À l’occasion des 7 ans de La Machine du Moulin Rouge, nous avons rencontré Marc Resplandy, programmateur du Central, et Julien Delcey, responsable du club.
Le 3 février dernier, La Machine du Moulin Rouge fêtait son septième anniversaire avec une soirée exceptionnelle de 19h à 7h du matin. L’occasion de faire le bilan de ces sept années d’existence, de l’évolution de la programmation aux agrandissements des espaces. Julien est responsable du club depuis son ouverture, alors que Marc s’occupe de la programmation club de l’espace du Central.
Villa Schweppes : Est-ce que vous pouvez nous parler des débuts de la Machine ?
Julien Delcey : Tout a commencé en décembre 2009, quand Le Moulin Rouge à récupéré la Locomotive, une boite qui avait 20 ou 30 ans d’existence et dont ils ne savaient pas vraiment quoi faire. Ils ont appelé l’agence Sinny & Ooko dont je fais partie et qui est composée d’anciens du Divan du monde et du Glazart, et ils nous ont demandé de faire quelque chose de cet immense club qui avait une réputation assez dégradée.
Gros défi !
JD : Oui ! Par contre, on était arrivés pour faire du concert et on n’a pas pu à cause de problèmes de nuisances sonores, alors on s’est dit qu’on allait faire du club. On pouvait déjà sentir les prémices de l’explosion de la musique électronique donc on s’est lancés là-dedans. On a essayé de faire quelque chose d’assez éclectique parce que ça correspondait à nos goûts : ouvrir les portes à des gens qui défendent des esthétiques variées. Ça a commencé comme ça.
Quelle a été l’évolution depuis 7 ans ?
Marc Resplandy : C’est Peggy qui a été la première programmatrice de la salle. Elle a pris la prog’ à bras le corps dès le début, dans une période compliquée où il fallait positionner la salle avec un déficit d’image. Au bout d’environ deux ans, les patrons de la Machine ont voulu étoffer l’équipe de programmation et on est arrivés à ce moment. La prog’ était très éclectique : on passait du généraliste à de la musique très pointue. Et les concerts aussi étaient très variés : hip-hop, rock, etc. Nous, on était les enfants du boom électronique qu’il y a eu à Paris et on a donc insufflé ce côté musique de club pointue, anglaise, allemande, américaine avec des plateaux variés. L’ADN de la Machine c’est ça : avoir des collectifs et des producteurs qui sont totalement différents.
Comment choisissez-vous les artistes ?
MR : C’est très subjectif mais, comme tout programmateur, on essaie de faire la balance entre la qualité musicale et le potentiel public. On essaie de pouvoir faire jouer des petits noms en amenant des gros. Les plateaux super pointus, c’est un peu le rêve, mais ça vient petit à petit. Une grande partie de la programmation repose sur la venue de collectifs qui prennent possession du lieu (tous les vendredis et samedis). Par exemple les soirées We are the 90s qui sont assez généralistes, ou encore les promoteurs techno type Blocaus. Chaque année, on a nos piliers qui font de quatre à six dates par an, des nouveaux qui arrivent, des anciens qui partent… Ça se fait assez naturellement. On fait aussi le tri quand on voit qui travaille bien, qui est sérieux.

Manon, Marc et Julien
Et l’évolution plus générale sur tout le club ?
JD : On a positionné le lieu en tant que club assez rapidement. L’idée de concerts, comme on était limités, n’était pas évidente. On a essayé de mélanger : on ne pouvait pas faire de concerts en début de soirée, donc on a tenté de les faire à 3h du mat’, ce qui est complètement atypique.
Et ça a marché ?
JD : Ça marchait plutôt bien mais le public n’a pas forcément compris et on a aussi été confronté au conservatisme des producteurs, voire au conservatisme des groupes qui voulaient commencer à 21h. La Machine est une des seules salles à Paris où il y a autant d’espaces différents. On a donc a essayé de faire des formats atypiques, à la fois sur l’horaire et l’espace, parce qu’on avait l’équipement. On s’est ensuite élargi sur d’autres disciplines et activités, ce qui a abouti au Bar à Bulles ouvert depuis un an et demi. C’est un “équipement” décalé par rapport au reste du club et on a donc reconstruit un truc en partant de zéro.
Les contrats qu’on fait avec Marcel Dettmann par exemple, c’est le boss du Moulin Rouge qui les signe.
Comment est né le projet du Bar à Bulles ?
JD : Le Bar à Bulles était une salle sous-exploitée. Elle était petite, vieille, moche. Ça pouvait fonctionner façon second degré, dans des contextes extrêmement particuliers, mais bon… Tout le monde court après de l’espace à Paris, donc on a tenté de la transformer. On a commencé à faire entrer la lumière du jour – histoire de quitter le côté bunker qui était assez affirmé à la Machine. On a aussi commencé à travailler sur de la journée, du début de soirée et sur une entrée libre.
Pour que ça amène un autre public ?
JD : Ça multiplie nos jours d’ouverture, ce qui nous permet d’avoir plus d’activité et d’avoir un projet qui s’autofinance. Ce qu’il faut savoir, c’est que La Machine n’existe pas sans son voisin parent, ayant le même propriétaire : Le Moulin Rouge. Les contrats qu’on fait avec Marcel Dettmann, par exemple, c’est le boss du Moulin Rouge qui les signe ! C’est un peu bizarre mais ça a été une volonté de leur part d’appuyer ce projet, de le financer pendant un certain temps, parce que c’était dur au début. Puis on s’est emparés du truc. Il y avait un imaginaire associé à la salle, de par ce voisin mythique, qui était quand même un peu dingue ! On a cet espace qui est complètement atypique et, en plus, on a un contexte historique qui est rare ! On s’est pris au jeu et on s’est dit qu’il fallait qu’on trouve différentes façons d’exploiter le lieu, qu’on retrouve un esprit de liberté. Donc ça part dans tous les sens !

Le Bar à Bulles

Le Bar à Bulles

Le Bar à Bulles
Comment définiriez-vous le concept aujourd’hui ?
JD : Je pense qu’aujourd’hui on veut vraiment être un lieu pluridisciplinaire et on veut aussi affirmer ce que c’est un “lieu”. De nos jours, tout le monde veut faire des festivals. C’est un truc de dingue ! C’est devenu une tarte à la crème…
MR : C’est un peu le fantasme…
JD : Mais nous, on souhaite revenir à un truc pérenne, à quelque chose de quotidien. Ça oblige à prendre les choses de manière différente. Et là, on a le temps. C’est tout bête mais on a le temps de développer des idées, d’essayer trois fois avant que ça marche. On peut prendre des risques.
Vous avez des exemples de risques pris sur des soirées ?
JD : Par exemple, on a lancé un projet qui s’appelle “Tap Water”. Des gens qu’on connaissait avaient besoin d’un espace pour se retrouver, faire des soirées où ils allaient danser en toute liberté en buvant de l’eau du robinet – d’où le nom “Tap Water”. On a construit un concept avec eux : Dancing Heroes, basé sur la danse. On ne partait de rien ! Petit à petit, on a fait monter la sauce et ça a culminé au mois d’août lors d’une nuit avec Octave One, où c’était juste la folie ! On avait la satisfaction d’avoir amené des gens qui, un an plus tôt, ne seraient sûrement pas venus à ces soirées.
MR : C’est d’ailleurs un projet qui n’est pas forcément une rentrée d’argent pour nous. C’est plus un “développement”, quelque chose qui nous tient à coeur et qui nous plaît…
“Ce serait énorme de voir le soleil se lever dans le Bar à Bulles. Voir la lumière du jour qui commence à pointer, alors que t’es en pleine teuf…”
Pouvez-vous nous parler des projets pour cet été ?
MR : Chaque été, c’est une période compliquée pour les clubs d’intérieur : à partir du mois d’avril, dès qu’il fait beau, le Parisien a envie de prendre le soleil, de danser en extérieur et c’est humain, on ne veut pas s’enfermer. Donc chaque été, c’est un défi pour la Machine de trouver une programmation cohérente avec la période, d’attirer les gens. Cette année, on souhaiterait faire un nouvel espace avec le Bar à Bulles ouvert toute la nuit, concentrer la programmation musicale sur La Chaufferie et jouer des espaces pour mettre à la disposition du public une configuration inédite. Et il va y avoir un autre espace à venir, une terrasse. On aura une jauge réduite et ce sera une programmation 100 % Machine, ce qui qui n’est pas arrivé durant ces sept années.
JD : Et le projet est né du fait qu’on s’est dit que ce serait énorme de voir le soleil se lever dans le Bar à Bulles. Voir la lumière du jour qui commence à pointer, alors que t’es en pleine teuf, on trouve l’idée assez cool…
Pouvez-vous nous parler du projet Dada Temple ?
MR : C’est un projet porté par Théo, du collectif Midi Deux et qui a commencé à travailler avec nous il y a un an et demi. On avait déjà initié un premier projet en 2012 avec du booking super quali et pointu, dans l’air du temps de ce qui se faisait en Angleterre ou en Allemagne. Ça a duré environ un an et demi. La Chaufferie “marchotait” et, un jour, on a proposé à Théo de devenir le programmateur de cette salle pour initier un projet global, autant sur la programmation que sur l’esprit, la communication et sur le lieu en lui-même. Il a fait beaucoup d’aménagements, sur le son, la scéno, les lumières et donc le projet “Dada” reste dans la ligné de ce qu’on avait commencé à faire : des programmations assez pointues, des musiques de niche. La salle le permet avec sa capacité de 400 personnes. C’est la salle où on peut prendre des risques.
Est-ce que vous vous faites plus plaisir aujourd’hui dans la programmation, est-ce que vous prenez plus de risques ?
MR : On s’est toujours fait plaisir, la Direction ne nous a jamais mis de barrière, jamais donné de consignes. On a pris des fours comme tout le monde mais on a toujours été libres. Or la moyenne de fréquentation, depuis que je suis là, est en constante augmentation, chaque année… C’est donc que ça marche !
Bilan positif alors ?
JD : Bilan super positif !
MR : Tout le monde a le sourire ce soir !
JD : Et un club, c’est aussi son équipe : si aujourd’hui il y a une fierté à avoir, c’est celle d’être une équipe hyper solide et solidaire…
Quels sont les projets à venir ?
JD : Pas mal de rénovations. Et on est en train de trouver des solutions pour faire plus de concerts, c’est très important pour nous, on n’attend que ça. C’est aussi la création de nouveaux espaces.
MR : Le fameux lever de soleil…
JD : Et on va rénover les toilettes et le fumoir. Ça peut paraître très bête, mais c’est hyper important.
MR : Il y a encore des gens qui disent que c’est le pire fumoir de Paris mais, bientôt, on aura le meilleur…