Alors que le lieu emblématique du clubbing Lillois fête sa cinquième année d’existence, on a posé quelques questions à Péo Watson, directeur artistique des lieux et DJ activiste de la “scène Lilloise”.
Villa Schweppes : Avant le Magazine Club, tu organisais des soirées, en Belgique notamment. Comment est venue cette envie de se fixer? Quelles ont été les grandes étapes?
Péo Watson : L’étape principale est sans hésitation, la rencontre avec Darius, qui est l’un de mes associés aujourd’hui. C’était en 1999 chez USA Import, le principal shop de vinyles de l’époque à Lille. Il est flamand, et organisait ces évènements ” Cuisine Deluxe “, à Gand notamment, qui cartonnaient. De mon côté, avec mon collectif, on avait pas mal de résidences sur Lille dans les bars-concerts notamment – qui malheureusement ont quasiment tous disparus aujourd’hui – des émissions radio et des collaborations plus institutionnelles avec la FNAC ou la Techno Parade.
Je pense qu’on a été à bonne école : celle des belges
Le feeling est tout de suite passé entre nous deux humainement et musicalement, on a donc vite décidé de produire notre première collaboration au début des années 2000 à Courtrai en Belgique en invitant Moodymann. Ça a été le début d’une belle série de soirées vraiment folles dans lesquelles on retrouvait systématiquement 50 % de flamands et 50 % de français.
Vers quel moment avez vous cherché à monter un lieu fixe ?
Péo Watson : En 2006, Darius a décidé de sédentariser et professionnaliser l’activité en ouvrant le Supermarket Club avec son beau-frère Paulo, qui est mon deuxième associé aujourd’hui. Il m’ont proposé la place de resident dj et de programmateur que j’ai accepté avec plaisir. C’était une cave sombre vraiment underground, d’une capacité de 150 places avec un mini dj booth, un bar et point barre ! A l’époque j’y programmais Maurice Fulton, Pilooski, Metro Area, Cosmo Vitelli, Gilb’R, Chicken Lips, Mark E, Steve des Soulwax, Justice, Pedro Winter, Brodinski, Club cheval, The Glimmers, Ewan Pearson, Breakbot, Mock & Toof, Aeroplane, Matt Walsh, Dj Pone, …On sait ce que certains sont devenus aujourd’hui. On a bien rigolé là-bas ! Le succès du Supermarket nous a poussé en 2010 vers la création du Magazine Club et sa capacité de 800 personnes, cinq fois plus grande que le Supermarket : c’était un vrai challenge.
Villa Schweppes : Entre son ouverture et maintenant, quels ont été les grands défis du Magazine Club ?
Péo Watson : Le défi principal de ce projet, et on le savait dès le début, c’était de remplir un Club d’une telle capacité avec une programmation alternative. A Lille, il y avait déjà eu le Kiosk et le Supermarket qui diffusaient ce genre de musique, mais c’était des clubs 5 fois plus petits. La mission était claire : démocratiser la musique électronique alternative auprès du plus grand nombre, la populariser au sens noble du terme.
Durant les années 2000, et particulièrement sur la deuxième moitié de la décennie, la puissance d’Internet, des blogs, des sites d’écoute en streaming, la facile circulation de l’information tout simplement, ont redistribué la donne de l’industrie musicale : avant pour qu’un artiste atteigne le succès, il lui fallait passer par Universal, Sony, NRJ ou Fun Radio. En 2010, cette histoire là était partiellement finie : un artiste pouvait désormais utiliser d’autres canaux. C’est donc cette donnée là que nous avons intégré, en se convaincant que l’histoire du clubbing avait une trajectoire parallèle à celle de l’industrie musicale.
Quel rôle à eu le club sur la dynamique Lilloise?
Péo Watson : Le Magazine Club, c’est le premier club alternatif à Lille qui a convaincu une partie de la clientèle qui sortait auparavant exclusivement dans les clubs généralistes, et ça c’est une victoire politique. La sphère électronique a longtemps été une minorité, dans laquelle artistes et public avaient un sentiment d’appartenance à une communauté, pour ne pas dire à une “élite” pour les plus mégalo (rires). Du coup, cette popularisation de la musique plus “pointue” a contrarié certains acteurs qui se battent pour ne pas se mélanger à ceux qui viennent du ” mainstream “. C’est précisément ce qu’on ne veux pas véhiculer avec le Magazine Club. Notre mission est d’éviter les clivages et refuser une vision élitiste de la musique électronique.
Villa Schweppes : Le club a 5 ans : à l’échelle de la nuit, c’est déjà une belle longévité. Quelle est la recette de cette pérennité ?
Péo Watson : Je pense qu’on a été à bonne école : celle des Belges (rires). Pour Darius, c’est naturel puisque c’est son pays. Paulo a passé des années a fréquenter les Clubs belges, il y était connu comme le loup blanc, et pour ma part, j’y ai mixé dans tous les week-end pendant des années. Le Fuse, le Café d’Anvers, La Rocca, l’H2o, le Decadance, et bien d’autres clubs belges ont plus de 15 ans d’existence, ça c’est une vrai performance. Beaucoup savent durer dans le temps, et nous, on a grandi avec ces clubs là, donc on s’en est forcément inspiré. La vie d’un club est mouvementée, c’est l’activité qui veut ça, tout va très vite.
Je pense que notre principale force c’est de se remettre en question et d’être en mutation perpétuelle pour vivre avec notre temps. On prend en compte les paramètres contemporains, sans trop regarder non plus ce qui se passe ailleurs. C’est cet équilibre là qui nous pérennise : On reste très concentré sur notre travail et sur ce qu’on a dans l’idée de développer, tout en écoutant attentivement ce qui nous entoure. Ensuite, on synthétise.
Et puis bien évidemment, il y a la grande rigueur de gestion administrative et logistique que l’on s’impose au quotidien. Toute la partie que personne ne voit, très ingrate, qui est indispensable pour perdurer.
Villa Schweppes : Y a-t-il des choses que tu t’interdis de programmer?
Péo Watson : Dans l’absolu, la réponse est non. Je n’aime pas l’étiquetage des artistes. J’aime vraiment les carrières décousues et surprenantes. Je considère qu’un artiste, quelque soit sont passif, quelque soit son image, peut nous surprendre agréablement avec une nouvelle sortie. Si ça rentre dans nos critères, on est preneurs. Après, il est évident que nous possédons une ligne artistique, que je considère comme plutôt large et ouverte, mais suffisamment délimitée pour donner des repères au public. En janvier dernier, on a accueilli sur le même week-end Casseurs Flowters et Jimmy Edgar, et ça, ça nous ressemble vraiment.
L’histoire du clubbing a une trajectoire parallèle à celle de l’industrie musicale.
N’oublions pas que la vocation première du Magazine Club, dès le début, c’était d’inviter les acteurs majeurs (par leur popularité, ou par l’influence de leur travail) de la scène électronique Internationale. Là est le principal critère. Aujourd’hui, nous avons ouvert depuis plusieurs mois la programmation au Hip-hop avec des artistes comme Grand Master Flash, Mobb Deep ou Jazzy Jeff. Notre curseur se situe entre la Techno, la House, et le Hip-hop pour grossièrement schématiser. Le tout c’est de trouver la bonne alchimie dans l’agenda. Disons 60 % Techno, 30 % House, 10 % Hip-hop.
De ton point de vue, quelles sont les forces qui mettent Lille en mouvement? A quoi ressemble le paysage musical, électronique ou non, de la métropole?
Péo Watson : La situation géographique qui fait de Lille un carrefour européen est une force indéniable. Nous sommes à deux pas de Londres, Paris et Bruxelles, Berlin est à peine plus loin. C’est également une Ville à gros potentiel étudiant, il y a donc une perpétuelle demande. La politique culturelle très offensive depuis 2004 et le statut de Capitale Européenne de la Culture n’y est pas étranger non plus. Ça influe forcément sur la scène musicale locale qui est très active et dynamique. Les salles de concert qui sont nombreuses dans la Métropole, soutiennent la scène locale et ça, ça joue beaucoup également. Résultat, la liste des artistes lillois qui s’exportent bien au national, voir à l’international est conséquente : Skip The Use, Rocky, Terence Fixmer, Brodinski, Club Cheval, Boston Bun, Gradur, Axiome ont tous des carrières et des univers très différents, mais ils ont un point commun, ils sont passés par Lille ou y vivent encore pour certains.
Concernant la scène électronique, on doit beaucoup au collectif Art Point M, qui est un militant électronique fort de la Métropole depuis 25 ans maintenant. Aujourd’hui ils ont monté une belle vitrine avec le N.A.M.E Festival qui est devenu l’un des festivals électronique majeur de l’hexagone. Le label Family N.A.M.E records y est associé, il y a une vrai synergie.
Alpage Records s’est également imposé sur un territoire plus “Indie” grâce à la politique exigeante et sans concession de son Boss Mark Lion. Le label sortira cette année le très attendu album du duo lillois You Man.
Enlace Records abat un super boulot également sur les artistes émergeants, on leur doit, entre autre, la découverte de Blaise Bandini que j’adore.
Enfin, le tissu associatif lillois est très fourni. Ici, on a tous commencé en association Loi 1901 pour structurer nos projets, que ce soit pour l’organisation d’évènements, la création de labels indépendants, la gestion de tournées ou le financement de studio d’enregistrement, c’est dans les gênes de la Ville.
Villa Schweppes : Le futur du Magazine Club, il ressemble à quoi?
Péo Watson : Le futur proche pour être concret, c’est Kölsch, Deetron, Lost Frequencies, Steve Rachmad, Boris Brejcha, Dj Hell, Louisahh, Maelstrom, Sven Vath (sur notre scène au Ostend Beach Festival en juillet), et plein d’autres Dj’s super cools toujours épaulés par une scène locale enthousiaste et qualitative à qui l’on doit beaucoup dans le développement du club.
Puis viendra la rentrée de septembre durant laquelle nous entamerons la Saison 7 dans le prolongement des saisons précédentes, avec des invités internationaux toujours aussi calibrés, qui ne sont pas encore venu à Lille pour la plupart. Bref continuer ce qu’on a toujours fait. Enfin, quelque soit l’avenir du Magazine Club, quoiqu’il puisse arriver, l’équipe continuera de proposer des événements fédérateurs et ambitieux, même au-delà du 84 rue de Trévise…
Magazine Club84 rue de Trévise à LilleSite officiel