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Feu! Chatterton : discussion avec des ex-jeunes talents

L’an passé, nous avions longuement discuté avec Feu! Chatterton : symboles d’un nouveau parcours balisé, ils nous avaient raconté comment ils vivaient leur statut de “jeunes talents” en pleine explosion. Aujourd’hui, place au stade suivant : le premier album.

Après avoir parcouru la dangereuse autoroute du parcours “tremplin”, remportant notamment le prix Chorus, les Inrocks Lab et toute la gamme de prix à laquelle ils s’étaient inscrits, Feu! Chatterton n’ont pas failli : les voilà aujourd’hui en pleine sortie de leur premier album, “Ici le jour (a tout enseveli)”, sur la major Barclay.

L’occasion de prendre à nouveau la température d’un groupe qui assume parfaitement ses ambitions et nous parlait déjà avec une franchise désarmante de leur vision de l’industrie en 2014. “Pour nous, il n’y a pas d’autre voie” expliquaient-ils alors. Ils semblent ressentir une forme de soulagement à avoir traversé ce parcours sur lequel tant de leurs camarades se sont perdus :

“Jusqu’ici, nous devions toujours montrer de quoi nous étions capables, être bons élèves. Il était toujours question d’être jugés. Maintenant qu’on a fait notre disque, de la manière dont nous voulions le faire, on ressent moins cette tension. Tu prends, tu prends pas : il est comme ça”.

La réception du disque se passe d’ailleurs plutôt bien : si les médias spécialisés se sont un peu essoufflés, la télévision a pris le relais et le groupe enchaîne les plateaux. “Ça me paraît de la grosse propagande quand même, ça nous donne un éclairage plus large” développe Arthur, le chanteur du groupe.

Leur quotidien a changé : “Quand on est à Paris, on se sent en vacances. C’est devenu vraiment professionnel. Ça change notre rapport à nos instruments, la voix etc… Quand tu es “amateur”, chaque concert au départ, c’est ton anniversaire”. La prochaine étape de leur ascension est une longue tournée d’un an et demi, soit la francophonie de long en large. “Avec le temps, quand tu arrives sur scène, le plaisir, c’est de retrouver une émotion pure. Tu deviens de plus en plus exigeant : “ce soir, là, celle là, elle avait quelque chose de particulier”. Et tu vas chercher ces moments de grâce, pour essayer de les faire durer au maximum. “

Experience de réalité

On revient avec eux sur leurs aspirations initiales : générer une fanbase suffisamment importante pour pouvoir tirer un maximum de la négociation.

“Finalement, on a pas fait tant de thunes que ça : l’industrie est naze d’un côté et il faut bien voir qu’on est cinq. Donc même si tu fais 100 000 dollars, une fois que tu as divisé ça par 6 – avec notre manager – c’est impossible de faire vraiment un gros deal”.

Ils ont préféré se concentrer sur l’essentiel : la mise en son du disque. Pour ce faire, ils ont fait mettre à Barclay les moyens pour obtenir pas moins de 5 mois de travail, dont trois semaines de prises en Suède. “C’était moins cher que l’équivalent parisien. On voulait à tout prix enregistrer en live, et les studios qui offrent ces conditions à ce niveau ne courent pas les rues. De toutes manières, on l’avait déjà réservé quand on a signé”.

En 2014, ils nous racontaient vouloir “jouer avec un système”. Aujourd’hui, ils déclarent n’avoir fait aucune concession : “durant tout l’enregistrement, le label n’a jamais eu accès à ce qu’on préparait. On n’était pas contents des mixes alors on a repoussé la sortie de Septembre à Octobre, ce qui n’est pas rien sur des labels comme le nôtre”. Ils expliquent en effet qu’il y a des fenêtres de tir planifiées pour les premiers albums, particulièrement sur des maisons comme Barclay. Mais ce report s’est fait sans encombres.

Il y a pourtant des choses sur lesquelles ils ont complètement lâché la bride : “la promo, la technique, c’était un peu des angoisses à gérer. Là, on reçoit un texto, on vient, on est pépère. On veut faire de la musique, et surtout éviter ce qu’il y a autour. C’est pour laisser la stratégie et l’administratif à des gens qui maîtrisent qu’on a signé en artiste “.

Ceux qui nous inspirent sont Bertrand Belin ou Babx. On s’en fout d’être sexy.

Une forme de signature très peu en vogue aujourd’hui : les groupes montent généralement leur propre “label” pour produire les enregistrements et les vendre, en licence, à une major. Feu! Chatterton a hésité : “on y a pensé, mais ça aurait été ingérable : certains d’entre nous sont presque en situation de phobie administrative, personne ne voulait faire ce travail”.

Les nouveaux défis de “l’après”

Aujourd’hui, ils aspirent à profiter de leur statut de vedette d’un moment pour installer une carrière sur le long terme. “Attention à ne pas se méprendre : on ne veut pas spécialement être des stars pendant des années”. Alors qu’on leur parle de Christine & The Queens ou Stromae, ils se revendiquent de modèles inattendus : “Ceux qui nous inspirent sont Bertrand Belin ou Babx. On s’en fout d’être sexy. Ils sont dans des économies restreintes, mais ils ont sorti cinq albums, c’est pas rien. Et qu’ils se vendent ou non beaucoup, ils peuvent continuer à faire de la musique”.

D’ailleurs, ils se satisfont aujourd’hui de pouvoir toucher une gamme de public variée et par nature plus fidèle que la jeunesse volatile. Et de citer un message de fan : “on est venu vous voir avec ma soeur. On en a parlé avec nos parents, ils ont kiffé, on est revenu en famille, on attendait le disque tous ensemble, et maintenant qu’il est sorti, on en discute le soir, d’une chanson, d’un passage, tous les quatre”. Un signe parmi d’autre qui montre que Feu! Chatterton s’installe dans le paysage à tous les étages.

La célébrité, aujourd’hui, est-elle un nouveau tremplin pour un groupe ? Une étape qui le mènerait à la pérennité, aux tournées des MJC et à l’intermittence sécurisée ? “Tout ce qui compte pour nous, c’est de pouvoir continuer à faire de la musique”. Finalement, même s’ils ont l’air d’être entré en pilotage automatique, c’est peut-être proprement maintenant qu’ils s’attaquent au défi le plus ardu de leur carrière : se faire une place dans la culture populaire, ou, à défaut, consolider autour d’eux les éléments qui leur permettront de vivre, d’une manière ou d’une autre, de la musique pour les dix, vingt, trente prochaines années. Un objectif qui, s’il n’est pas dans les grands canons du romantisme du rock’n’roll, s’avère être le prolongement pragmatique de la démarche d’un groupe qui l’est tout autant.