks. Une oeuvre-ville dont chaque titre galope dans les artères de la cité, encombrées de vies et dénuées d’âme, grouillantes et désolées. D’où la densité, le brutal et l’érosion sur les parois de cette oeuvre vue d’un gros strabisme comme une ode au gabber . “Les gens disent ça parce que Negative Creep est sorti en premier. Ça a défini une sorte de prisme par lequel on voyait le disque. En vrai, le gabber, j’y connais pas grand-chose. Et sur Negative Creep, c’est même pas le gabber qui m’a inspiré, la mélodie vient du jumpstyle. Moi, je suis un puriste de rien du tout et j’en ai rien à cirer du gabber, je suis juste un voleur qui chope à droite à gauche tous les éléments qui colleront à mon univers. Ce que j’aime, c’est prendre de la matière, l’extraire de son origine pour en faire quelque chose de nouveau dans une confrontation. Si j’ai pas ça le morceau n’est pas fait. Mais j’ai pas fait un album de gabber “ L’idée l’exaspère, il précise “dès que tu envoies un signal tout le monde s’engouffre là-dedans“.

Les tubes de l’Art Contemporain

C’est vrai que s’arrêter au gabber dans Benidorm Dream, c’est ne voir une sculpture que comme un tas de marbre. Koudlam s’évertue à un art d’idée, presque de processus, où l’album se fait hors de la musique, où l’objet trouve sa matière dans ses contours. Il confirme : “tout le travail de l’artiste est là, tu dois faire des recherches de territoires que tu estimes valables. C’est la matière qui fait germer l’idée en fait“. Le gabber, la techno des 90’s, l’acid, ce ne sont que des pigments dans l’oeuvre de Koudlam. Sa musique est palpable, il aime à en parler comme de la matière et il met sa matière au service d’une grande idée. “La signification d’un fait rencontre une organisation rigoureuse des formes” aimait à raconter Cartier-Bresson quant à son art. Un parallèle tout sauf absurde, surtout lorsque l’on se rappelle de sa collaboration avec Cyprien Gaillard ou de ses concerts à la Tate.

Je voulais un cadre de science-fiction qui me permettait d’imaginer tout ce que je veux

Koudlam est un musicien de ces lieux consacrant l’Art contemporain. Un plasticien utilisant la musique comme matière à modeler. “A l’origine j’espérais être un peintre et je me suis rendu compte que j’étais meilleur en musique et que ça m’évitait bien des tracas. Que c’était bien plus intelligible que le reste. Je me sens comme un musicien conceptuel, en conservant la musique comme art de l’instinct. C’est pour ça que j’aime Cyprien (Gaillard), c’est un poète visuel. Sans sous-titre, je comprends où il veut en venir. Ce sont des tubes, les tubes de l’Art contemporain. Et ça n’entrave en rien l’intellectualisation mais plus tu tends vers le tube plus c’est universel plus c’est difficile

L’adage veut que la beauté réside dans l’oeil de celui qui regarde. Koudlam la soumet à tout regard consentant.

Entendre le monde grouiller

Le regard justement, de Teotihuacan – Cité où L’homme devient Dieu – à Benidorm, Koudlam le conserve braqué sur l’Homme. En vision inversée, néanmoins, avec le temps. Lui qui filmait l’humain en contre plongée, l’observe aujourd’hui avec hauteur (mais jamais de haut). “Je laisse à n’importe qui le soin de faire son analyse sur la dépravation, les arrivages par charters depuis toute l’Europe – il y a de ça c’est clair, je l’ai vécu – je l’exprime simplement dans ma musique de la manière la moins triviale possible. J’y tiens. Parce que tu vas dans les quartiers anglais, tu as des shows dans la rue, tu as des nains avec des putes, vraiment. Je ne porte aucun jugement. Je voulais un cadre de science-fiction qui me permettait d’imaginer tout ce que je veux. Le point de départ de ce truc, c’est un cliché de vision de quelqu’un qui observe juste par ses stores l’activité du monde extérieur. Mais qui ne veut pas se mouiller dedans. J’aime cette sensation depuis tout petit, me sentir à l’écart et entendre le monde grouiller“. Un travail d’ermite épongeant l’activité humaine hors ses murs, élaborant des rêves de Benidorm faits de moutons électriques.

Benidorm Dream est sorti le 13 octobre
Chez Pan European Recordings