Alors qu’ils s’apprêtent à participer à la finale du concours des Inrocks Lab, on est allé demander aux membres de Feu! Chatterton comment ils vivaient leur statut de “jeune talent”. C’était passionnant.
Le Bordelais Kim nous disait dernièrement que, jusqu’en 2005, “en dessous de 20 000 copies vendues, tu n’avais pas de manager”. Les choses ont bien changé : Feu! Chatterton, après seulement un titre publié, avait une major en édition, un manager et des attachés de presse à leurs côtés… Leur musique s’avère méritante: une pop héroïque soutenue par un spokenword habité, qui sonne comme une version adulte, cultivée et juste de ce que propose un groupe comme Fauve. Aujourd’hui, le parcours des artistes français semble s’être rationalisé : un tremplin “jeune talent”, un EP en crowfunding, un second (autoproduit ou non), des premières parties d’artistes plus connus et, si tout va bien, un album lancé en grande pompe.
Le monde de la musique française a émis ce schéma qui semble comme implacable pour tout groupe pop cherchant à vivre de sa musique. La médiatisation pour ces groupes arrive très vite – Camp Claude, par exemple, dans tous les magazines après une seule année d’existence –, le but étant de concentrer un maximum d’attention rapidement pour “vendre” le produit à de grosses structures. Un fonctionnement qui ressemble étrangement à celui des Start-Up. L’exemple inverse serait, d’ailleurs, les groupes de la scène psyché-pop française qui ont mis dix ans pour émerger aujourd’hui.
On vous avait d’ailleurs dressé le portrait de Feu! Chatterton en mettant en avant tout ces aspects de leur carrière naissante qui nous dérangeaient. Pourtant, on est face à des artistes inventifs, honnêtes et exigents, loin de l’image de groupe à buzz qu’on pourrait attendre d’un parcours aussi balisé.
Plus on reste seuls longtemps, plus notre base de fans est grosse, plus on pourra garder notre indépendance artistique au moment de signer
On a décidé d’aller à leur rencontre pour discuter de la méthode, de ces plans de “développement” qui ont mené plus de formations à la désillusion que sur la route d’un succès véritable et populaire. Autant aller en parler avec les plus brillants d’entre eux.
Le Crowdfunding, une figure imposée
La première chose qui nous avait fait tiquer, c’est l’usage du financement participatif alors que le groupe était suffisamment doté et que les offres de labels remplissaient leurs boîtes mails : “On a beaucoup hésité avant de lancer une campagne de crowdfunding. C’était dans le contrat des Inrocks Lab. On avait aussi déjà gagné des prix : est-ce qu’on avait encore besoin d’aller chercher de l’argent auprès de nos amis ?”
Décidé à ne pas faire les choses à moitié, le groupe tâcha de chercher une manière adaptée de se plier à cette clause du tremplin : “On a utilisé le site Kiss Kiss Bank Bank comme une plateforme de pré-commandes. Mais les gens nous disaient : “On ne veut pas juste d’un disque, on veut vraiment participer”. Du coup, on a essayé de trouver un entre-deux pour que ça reste quelque chose de juste, de correct”. Comment ? En concevant par exemple le “Feu Chatterton”, un briquet-bonus à leur effigie, pour rendre les contributions plus ludiques.
Accepter de vouloir faire de la musique son métier, c’est aussi entrer dans des considérations économiques.
Tenter de jouer avec un “système”
Ce qui se dessine dès le début de notre long entretien, c’est que le groupe vit son parcours dans les interstices de ce qu’ils désignent eux même comme un “système”. La bande se veut très lucide là-dessus : “Pour nous, il n’y a pas d’autres voies”. Les labels indépendants sonnent pour eux comme une fausse solution : “Signer sur un petit label, c’est être indépendant certes, mais moins que si on est seul. On a gagné des prix. On a trouvé que la manière la plus intègre d’utiliser l’argent gagné, c’était d’investir dans nos EPs. On vient d’enregistrer le second qui aurait été dur à proposer à une maison de disques : c’est un long morceau de 12 minutes en quatre parties.”
Pourtant, ils savent pertinemment qu’un jour se posera la question de la signature : “On veut surtout travailler en bonne intelligence pour vivre notre musique. Accepter de vouloir faire de la musique son métier, c’est aussi entrer dans des considérations économiques. Quelles concessions faire ? Si tu n’en fais pas assez, si tu n’acceptes pas cette réalité, tu ne pourras pas faire de la musique longtemps. L’objectif, c’est d’arriver à créer une économie favorable pour qu’on puisse bouffer tous les jours et faire notre musique. C’est un équilibre qui est dur à trouver, surtout quand on est cinq.”
La musique, et c’est tout ?
“Plus on reste seuls longtemps, plus notre base de fans est grosse, plus on pourra garder notre indépendance artistique au moment de signer”. C’est le seul leitmotiv du groupe. Son indépendance se joue essentiellement sur la musique. Il peuvent s’être faits “pigeonner sur des contrats”, aucune importance tant qu’ils gardent la main sur ce qu’ils font, qu’on les assiste, qu’on les conseille mais qu’on ne touche pas à leurs décisions artistiques.
Ainsi, n’y a t’il plus de place pour la contre-culture ? ” On adore Born Bad, mais les groupes de ce label sont des gens d’une autre génération. Ils ont commencé à une époque où l’économie de la musique n’était pas la même”. Pour eux, les labels indés sont aujourd’hui une esthétique “militante” plus qu’autre chose – ils avouent quand même que siJB Wizz les avait approché par le passé, ils auraient adoré signer chez lui et que leur carrière ne serait déjà plus la même.
Feu! Chatterton tâche de placer son engagement dans sa liberté créative. Certes, le groupe joue avec Fauve mais récupère grâce à eux de nouveaux fans. Or ces fans sont aujourd’hui la force d’un groupe dans une négociation avec une grosse maison de disque. Ils seront donc seuls ou, à défaut, accepteront quelques concessions en major à condition que cette dernière leur laisse “une marge de manoeuvre totale” face au coeur de leur metier.
Un jeu d’ambiguïtés
Il y a quelque chose d’étonnant à faire en sorte de devenir une poule au oeufs d’or pour un fermier dont on se méfie. Il n’y a, dans l’histoire de la musique française, qu’un seul groupe qui ait réussi à se placer dans cette situation sur le long terme, connaissant à la fois le succès et la plus grande liberté de création : Noir Désir. Dans diverses biographies, il est rapporté que la bande à Cantat menaçait tout simplement de se séparer dans les situations de conflits. Barclay n’a jamais pris le risque. On se rappelle tous du discours polémique des Victoires de la Musique en 2002.
Le monde de la musique est en friche aujourd’hui : à quel saint se vouer ? La nouvelle génération, pragmatique, semble avoir pris parti pour l’autoroute tremplin-major… comme Feu! Chatterton que ça n’empêche pourtant pas de tenir tels des funambules sur un fil ténu entre indépendance artistique et un parcours visant par nature le vedettariat et les imperatifs.
La bande a à la fois un projet fort, une certaine lucidité sur ses possibilités, mais aussi une originalité adaptée à ce que le public cherche aujourd’hui. On est donc prêts à croire en ce groupe comme l’un des rescapés de ce genre d’ascension très accidenté sur lequel de nombreuses mâchoires se sont brisés. C’est tout le mal qu’on leur souhaite.
Ce que montre leur parcours, c’est que le music business français a changé. Aucun (ou très peu de) label indépendant ne semble plus capable aujourd’hui de faire vivre ses artistes. Les musiciens qui souhaitent vivre de leur musique ne s’intéressent donc même plus à ces derniers. Alors qu’ils boudaient jusqu’ici les grosses structures pour leurs catalogues souvent inégaux, les artistes exigents des années 2010 ne voient pas d’autres choix que de ce tourner vers celles-ci. Les retrospectives nous diront si ils avaient raison.