Vendredi dernier, nous avons suivi le jeune producteur caennais Deapmash jusqu’à Berlin pour l’accompagner à sa première date internationale, au Berghain. On vous raconte cette experience clubbing hors du commun.
Il y a encore quelques heures, Julien Saillenfait alias Deapmash était dans sa chambre dans la petite commune normande de Maltot, près de Caen. C’est dans cette pièce que le jeune homme de 22 ans a appris à faire de la musique électronique avec un simple ordinateur portable. Après seulement trois années de production dans les pattes, Julien a réussi à séduire certains des labels techno les plus influents comme Boys Noize Records, ou encore Leisure System chez qui il signe son dernier projet “Halcyon”. Aujourd’hui, il se retrouve sur le tarmac et s’apprête à partir pour sa première date internationale, au Berghain, temple techno berlinois depuis plus de 10 ans.
Après une grosse heure de vol, nous voilà arrivés, aux alentours de 18h, dans la capitale allemande. Durant le trajet, Deapmash aura eu le temps de nous dérouler son jeune parcours dans la musique et ce que représente une telle date pour lui : “Je commence à connaître le public français mais je n’avais encore jamais joué pour le public allemand. Et encore moins un public aussi aguerri que celui du Berghain“, nous explique-t-il avec une pointe de d’anxiété. Un sentiment tout à fait légitime puisque c’est comme si on envoyait un (certes talentueux) amateur de ski de fond aux Jeux Olympiques.
À la sortie de l’aéroport, Tobias, un runner du Berghain, nous attend pour nous emmener jusqu’à notre hôtel. Avant de partir, il règle un léger problème : le flycase de Cygnus, un autre artiste qui doit jouer en live ce soir, s’est perdu pendant le vol. Nous montons à bord d’un van vert, qui se reconnaît facilement grâce aux stickers du club collés sur les portes avant. Nous voilà plongés dans les rues de Berlin – pour la plupart en travaux et dont les murs sont jonchés de graffitis.

Deapmash a bord du van
À peine le temps de déposer son sac à l’hôtel, Deapmash doit déjà repartir pour dîner dans un petit restaurant italien avec les autres DJs, l’équipe du Berghain et celle de Leisure System qui co-organise la soirée de ce soir. Ça discute évidemment musique et quelques anecdotes tombent, comme cette fois où Boys Noize était venu jouer il y a quelques années au Berghain et qu’il n’avait pas pu s’empêcher de prendre quelques photos, chose strictement interdite dans l’enceinte du club. Pourquoi ? Pour préserver le mystère du lieu, bien entendu.
À notre retour, on troque le “before” pour une sieste. Julien joue de 5h30 à 7h30 du matin, il lui faut reprendre un peu de force avant d’honorer sa date la plus importante de sa jeune carrière.

Deapmash
Sur les coups de 3h, le réveil sonne. “J’étais un peu déboussolé avant de bouger de l’hôtel pour aller jouer, juste après être rentré du repas où je n’avais évidemment pas bu que de l’eau. C’était une sensation bizarre de se réveiller si tôt, de se faire beau, de prendre ses clés usb, son casque et puis marcher sous la pluie pour aller jouer au Berghain“, nous raconte alors Julien sur la route vers ledit lieu. Difficile tout de même pour le jeune homme de cacher son excitation… Le club n’est qu’à 10 minutes de marche de là où nous sommes et nous ne tardons pas à faire face au gros bâtiment stalinien en béton. Aux portes, les quelques personnes qui font la queue se font pour la plupart recaler. Sven Marquardt, le charismatique physio, est intransigeant et si votre profil ne lui convient pas, il est impossible de négocier. Pour nous, c’est évidemment plus simple. Julien s’annonce et nous présente comme ses accompagnateurs. Il continue sa route dans le club, tandis que l’un des videurs nous fait passer dans une salle d’accueil, par la gauche. Ici, un employé des lieux dépose des gommettes sur les capteurs photo de nos portables, histoire de bien s’assurer que les seuls souvenirs que l’on ait du lieu soit dans notre tête. On retrouve juste après Deapmash de l’autre côté. Une fois les pieds dans le “temple”, la première personne que nous croisons est un cinquantenaire nu qui ne peut compter que sur ses bottes en cuir et la chaleur du club pour le réchauffer. Le ton est donné.
Au coeur du Berghain
Nous nous dirigeons d’abord à Saüle, le nouveau dancefloor expérimental dans lequel jouera notre ami un peu plus tard dans la nuit. Tenue par des gros piliers, cette salle se veut plus intimiste que la main room. On décide alors de monter à l’étage pour voir ce qu’il en est. Les jeux de lumières sont millimétrés, la musique nous transperce le corps, notre coeur bas au rythme du BPM qu’orchestre DJ Stringay, aux commandes des platines. La foule danse et l’expression corporelle n’a l’air d’être que son unique obsession. Au bar, on boit des classiques du bar mais aussi des cafés, pour pouvoir tenir un maximum de temps dans cet antre festif qui ne ferme que rarement ses portes.
Après un rapide tour des propriétaires, on fait point sur l’état psychologique de Deapmash. “La pression est redescendue après être rentré à l’intérieur. L’ambiance était vraiment unique, ça m’a détendu et le fait qu’il n’y ait pas de backstages met tout le monde sur le même pied d’égalité à l’intérieur. C’est agréable de se sentir bien dans le club dans lequel on est censé jouer 2h après“. Et oui, au Berghain, pas de traitement VIP, tout le monde est logé a la même enseigne, même les artistes ! Seul un badge de paiement rechargé d’une soixantaine d’euros leur est offert.

Deapmash à la sortie du Berghain
Arrive très rapidement l’heure pour Julien de prendre en main les réjouissances sonores de Saüle. C’est Taraval qui lui passe le relais. Deapmash n’y va alors pas de main morte et fait exploser un puissant beat techno des enceintes, considérées pour beaucoup comme les plus qualitatives de la ville. Pendant 2h, le jeune homme aura tenu un set efficace à l’image de sa musique. Le public est réceptif et respectueux. Ici, quand on se bouscule par inadvertance, les gens s’excusent immédiatement. Ça paraît bête, mais pouvons nous dire que c’est toujours le cas dans nos clubs français ? Pas vraiment.
7h30. Deapmash met fin à son set : “Après avoir dit au revoir aux organisateurs, j’ai été surpris par le soleil qui brillait déjà fort au dessus de nos têtes et je me sentais satisfait de moi, je savais que je venais de faire un truc cool dans ma vie : avoir joué au Berghain à 22 ans“, a-t-il conclu.
À n’en pas douter, Deapmash.