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Christophe: “Je cherche à trouver mon style entre les failles”

On a parlé avec Christophe de son disque. Son amour naissant pour le piano a bouleversé son art.

Villa Schweppes : Intime est un disque piano-voix. D’où est venue l’idée de le faire ?

Christophe : C’est venu de l’envie de jouer du piano, ce qui ne m’avait jamais traversé l’esprit avant septembre 2012. Pour jouer du piano, avoir chez moi des instruments de haut niveau, j’ai décidé de lâcher tout ce qui est un peu synthétique et de me consacrer à essayer de comprendre son fonctionnement. Je n’ai jamais appris la musique : j’ai toujours été plus dans la confection du son. Ce qui m’a amusé, c’était de tourner autour de vieilles chansons, de nouvelles, de chansons de Lou Reed, de pleins de mecs que j’aime. Je suis entrain de finir – il reste six mois de boulot – un album qui sortira en janvier 2015. On s’est dit, avec les gens qui m’entourent, que ce serait bien de faire ça entre temps. Pour être cash, je ne me sentais pas vraiment capable de le faire. J’ai transformé ça en quelque chose qui est à l’inverse du format concert. Je me suis dit : “je vais faire les concerts comme je les sens, comme j’ai toujours imaginé que je les ferais“. Avoir un beau son sur scène, et faire n’importe quoi.

Évidemment, il y a une ligne-guide, mais je veux rester dans une sorte d’improvisation par rapport à la set list, d’être dans quelque chose de non formaté. Sur l’album, dans la version deux Cds, il y a aussi des versions synthés, guitare. Mais “Intime” existe vraiment grâce au piano. Il m’a ouvert une trajectoire passionnelle et sonore. Un souffle inédit, une vision et une sensation nouvelle. Je serais jamais un virtuose, et je ne cherche pas à l’être. Je cherche à trouver mon style entre les failles. Entre Intime qui a été enregistré en Décembre, et aujourd’hui, j’ai évolué. Heureusement pour moi, je me suis amélioré. Mais je suis loin de pouvoir jouer Chopin ou Rachmaninov…

Ce rapport à l’échec, c’est quelque chose qui fait partie de votre art ?

L’expérimental, c’est l’échec ou le génie, mais il n’y a pas de milieu. C’est pareil dans la peinture. Je suis autodidacte, mais ça part d’une envie, d’un désir. Il n’y a pas longtemps, je me suis remis à la peinture. Celle que j’ai démarré il y a deux mois est, sans le faire exprès, un auto-portrait. Parce que, comme dans ma façon de composer, je joue avec la matière. Je suis très patient, même si j’ai l’air speed comme ça. On pourrait en parler des heures, parce qu’un mot revient toujours avec moi : la faille. Les albums, c’est autre chose. Il peut y avoir des failles, mais c’est qu’elles apportent un truc un peu grandiose. Pour Intime, je répète, je m’entraîne devant les gens quand je joue un concert… Je suis comme un élève. Chaque soir sera une autre session d’apprentissage, avec un public face à moi qui me stimule. Ça me plaît bien. Les gens me donnent une tension qui m’aide à me surpasser. Le public a, maintenant, une importance particulière.

Le son des voix est très important pour vous. En live, c’est moins évident, non ?

Quand j’étais petit, j’enregistrais des bruits, ma voix, je m’étais procuré, vers 13 ans, un magnétophone Telefunken ou Grunding à fil magnétique. C’était une bobine de fil, comme du plomb, et le son était très naturellement limité. C’était une façon d’éliminer ma voix. J’avais pas envie d’entendre ma voix. On me demande des fois de jouer sans micro, au piano, pour la télé, par exemple. Je refuse. Je n’aime pas l’a cappella.

Sur Intime, comment avez-vous travaillé les voix ?

Le plus important, c’est les doigts. Je m’occupe d’abord des choses importantes : regarder les grilles d’accords, que je ne connais pas par coeur, et essayer d’associer l’idée du “ré dièse” à la position des doigts. Quand on sait dans la tête, on sait sur le piano. Quand l’image dans la tête est mauvaise, c’est qu’on est pas au point. Donc ça donne des hésitations, des conflits de conjugaison entre les instruments, le chant, les paroles et la nuance! C’est très large à expliquer, très profond, ça va très loin.

Vous rejouez quelques-uns de vos plus grands morceaux. N’y-a-t-il pas un côté bilan dans ce disque ?

Il ne peut pas y avoir de bilan. Je n’ai encore rien fait. J’ai encore tellement de choses à visiter dans lesquelles je dois m’amuser… Je travaille mon piano et c’est beaucoup plus ludique, beaucoup plus brillant pour moi, d’en être capable. J’ai toujours été entouré d’excellents musiciens, très bons pour improviser, qui ont toujours été une projection de ma non-technique. Il correspondaient à mon feeling : ils étaient capables de retranscrire ma nuance, ma couleur, ma palette sonore. Pour Intime, j’ai enregistré pendant deux jours 90 morceaux que j’ai rejoué pour la première fois depuis longtemps. C’était moins difficile que je ne le pensais, car elles me sont revenues. Chaque moment de création a tellement compté pour moi qu’ils me reviennent comme si c’était hier. Pourtant, parfois, je ne les ai chantés qu’une fois. De temps en temps, quand je suis en répétition dans un théâtre, je chante la chanson de Brassens “La non demande en mariage”. C’est juste pour m’entraîner, faire le son de ma voix et un joke. Mais je trouve que ça résonne bien, donc je dis : “je vais la jouer ce soir“. C’est comme ça que j’aime fonctionner.

Les pianos préparés de John Cage, par exemple, ça vous inspire ?

Ouais, bien sûr. C’est bien ce qui me traverse quand je commence à être dessus. J’en ai fait des trucs… mais pas en live. Il faut que je puisse avoir tout mon temps pour installer ça, taper la bonne note, savoir si je veux coller du scotch ou de la mousse dessus. Le son, ça va très vite dans ma tête. Les nuances, l’intention, c’est ça l’important, et ça se passe sur le clavier. Avec tous les périphériques audio qu’on peut mettre derrière, c’est illimité. Il faut déjà que je n’ai plus à penser aux accords pour être vraiment bien. Chez moi, je ne travaille pas mon piano. C’est pas l’école ici. Enfin si, parce qu’à l’école, je ne travaillais pas. J’ai besoin d’une école plus… particulière : la scène.