Rencontre avec Dominique A pour la sortie de son nouvel album Eléor. On parle de mots, de voyages, de littérature, sans oublier de parler musique et création.
Même si les titres de ses chansons sur l’album Eléor évoquent le Canada, la Nouvelle-Zélande ou l’Espagne, Dominique A s’attarde sur la signification de mots, de maux et de mélodies. L’écouter, c’est quelque part le lire, entre les lignes d’une célébrité qui s’agrandit avec le temps et les albums. D’une douceur et d’un talent fou, l’artiste nous embarque dans son univers fait de livres, de disques mais aussi d’aventures.Villa Schweppes : Quelle est l’essence de ce nouvel album Eléor ?
Dominique A : Il est né progressivement mais il y a eu un gros coup d’accélérateur en janvier 2014 pensant un voyage très loin en Nouvelle-Zélande. Il y avait des chansons qui existaient, des musiques amorcées, “Nouvelles Vagues” par exemple était déjà écrite. “Cap Farvel”, le texte était là depuis bien longtemps. Par contre, il y a toute une série de morceaux qui sont arrivés là-bas en me promenant, en regardant les paysages. Je suis revenu avec plein d’idées et d’ébauches, je n’avais plus qu’à convaincre les gens autour de moi et leur expliquer la nécessité absolue de m’envoyer au studio 9 mois ! Cela fait un peu accouchement… (Rires).
Il y a de l’accouchement dans l’air ?
La pression me stimule
Oui et cela a sans doute joué ! Comme j’avais un petit garçon qui arrivait en juin et que je voulais être disponible, l’idée de mêler création et néo paternité à un âge avancé, je ne voyais pas le truc se faire… Il fallait que je profite de ce boulevard de créativité qui m’était offert pendant quelques mois ! Moi dans ces cas-là, ça ne me paralyse pas mais au contraire, la pression me stimule. Même si l’image est clichée, pour un mec, l’arrivée d’un album est un enfantement, véritablement. Un enchantement si tout va bien, un enfantement de manière générale (Rires). On est sortis du mix très heureux, la réception est excellente.
Alors cet album n’est pas forcément sur le voyage mais plutôt sur l’évocation des mots, qu’est-ce que l’on peut en dire de ces mots, de ce langage ?
C’est exactement cela, j’aurais pu l’écrire dans cette pièce où nous sommes en ce moment. Pour les mots, c’est une caisse de résonance en moi, des vibrations, de l’air qui se déplace. Quand je vois un mot qui me plaît et que je sens que je peux faire quelque chose avec, j’ai comme un mouvement de recul, comme si je m’extrayais de la situation et que je voyais le truc de loin.
Le mot ” Eléor ” vient d’où exactement ?
Les mots, c’est une caisse de résonance en moi, des vibrations
Je lisais une revue qui s’appelle Le Tigre. D’ailleurs, ça va devenir un Mook. C’est une revue très spéciale, de quoi ils parlent ? Je n’en sais rien en fait ! (Rires). Leur slogan, c’est un peu cette phrase de philosophe, “ Un tas de gravas au sol : le plus bel ordre du monde “. Il y a du graphisme, des textes d’écrivains, des rubriques particulières dont une qui s’appelait les micro-nations. Des endroits isolés, avec un gouvernement, Eléor en est un. C’est une île danoise que des professeurs d’universités avaient racheté dans les années 40 pour en faire un royaume fictif. Au-delà de ça, c’est le mot qui m’a plu, Eléor, je trouvais ça très joli. J’ai utilisé le mot pour l’extraire de son contexte et en faire une chanson sur un lieu, imaginaire, de jonction pour des gens voulant fuir la dureté du monde.
Et vous Dominique A, quand vous avez envie de vous échapper, vous allez vers quel coin ?
C’est le mot qui m’a plu, Eléor, je trouvais ça très joli
Je vais au bistrot ! (Rires). C’est plus prosaïque ! Ça me suffit en fait… Sinon je vais m’échapper dans les librairies. Hier soir, je suis encore allé dans une librairie de Bruxelles ouverte le dimanche soir, je suis sorti avec une pile de bouquins ! J’ai pris deux Jérôme Ferrari, un Modiano, un livre d’Emmanuelle Pagano chez P.O.L… Pour l’instant, je n’ai lu que le Modiano ! Je vais au bistrot sinon pour lire. Je voyage, je ne suis jamais seul, toujours avec ma compagne, on aime les grands espaces et on ne bataille jamais pour trouver des lieux où partir. Les paysages sauvages, les étendues, ce sont des échappatoires ponctuelles car on ne peut pas aller en Nouvelle-Zélande ou au Groenland tous les jours !
D’où vous vient cet amour pour les mots, les livres, c’est récurrent dans votre travail ?
Je ne lisais que des morts et un jour, je me suis intéressé aux vivants.
Il vient de mon enfance, j’étais dans une ville isolée, je me suis réfugié dans les livres et dans la musique, l’Art. Chez mes parents, il y en avait. Je me suis approprié dans un premier temps le bagage familial et ensuite, j’ai pu me créer mon propre bagage culturel. La littérature à proprement parlé est venue tard, au début je lisais essentiellement des bandes dessinées, des revues. Vers 30 ans, j’étais avec mon petit garçon, il pleuvait et pour nous abriter, je suis entré chez un libraire, j’ai regardé les présentoirs et je me suis intéressé aux livres des auteurs vivants. Jusqu’alors, je ne m’intéressais qu’à ceux partis… La mort, c’était quelque part la validation de leur travail. Si on continue à publier après son existence, il valait quelque chose. J’avais cette idée idiote en tête ! Je ne lisais que des morts et un jour, je me suis intéressé aux vivants. Le rapport au mot, il existait dans l’écriture de chansons mais pour la lecture, c’est venu assez tardivement.
Pour l’album Eléor, quelle littérature a été source d’inspiration ?
Deux ou trois chansons ont donné lieu directement à des références littéraires, “Par le Canada” pour commencer, en lien direct, j’avais lu le livre de Richard Ford, ” Canada “. Le mot Canada a fait tilt ! Ce n’est pas exotique mais ça a créé une chanson. “Une Autre Vie” est inspirée de deux livres dont un sur des témoignages dans l’ex URSS, sous le communisme, la vie à cette époque, les discussions dans les cuisines. Et la dernière chanson “Oklahoma” parle de la crise d’après 29 aux États-Unis, la misère dans les campagnes, ça me permettait de parler d’une attitude face à la pauvreté, la différence avec nos réactions. Les bouquins sont toujours sources directes d’inspiration, parfois je dois même me brider pour éviter d’être trop dans ce rapport là.
Votre travail avec Étienne Daho a aussi eu une influence sur votre album… “Plus court, plus pop, plus efficace“, c’est-à-dire ?
Oui, exactement, sur le format des chansons. Plus ramassé, avec des refrains, plus de mélodies. Un vrai retour à la mélodie oui. J’ai essayé d’être clair, sans sacrifier les métaphores, comme pour Eléor. Mais j’avais envie d’être plus direct. Des gens me suivent et ils aiment ce que je fais, par rapport à la métaphore, d’autres ne me suivaient pas justement parce que j’étais trop gavé de métaphores, finalement, là, on me parle surtout d’Eléor, la plus énigmatique ! (Rires). C’est marrant… La vieille phrase de Cocteau marche bien, ” Ce que l’on te reproche, cultive-le, c’est toi “. J’avais envie d’évacuer une certaine fièvre que j’ai en concert et que je n’aime pas forcément entendre sur mes disques. Et quand j’ai réécouté le précédent, il y a quelque fois dans le champ un aspect forcé, sans doute lié au fait de vouloir donner un aspect live à la prise voix, là, je me suis dégagé de cela. Je m’en fous que ça soit live ou pas, l’essentiel pour cet album, c’est que ça soit bien. Sur chaque chanson, j’ai l’impression cette fois-ci que la voix trouve bien sa place par rapport à la musique. Je crois que ça fonctionne mieux.
Qu’est-ce que l’on apprend en tant que personne, d’album en album et avec aussi une Victoire de la Musique en poche ?
Les gens venaient à moi par les mots
À partir du moment où vous êtes exposé, vous apprenez plein de trucs. Les témoignages sont différents au plus nous sommes connus. Certaines phrases font tilt. Celle qui m’a le plus marqué, je l’ai mise dans le livre qui sort en parallèle de l’album, c’est celle de gamins. Leurs professeurs m’ont envoyé la vidéo où ils chantent et ils dansent sur une de mes chansons, ça m’a épaté. On voit la personnalité des gosses dans chaque comportement du corps. Je les ai rencontré. Je leur ai demandé comment ils arrivaient à s’exprimer sur cette musique qui n’est pas la leur, pas de leur époque. Ils m’ont répondu cette phrase incroyable, “ On ne danse pas sur ta musique, on danse sur tes mots “. Ça m’a tellement ému. Ça m’a appris des choses sur moi, sur ce que je ne voulais pas entendre depuis des années, le fait que les gens venaient à moi par les mots. J’étais ramené à ma pudeur envers l’écriture. Les enfants m’ont fait tomber le masque. Ne pas s’adresser qu’à un public, c’est de là que viennent les plus grandes vérités. Il faut apprendre à sortir de sa génération, de sa tranche d’âge. Autrement, qui je suis, je m’en fous. Quand j’y réfléchis, ça me déprime donc je ne préfère pas le savoir, j’aime plus savoir ce que je fais. Quand je ne suis pas dans la création, j’ai des occupations qui m’en détournent, comme sortir un disque. C’est toujours paradoxal, finalement, de se présenter auprès des gens au moment où vous êtes le moins créatif du monde. Par exemple là, pour notre interview, je n’ai pas écrit une chanson depuis 6 mois… La création, c’est un muscle, ça s’entretient pourtant !
Est-ce que l’on vous appelle souvent pour écrire ou composer pour les autres ?
Pas tant que ça et tant mieux, je ne vais pas devenir un mercenaire non plus ! Quand on vous appelle, on a envie de dire oui à tout le monde mais c’est un risque d’asséchement !
Votre vrai nom c’est Dominique Ané, pourquoi n’avoir gardé que Dominique A ?
Qui je suis, je m’en fous. Quand j’y réfléchis, ça me déprime donc je ne préfère pas le savoir
C’est une façon pour moi de garder mon nom tout en mettant un peu de distance avec la personne publique. Quand je me suis présenté auprès des gens, j’ai essayé plusieurs pseudonymes absurdes (ndlr : comme Dominique Citron). Je n’aimais pas mon nom en entier, Ané, toute mon enfance je l’ai passée avec Anne Dominique au table ! Je voulais éviter ça en nom d’artiste… Et puis, sur un livre, en le revendiquant, c’est une manière de me repositionner en tant qu’humain, avec mon vrai nom et des textes autobiographiques. Pour la musique, il y a celui qui écrit les chansons et celui qui les chante. Ce que je chante, ce n’est pas moi, ce sont mes chansons, il y a une mise en scène de soi, il y a une distance que j’aime bien. Bon, il n’est pas très grand cet écart, je ne m’appelle pas non plus Luciano ! (Rires).
Toute votre discographie sort en vinyles, et chez vous, qu’est-ce qui tourne en ce moment côté musique ?
C’est dans l’iPod, je ne suis pas si ringard que ça ! Pas mal de choses tournent. J’aime bien un groupe norvégien qui s’appelle The White Birch, c’est très atmosphérique, à côté Agnès Obel c’est Metallica ! Sinon j’écoute un groupe français qui s’appelle Baden Baden, leur deuxième album est très chouette, très pop justement. Je lis pas mal la presse ou les sites web, je me renseigne comme ça. Après, tout ce qui est français, je suis assez calé, j’aime cette musique. J’écoute aussi beaucoup sur internet, pas sur Deezer ou Spotify, mais directement sur les sites. Et dès qu’un truc me plaît, tout de suite j’arrête de l’écouter en ligne et je file l’acheter. Je fais fonctionner ce qu’il reste de cette industrie !