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Festival Astropolis : “On vit la consécration de l’électro”

Le festival Astropolis s’apprête à aborder sa 22ème édition cet été. On a posé quelques questions à Matthieu Guerre-Bethelot, l’un des deux fondateurs de l’événement sur la longévité de cette institution de la fête dans le far Ouest.

À chaque édition, le festival Astropolis régale : c’est l’un des contrepoids majeurs face à l’hégémonie de festivals clubs parisiens d’aujourd’hui. Surtout, c’est un fier dinosaure vieux de 22 ans. Et à l’échelle de l’histoire de la musique électronique de club, c’est assez vertigineux. Cette année, on y verra Mad Rey challenger Roman Flügel et Axel Boman, AZF partager la scène avec Maud Geffray, mais aussi Helena Hauff et Andrew Weatherall comparer leurs éruditions. L’ensemble forme un album Panini de tous ceux qui, ici ou là-bas, font vibrer les coeurs des jeunes gens de notre époque.

On avait déjà posé quelques questions à Matthieu Guerre-Berthelot, à l’initiative du festival avec Gildas Rioualen, lors de la 18ème édition. On se met désormais à jour alors que son bébé à passé la vingtaine.

C’est la 22ème édition : comment rester un festival moderne alors qu’on a passé la vingtaine ?

Matthieu Guerre-Berthelot : Avec Gildas et tous ceux qui gravitent autour du festival depuis 20 ans, on a toujours été passionnés par les musiques actuelles. On est des enfants de Bernard Lenoir… On a une âme de fan, on est peut être restés un peu adolescents. Depuis les années 80, dès qu’un nouveau courant apparaît, on ne peut pas s’empêcher d’aller voir ce qu’il y a en dessous… J’imagine que Jean Louis Brossard avec les Trans a la même démarche. C’est vraiment un plaisir de dénicher un nouveau talent, d’assimiler une nouvelle technique. Être moderne, c’est rester attentif à ce qui se fait dans ce domaine, c’est aimer défricher.

D’autre part, il y a un côté familial sur Astropolis. Depuis 20 ans, La plupart des gens qui bossent sur le festival ont été stagiaires chez nous et ont commencé à travailler dans la musique avec Astropolis, alimentant l’identité de l’événement tout au long de l’année. Ça permet à Astropolis de rester à la pointe. Christophe Lévêque, propriétaire du Château de Keriolet et qui a accueilli Astropolis entre 1997 et 2000, dit qu’il faut toujours rester critique sur ce que l’on fait, ne pas se satisfaire d’une édition réussie.

Depuis tout ce temps, comment as-tu vu évoluer la musique électronique, le “milieu club” et son économie ?

MGB : En 20 ans, la scène électro en France est passée du Do it Yourself à la professionnalisation. On l’a vécu de l’intérieur. On a réussi à imposer notre musique, notre culture, ce qui n’a pas été toujours évident. Aujourd’hui, c’est la consécration. Artistiquement parlant, la musique électronique française est reconnue mondialement. Les artistes de l’hexagone jouent plus à l’étranger qu’en France.

En termes de structures, on assiste à une multiplication des clubs électro partout dans le pays. Tous ceux qui pensaient que l’électro était une sous-culture se sont grave trompés. Côté public, c’est la même reconnaissance : des DJs comme Ben Klock, Seth Troxler, Sonja Moonear remplissent mieux les salles que la plupart des machines pop-rock ultra médiatisées… C’est un joli pied de nez ! C’est sûr qu’avec la professionnalisation, cette culture perd en innocence mais je reste quand même persuadé que les musiques électroniques vont continuer à se réinventer comme elles le font depuis près de trente ans…

Comment expliquer que l’un des plus anciens et des plus gros festivals club se tienne à Brest depuis une vingtaine d’année quand Paris n’a formulé que depuis quelques années des propositions pérennes ?

MGB : C’est étonnant, effectivement. On n’a jamais imaginé, il y a 20 ans, qu’Astropolis serait toujours là. On a travaillé chaque édition comme si c’était la première, sans vision à long terme. On a eu de la chance lors de notre rencontre avec le propriétaire du Château de Keriolet, notre retour gagnant à Brest, notre association avec Uwe et puis avec le Social Club. On est restés obstinés auprès des pouvoirs publics… On a toujours su rester indépendant, à la pointe des musiques électroniques, tout en suivant nos goûts.

Le public breton est curieux, ouvert sur le monde. Il aime sortir et se retrouver pour faire la fête.

On a appris à grandir, aussi. On n’a pas vécu la malchance de Boréalis, les inconvénients avec le milieu de la nuit qui ont pu exister dans le Sud de la France ou à Paris, la répression qu’a connu Lyon avant le changement de municipalité et l’arrivée des Nuits Sonores… On a même su bien gérer nos relations avec le milieu free. La Bretagne est un terrain qui s’y prête…

Le public Breton est connu comme l’un des plus explosifs en matière de rock. Comment ça se passe avec la techno ?

MGB : Le public breton est un excellent public… Manu le Malin dit que c’est un public qu’on ne peut pas tromper, Agoria parle d’un public connaisseur, Garnier, lui, évoque un public dingue (juste après les Écossais et les Irlandais)… C’est un public celte, fêtard, pas toujours discipliné, en continuité avec celui du rock qui avait, lui-même, un rapport avec le public des Fest Noz. La fête est une tradition ici. Dès que les Trans ont initié la Bretagne à la techno en 1992, ce petit monde a suivi. Ce fut pareil avec les free. Dans l’Ouest, cette scène a été très active… En Bretagne, il n’y a jamais vraiment eu de grande discothèque généraliste. C’est une terre de festivals et de clubs à taille humaine avec une programmation pointue. Le public est curieux, ouvert sur le monde. Il aime sortir et se retrouver pour faire la fête. Bref, mon discours est très chauvin !

Au début, on louait les terrains, on avait demandé une licence de débit de boisson, on avait des sanitaires, un service de sécurité, une équipe de la protection civile. Mais on omettait de dire aux autorités que c’était une “rave”.

D’ailleurs, de la rave à l’institution, comment avez-vous géré votre rapport avec l’environnement local, le public, les pouvoirs publics etc… ?

MGB : Au début, on a été pris pour des jeunes branleurs qui écoutaient une musique de dingue, avec l’idée qu’on était forcément borderline… En fait, on a connu ce qu’ont vécu les gens du rock, les punks ou les crew hip hop… Des cultures qui, aujourd’hui, sont exposées dans les musés, étudiées dans les universités. Il a fallu montrer patte blanche. Ça a été un long combat. Expliquer des dizaines de fois aux médias, aux politiques, aux pouvoirs publics et même aux acteurs de la scène rock ou aux techniciens ce qu’était une rave, ce qu’était un club, ce qu’était une free. On a fait beaucoup de pédagogie pendant 15 ans. Je me souviens avoir offert à un élu le livre Global Techno de Jean Yves Leloup pour lui expliquer le côté social et politique de la techno de Detroit.

Ensuite, il a fallu être honnête avec tous ces environnements. Au départ, on disait qu’on organisait des anniversaires, des mariages, des soirées privées pour louer les salles. Lors du premier Astropolis à Kernoues dans le Nord Finistère, on avait loué les terrains, demandé une licence de débit de boisson, on avait des sanitaires, un service de sécurité, une équipe de la protection civile… On avait juste omis de dire que c’était une “rave”. D’un autre côté, je ne sais pas si la Mairie de Kernoues savait ce que c’était ! En grandissant, on a expliqué notre démarche, les nuisances que ça pouvait engendrer, les diverses préventions, les services de sécurité et de secours mis en place. La règle est qu’on fait ce que l’on dit. On est cash avec nos interlocuteurs. C’est vrai qu’aujourd’hui, c’est plus facile, les directeurs de cabinet du préfet nous demandent des invitations.

Il y a un tremplin Astropolis aujourd’hui. Quel sens ce genre de proposition prend dans la musique électronique?

MGB : Les musiques électroniques sont à l’image du monde dans lequel on vit aujourd’hui. C’est un milieu réactif, mondialisé, jeune. Il faut que ça aille vite et ça va vite. Il y a de moins en moins de barrières. Aujourd’hui, un mec comme Skrillex peut exploser et imposer un style en 1 an. À Astropolis, on adore la nouveauté. Elle vient souvent de jeunes talents. On ne produit pas de jeunes artistes par opportunisme. Notre tremplin représente la vitalité de cette scène. Un ou une jeune de 17 ans peut s’exporter à travers le monde, sans passer par le chemin de croix qu’ont rencontré leurs aînés…

Par ailleurs, peut-on noter une sorte de “génération Astropolis”, une émulation locale liée au festival?

MGB : Le mot est fort… mais peut être. Si c’est le cas, c’est une fierté. On a l’impression d’avoir accompagné le développement de cette culture au travers d’artistes qui sont présents sur le devant de la scène, mais aussi de techniciens, de graphistes, de scénographes, de VJs. On a aidé beaucoup de jeunes associations à monter leur projet et il y a beaucoup de gens qui se sont formés sur le festival… Pour nous, plus il y a d’acteurs, plus il y a de créativité et, donc, plus il y a de public. Il y a 20 ans, on avait du mal à réunir 200 personnes à une soirée. Désormaisn, elles sont souvent complètes et avec, toujours, une belle programmation pointue… On ne voit pas les nouvelles structures locales comme des “ennemis”, la concurrence entre les organisations est saine. Il y a une véritable effervescence à Brest et il y a encore beaucoup de domaines à explorer.

Astropolis #22
À Brest du 1er au 4 Juillet 2016
Infos et tickets