En 2014, la question ne se pose quasiment plus : la moindre soirée a son relais sur Facebook, les visuels sont formatés pour être utilisés en bannière et l'information se transmet majoritairement à travers des invitations et des posts sur les murs des organisateurs. On est partis à la rencontre de cinq organisateurs de soirées de la fin des années 90 et du début des 00's pour qu'ils nous racontent les évolutions de la fête et son organisation.
Il faut bien comprendre qu'avant les réseaux sociaux, Myspace, puis Facebook, les gens étaient moins "liés" : la "viralité" des fêtes n'était pas la même. Jean Philipe Malot, organisateur dès 1999 des "Favor Before", puis des "Mad Steppers", l'une des premières vraies soirées UK Garage et 2 Step à Paris, nous explique : "Promouvoir une soirée était un travail de fond énorme, car nous partions toujours d'un lieu vide et devions y amener notre propre réseau. Et nous faisions tout nous-même". Aujourd'hui, il suffit de quelques clics et tous vos abonnés sont informés.
Avant Facebook: DIY bordeline, professionnalisation et originalité
Jeremy Ferriot, du label Danger Records, se rappelle encore de leurs "expéditions nocturnes, avec un sac rempli de colle qui nous permettait de placarder des affiches un peu partout : devantures de magasins, murs, bornes de stationnement, métro. On en collait des centaines". Une solution borderline mais qui permettait de promouvoir leurs concerts de punk dans toute la capitale.
Pour les flyers, JP Malot raconte qu'il y avait des agences dédiées à la distribution. "Le premier que j'ai connu était 'Flyman' que j'avais rencontré par hasard... Le mec avait une besace avec un tas de flyers dedans et faisait sa tournée pour les organisateurs et établissements de nuit avec une liste précise des endroits où il flyait."
Crame, qui organise aujourd'hui les soirées House of Moda et I'm a Cliché, concoctait à l'époque les soirées Mort aux Jeunes. Comment réunissait-il tout le monde? "En envoyant un email collectif à nos amis. On s'est ensuite mis aux flyers, mais on avait cette phobie d'être noyés dans la forêt de flyers des présentoirs". Ils ont alors mis en place des techniques originales : "des badges, des sacs de friandises, des sacs plastiques, avec à chaque fois les infos sur la soirée".
L'importance des médias était évidente : "On parcourait tout Paris pour déposer des dossiers de presse dans les rédactions". Jim Paillettes, aujourd'hui D.A. de la Foule, organisait entre 99 et 2003 les soirées Hedonizm puis celle de son label Nukod de 2006 à 2010. Il travaillait "par fax, en communiquant sur des magazines électro comme Trax, Coda, des gratuits comme A Nous Paris". En effet, les tirages étaient aussi plus importants avant l'apogée des magazines numériques et des blogs et leur influence bien plus grande.
Le choc Facebook
Le premier grand choc a été Myspace. "Notre réseau s'est beaucoup accru à ce moment-là, dans les années 2006 à 2009. C'était fun, les gens s'enthousiasmaient pour plein de choses, se regroupaient par affinités musicales et artistiques", explique Crame. Mais très vite, Facebook a pris le dessus à travers sa folle capacité à relier les clubbers avec le reste du monde, formant une toile d'araignée infinie. Jeremy Ferriot était "assez réfractaire à l'idée d'utiliser Facebook. Je me suis inscrit suite à un concert que j'organisais à la Boule Noire, le mec de la salle était stupéfait de ne pas m'y voir. On allait véritablement connaitre l'avènement de la com' par Facebook".
En 2008, Alex Mawimbi est à la tête d'un groupe Facebook d'Erasmus à Rome et reçoit un flyer pour une "Deepsession presenta Boys Noize vs Institubes". Cinq têtes d'affiches réunies dans un immense ancien squat. "Je me dis que ça serait bien de convier les étudiants à cette soirée plutôt qu'à des Erasmus. Je crée un event puisqu'il n'y en a pas, et j'invite tout le monde. J'ai plus de 600 attending avec plein de jolies filles. Je reçois un mail de "Deepsession Roma" : "Salut mec, t'es qui ? Tu sors d'où ? Enfin, c'est génial ce que t'as fait, l'évènement là, y a plein de monde, plein de filles, mais on voudrait savoir qui tu es". Petits échanges de mail. Deux semaines plus tard je téléphonais à A-Trak et j'étais intégré à l'équipe de Deepsession."
Crame explique que "pendant longtemps, Facebook a été un outil très peu pratique pour les créatifs : ils se sont trouvés obligés de se présenter sur Facebook parce que tout le monde y était, alors que rien n'y était fait pour eux. Pour les soirées, c'est devenu moins facile d'être aimé et suivi pour ce qu'on propose alors que le côté "ami-ami" est devenu crucial".
Aujourd'hui : un équilibre
Aujourd'hui Jeremy Ferriot est partisan d'un certain équilibre entre les nouveaux outils et les anciens : "J'aurais tendance à penser que facebook et le flyer me semblent être une combinaison parfaite. Facebook te permet de diffuser dans l'immédiat ton information sans attentes particulières, sans avoir le moindre support physique. Le flyer te permet de fédérer en ciblant davantage ton public, et même d'officialiser un peu ton évènement, de lui donner une légitimité. Je continue toujours à imprimer des flyers, tracter, comme on dit. Bien que j'annonce également un concert sur Facebook en amont". "Il y a eu une période où on a pu penser qu'avoir beaucoup d'amis sur Facebook suffisait, mais ce n'est plus le cas", explique aussi Crame.
Il note aussi de son côté "une intensification de la concurrence, car organiser un événement a été de plus en plus facile : pour schématiser, tu apprends à mixer sur un logiciel, tu convaincs le patron de ton bar préféré, tu crées un évent sur Facebook et hop, tu es le roi des nuits parisiennes".
JP Malot trouve ces avancées finalement plutôt salvatrices : "Je pense que le public est le même. Aujourd'hui tout dépend du réseau social, qui est d'ailleurs très facile à constituer, à une certaine échelle évidement. De nos jours une page Facebook réunit les adeptes d'un courant musical, une cause, un artiste ou autre, en quelques heures. Cela va plus vite que le bouche à oreille et surtout quasi gratuit. La diffusion de l'information est incomparable. Les logiciels d'emailling sont très performants, les réseaux sociaux peuvent très vite se constituer et chaque page touche une cible très précise".
Ce qui est sûr, c'est que face aux sollicitations incessantes dont sont victimes les utilisateurs des réseaux sociaux aujourd'hui, les promoteurs de soirées doivent trouver de nouvelles solutions pour séduire les clubbers : c'est en retournant à une certaine proximité physique et en ne s'adressant plus au tout venant que certains réussissent à fédérer. C'est par exemple le cas des "speakeasy", ces bars cachés, ou des soirées Blank, qui passent désormais outre les évènements Facebook. On a hâte de voir la prochaine étape...