Cela fait maintenant 20 ans que Sven Løve et Greg Gauthier ont monté les soirées Cheers, des fêtes organisées pour les amoureux de house garage. Rencontre avec Greg Gauthier avant leur anniversaire le 30 janvier au Badaboum.
La Villa Schweppes : En 20 ans de soirées Cheers, quels sont les souvenirs qui vous resteront à tout jamais ?
Greg Gauthier : Quand on avait une salle pleine chantant et ressentant le morceau aussi profondément que nous. Je pense en particulier à certains titres que l’on jouait régulièrement comme “Fade” (Solu), ou “Thats The Way Love Is” (Ten City). Cette communion est, il me semble, ce que recherchent tous les DJ’s. Et comme il s’agissait de morceaux que l’on entendait rarement en club, on peut dire que c’était ça ces moments inoubliables…
Et le pire ?
GG : Rien de vraiment terrible, juste quelques soirées en province ou à l’étranger que l’on n’aurait pas dû accepter. On s’est parfois retrouvés, avec Sven, devant un public qui n’avait visiblement jamais entendu ce genre de musique et qui n’était pas prêt pour la comprendre. Ce sont les “petits” risques du métier… Sans oublier les quelques salles vides, également… Je me souviens aussi qu’on a dormi devant la gare de Reims en plein hiver !
Le Badaboum comme choix de club pour fêter vos 20 ans, c’était une évidence ?
GG : Oui. Le critère numéro 1, c’était le sound-system, ensuite le lieu et son identité musicale. Le Badaboum est un vrai club house avec une équipe et une capacité qui correspond a nos besoins : tous les éléments sont réunis !
Sven y joue déjà régulièrement et on s’est dit que mélanger l’énergie du public – plus jeune – du Badaboum et les gens qui nous suivent depuis longtemps ferait un bon cocktail. On aime ce mélange des jeunes et moins jeunes, des gays, hétéros, des trainspotters, des danseurs… C’est une des conditions nécessaires pour une bonne soirée house !
L’âge d’or de la Cheers ? Personnellement, je dirais que c’était à l’époque de La Coupole !
Certains disent qu’en fait vous avez commencé à organiser vos soirées Cheers au What’s Up à Bastille, et ceci dès 1990. Vous fêteriez alors plutôt les 25 ans de la Cheers… ?! Vous pouvez nous démêler le vrai du faux ?
GG : Il est vrai qu’entre 90 et 96, on a joué dans pas mal de lieux improbables comme la cave d’un syndicat anarchiste à Saint-Ouen ou dans des raves plus ou moins sauvages et dans beaucoup des soirées privées. Mais la première soirée “labellisée Cheers et ouverte à tous” a eu lieu en 96, à L’Erotika (Pigalle). Pour l’anecdote, on y avait monté un live avec un jeune chanteur – inconnu alors – du nom de Benjamin Diamond. Pour les besoins de ce live on avait composé un morceau avec un autre presque inconnu… un certain Thomas Bangalter. D’ailleurs, ça serait intéressant de retrouver le D.A.T !
Quoi qu’il en soit, on fêtera bel et bien les 20 ans officiels de la soirée le 30 janvier !
L’âge d’or de la Cheers, vous diriez que c’était où ? À La Coupole, au What’s Up ou plutôt au Djoon ? Et quand ?
GG : Personnellement, je dirais que c’était à l’époque de La Coupole ! Quand on a démarré la soirée là-bas, le dancing était inutilisé (il n’y avait absolument rien). Du coup, je pense qu’on y a laissé une empreinte vraiment unique. Le lieu était magnifique, la sono réglée par nos soins, on avait même choisi les barmans qui étaient les plus cools de la terre ! Et puis, avec le temps, on a réussi à fidéliser un vrai public que l’on ne voyait pas ailleurs. Résultat : musicalement, on était parfaitement libres et sans doute plus matures aussi. Bref, pour toutes ces raisons, ces soirées étaient géniales pour nous.
Ceux qui ont connu les années 90 à Paris et l’ennui chronique de cette ville ne peuvent que s’émerveiller de la démocratisation du clubbing
Quel est la meilleure fête que vous ayez organisée de tous les temps ?
GG : On a toujours préféré les résidences aux événements ponctuels. Ça permet de construire des choses beaucoup plus intéressantes. On a commencé à une époque où, à Paris, c’était le règne absolu de la happy house, une musique vraiment affreuse. Notre but à nous était de faire découvrir une musique qui n’existait quasiment pas à un public qui n’existait pas encore. Donc on partait de loin… Pour ça, on avait besoin d’un rendez-vous hebdomadaire pour fédérer ce nouveau public. Avec l’émission sur FG tous les dimanches et la soirée en club le samedi ou vendredi, on avait une formule parfaite.
Du coup, pour répondre à votre question, je le vois plus comme un truc global : on a eu des résidences quasi chaque semaine entre 1994 et 2002. Si vous calculez le nombre de fêtes, ça en fait un paquet et la plupart avait toute ce truc spécial qui nous faisait vibrer ! Mais, sinon, je pense que beaucoup de gens se souviennent aussi de nos fêtes au Jardin d’Acclimatation. C’était l’été, et 2 000 personnes venaient écouter de la house toute la nuit dans ce jardin à Paris. Fou !
Aujourd’hui, plein de clubs font un super boulot. On attend juste d’y entendre un peu plus de soulful !
En 2016 vous aimez sortir où ? Vous êtes fidèles à des clubs/des soirées ?
GG : À Paris, aux soirées de tropical discothèque, Mona, Haïku, Free Your Funk, Motown ou encore pour Les Dimanches de Gilles Petterson et puis au Djoon, bien sûr ! À Nantes, j’aime beaucoup le Lieu Unique.
Côté clubs parisiens, on peut dire que Le Badaboum, Concrete, Le Wanderlust et Le Nüba (et je sais que j’en oublie plein !) font un super boulot. On attend juste d’y entendre un peu plus de soulful ! Il y a aussi quelques clubs plus nouveaux dans lesquels je ne suis pas encore allé et qui me rendent curieux comme Le Virgo.
Je pense que, les gens qui ont connu les années 90 à Paris et l’ennui chronique de cette ville ne peuvent que s’émerveiller de la démocratisation du clubbing depuis quelques années. À l’époque, il y avait une poignée de vieux club à Paris, tenus toujours pas les mêmes personnes et où la musique était désespérante. Aujourd’hui, c’est trop cool de voir toutes les semaines autant de clubs blindés de gens d’à peine 20 ans, et avec des sound system corrects. Ça me paraissait tellement une utopie il y a 10 ans… Je pense que c’est beaucoup lié au changement de politique de la Mairie. J’aurais juste aimé que ça arrive plus tôt ! Même si les styles musicaux ne me parlent pas toujours, je dis bravo aux gens qui ont su se battre pour que ça soit possible.
Et avec le recul, la fête c’était mieux avant, alors ?
GG : La musique était nouvelle, donc forcément plus excitante. Mais, pour le reste, je préfère 100 fois la diversité d’aujourd’hui.
Comment vous expliquez que, depuis quelques années, des artistes comme Kerri Chandler ou encore Laurent Garnier (pour ne citer qu’eux) jouent de nouveau autant à Paris ?
GG : Le nombre de bons clubs orientés musique à Paris n’a plus rien à voir. Plein de gens découvrent en vrai de grands artistes qu’ils ont connus via le net. La nouvelle génération de clubbeurs est plus ouverte musicalement, plus curieuse et souvent très cultivée. Et les clubs sont moins sélectifs pour la clientèle que dans les années 1990 ou 2000.
Les artistes qui me touchent vraiment sont souvent des gens de mon âge pour être honnête
Vous trouvez que la scène actuelle est aussi créative que celle que vous avez connue dans les années 90 ?
GG : Non et c’est un des seuls bémols. Je trouve que, musicalement, les trucs qui marchent aujourd’hui sont souvent des copiés/ collés de morceaux qu’on avait découvert à l’époque. Et puis je trouve souvent la musique actuelle assez vide en émotion. J’ai l’impression que, de nos jours, les gens se concentrent plus sur des productions qui sonnent vraiment énormes, ce qui ne m’intéresse pas énormément. Il y a une sorte d’obligation d’efficacité, une surenchère que je ne trouve pas nécessaire. La musique de club a fêté ses 40 ans et, depuis, rien de vraiment novateur n’est apparu. Les artistes qui me touchent vraiment sont souvent des gens de mon âge pour être honnête. Mais je ne désespère pas, je reste ouvert et attentif !
Donnez-nous un ou plusieurs titres de house garage qui sont, pour vous, le ou les plus représentatif(s) de cette époque des débuts de la Cheers.
GG : Bas Noir – “I’m glad you came to me”.
Basic Black – “Don’t make me fall in love” .
Michael Watford – “Luv 4-2”.
Solu feat Kimblee – “Fade”.
Blaze – “Brothers & Sisters”.
Black Traxx – “C’mon let’s go”.
Masters at Work – “Voices in my mind (Maw Mix)”.
Chez Damier – “Can you feel it (MK Mix)”.
Todd Edwards – “Love will make things better”.
KOT – “Go Hear my callin”.
Lil Louis – “Club lonely”.
Black Rascals – “Keeping my mind”.
Aujourd’hui, vous en êtes où ? Vous vivez de la musique ?
GG : Je vis à la campagne où j’ai mon studio de musique. Je partage mon temps entre Paris et la région nantaise et vis de la musique (et de quelques autres projets annexes), de productions, de remixes et de soirées, qui me font voyager de temps en temps. Sven mixe également beaucoup et un peu partout. Il travaille aussi sur ses deux autres passions que sont la littérature et le cinéma.
Quoi de prévu pour la suite ?
GG : Travailler mes productions en studio. En ce moment, je bosse sur un morceau avec Alex Finkin et la chanteuse soul anglaise Nina Provençal.
Côté soirée, j’aimerais lancer un concept régulier à Nantes et à Paris sur le principe du Loft de Mancuso, mais je n’ai pas encore trouvé le lieu parfait. Et puis, avec le Djoon, on a monté un festival en Sicile (cette année sera la 3eme édition). L’ambiance y est paradisiaque : soleil, nature, gastronomie italienne et house music !
En ce qui concerne Cheers, on sait qu’il y a une grosse attente et on verra ce que l’avenir nous réserve… En attendant, on est surtout hyper impatients de faire une énorme fête le 30 janvier au Badaboum !
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