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Cocktails : quand le bar s’invite à la maison

Avec la fermeture des bars et des restaurants, la tendance des cocktails dégustés à la maison s’est fortement accélérée pendant la pandémie de Covid-19. Entre les recettes réalisées à domicile, les ateliers d’apprentissage, les cocktails à emporter, ou encore les drinks disponibles à la livraison, l’art de la mixologie a connu une véritable démocratisation. Et c’est tout sauf un effet de mode. Décryptage.

Derrière le vin, la bière et le champagne, le cocktail s’est imposé comme l’une des boissons les plus populaires en France. Une tendance qui se vérifie dans le dernier baromètre annuel de l’agence SoWine, selon lequel 40% des Français s’intéressent à la mixologie. Cela représente une hausse spectaculaire de sept points par rapport à 2019. Ce rapport souligne également que 23% de la population n’hésite plus à se lancer dans la création de ses propres cocktails, et pointe un intérêt très fort chez les jeunes (53% des 18-35 ans s’intéressent à la mixologie, contre 30% des 50-65 ans). Alors quand les bars et les restaurants ont été contraints de fermer leurs portes en raison de la crise sanitaire, tout ce petit monde a dû trouver des solutions pour continuer à siroter ses drinks favoris à la maison.

Pendant les différents confinements, les amateurs de cocktails ont redécouvert les joies de la mixologie à domicile, encouragés par les nombreux tutoriels postés sur les réseaux sociaux. En effet, nombre de bartenders désoeuvrés ont vaincu l’ennui en partageant sur Internet leurs petits secrets de fabrication, à l’image de Margot Lecarpentier du bar Combat. Ses “tutos picole” (attention, l’abus d’alcool est dangereux pour la santé !) postés par dizaines quand elle était enfermée chez elle ont rencontré un vrai succès . Des recettes de cocktails à la fois originales et simples à réaliser, avec toujours une pointe d’humour caractéristique de cette bartender qui ne se prend pas la tête.

Je m’emmerdais à la maison, je faisais du rangement dans mes bouteilles, et j’ai commencé à poster quelques stories sur Instagram. J’ai tout de suite été assaillie de questions, j’ai donc pu constater que les gens s’intéressaient à la mixologie. Mais je me suis aussi rendu compte à quel point ça restait quelque chose de mystérieux pour le grand public. Les gens étaient frileux, ils avaient peur de ne pas réussir, ils trouvaient ça impressionnant”, raconte Margot. “J’ai donc voulu démystifier cette discipline en montrant à quel point il était simple de réaliser de bons cocktails chez soi. Je voulais faire en sorte que ça devienne un art de vivre à part entière, au même titre que le vin ou la gastronomie.

Les cocktails prêts à déguster, une solution temporaire

En parallèle des recettes postées sur Internet, les ateliers cocktails ont fleuri pendant la crise sanitaire. Pour les bartenders, ils constituaient un bon moyen de rester actif. Et puis ça leur a permis de gagner un peu d’argent tout en gardant le lien avec leur clientèle. Margot Lecarpentier a ainsi profité de son temps libre pour enseigner les bases de la mixologie à des passionnés de tous niveaux. Au programme : une grande dégustation, des recommandations de produits, et bien sûr une partie pratique. Aujourd’hui, avec la réouverture de ses deux établissements, elle a dû se résoudre à arrêter malgré l’engouement pour ses ateliers. Je croule sous les demandes, mais nous n’avons pas les ressources humaines à Combat pour continuer de manière pérenne, donc c’est en suspend”, regrette-t-elle. “On organise des ateliers de temps en temps, lorsque les gens viennent en groupe, mais nous n’avons plus la logistique pour rassembler du monde. Si j’arrive à me dégager du temps un jour, j’aimerais bien les relancer.”.

Certains pourraient trouver paradoxal que les bartenders partagent leurs secrets de fabrication avec le grand public, au risque de perdre une partie de leur clientèle. Mais pour Margot, les drinks réalisés à la maison ne concurrencent en rien les bars à cocktails : “Pour être honnête, on propose des recettes beaucoup plus compliquées au bar. Les gens ont donc tout intérêt à venir, pour goûter des choses plus travaillées, plus complexes. Et puis au-delà de ça, le bar ne se résume pas à la dégustation des cocktails, il y a aussi l’ambiance et le service. On aime tous se faire servir, et on n’a pas forcément envie de faire la vaisselle. C’est aussi ça le plaisir d’aller dans un bar.”.

Pour sauver les meubles lorsque leurs établissements étaient fermés, de nombreux bartenders se sont également lancés dans les cocktails en livraison ou à emporter. Une solution temporaire qui a permis à leurs clients les plus dévoués d’offrir leur soutien pendant cette période difficile. Mais depuis la réouverture, la plupart de ces offres ont été abandonnées, car elles s’avèrent trop chronophages et peu rentables.

Pour Baptiste Bochet, spécialiste du secteur et fondateur de Colada, un service spécialisé dans les ateliers cocktails, le besoin pour ces offres se situe surtout auprès des professionnels. Il prend l’exemple de Nighthawks, qui a dû revoir son business model à plusieurs reprises pour imposer ses cocktails en livraison. “Au début, ils proposaient aux particuliers de se faire livrer des cocktails à la maison, en visant les jeunes parents et les quarantenaires crevés de leur journée. Ça n’a pas trop marché, donc il se sont tournés vers l’événementiel et les entreprises, à qui ils livraient des cocktails réalisés par des établissements renommés. Puis, pour augmenter leurs marges, ils se sont mis à produire leurs propres drinks”, détaille-t-il. “Quand la pandémie est arrivée, ils se sont adaptés en se lançant dans les cocktails longue conservation vendus en bouteille chez les cavistes. Je pense qu’il y a quelque chose à faire avec le cocktail prêt à l’emploi, mais plutôt auprès des professionnels”.

Des produits de qualité accessibles au grand public

Pendant la pandémie, nous sommes nombreux à avoir tué le temps en cuisine. Et très vite, nous nous sommes rendus compte que nous pouvions bien manger et bien boire à la maison. “On a découvert d’autres formes de consommation, de plaisir à table, et je ne pense pas qu’on reviendra en arrière”, analyse Margot Lecarpentier. “Les gens se sont un peu éloignés de la grande distribution pour découvrir d’autres types de commerces, comme les caves à vins, les épiceries fines…“. Un avis que partage Baptiste Bochet : “Il y a eu une appropriation de la mixologie par les consommateurs, qui se sont rendus compte à quel point il était simple de bricoler un Moscow Mule, un Dark’n’Stormy ou un Spritz, et qu’ils pouvaient très bien faire des soirées cocktail tranquillou à la maison. De toute façon, tant qu’il y aura des cocktails à 14 euros dans les bars, je pense qu’il y aura des gens qui préféreront se préparer des drinks chez eux.

Baptiste, de Colada

Baptiste, de Colada

Pour Baptiste Bochet, cette lame de fond est également soutenue par un changement de stratégie de la part des industriels, qui n’hésitent plus à proposer au grand public des produits habituellement destinés aux bartenders. “Schweppes a sorti sa Ginger beer en grand format à un prix raisonnable. Bacardi met également le paquet sur St-Germain, sa liqueur à la fleur de sureau“, détaille-t-il. “Avant, les produits destinés aux cocktails étaient beaucoup moins accessibles pour le grand public. Quand j’ai commencé mes ateliers il y a huit ans, j’allais chercher ma ginger beer chez Nicolas, parce qu’on en trouvait que là-bas ou presque. Aujourd’hui, n’importe quel supermarché en propose plusieurs références.

Entre les recettes accessibles en ligne, les ingrédients de qualité disponibles partout, et la volonté générale de mieux consommer, il y a fort à parier que la tendance des cocktails dégustés à la maison va perdurer.

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.