Apparue sur le net en 2011 sous le nom Mozart’s Sister, Caila Thompson-Hannant, désormais connue sous l’alias Cecile Believe, refait le monde avec pop avant-gardiste rafraîchissante, à la croisée entre la PC music de SOPHIE et les sonorités entêtantes de Caroline Polachek. En plus d’une douce collaboration sur le dernier album d’Austra, elle livre cette année deux solides EP, Made In Heaven et Plucking A Cherry From The Void. Interview.
Pour certains, 2020 fut une année catastrophique. Pour d’autres, comme la prolifique Caila Thompson-Hannant, alias Cecile Believe, ce fut une année riche en révélations et nouveautés. Originaire de Montréal au Québec, la discrète prodige s’est d’abord faite remarquée en 2011 sous le nom Mozart’s Sister avec un premier EP, Dear Fear. Explorant le vaste champ de la pop avec ingéniosité, elle lèvera le voile sur un autre EP (Hello) et deux albums (Being et Field Of Love), avant de se retrouver aux crédits de nombreux morceaux figurant sur le premier album éminent de SOPHIE, Oil Of Every Pearl’s Un-Insides, sorti en 2018. C’est au tour de cette période que le changement de nom s’opère : Caila Thompson-Hannant devient Cecile Believe, marquant sa signature dans l’industrie musicale avec deux nouveaux EPs parus cette année, Made In Heaven et Plucking A Cherry From The Void. Dans la même veine que la mixtape d’OKLOU Galore, ces deux projets se complètent, redéfinissant le genre de la pop-électronique à coups de mélodies contemplatives accompagnées d’une voix harmonieusement autotunée chantant avec sincérité des paroles chargées en émotions. Rencontre.
Tu as sorti ton tout premier EP Dear Fear, en 2011, sous le nom de Mozart’s Sister… qu’est-ce qui t’a fait changer de nom de scène ?
CECILE BELIEVE : Mozart’s Sister était un surnom que j’ai inventé à une époque où je me sentais vraiment comme une outsider. Je ne savais pas comment faire de la musique avec des ordinateurs et je n’en avais jamais fait, en tout cas ni pour moi ni pour ma propre carrière. Donc ce nom sonnait comme une revendication. Il faut savoir aussi que, dans l’histoire, la soeur de Mozart était une créative qui n’a jamais été reconnue ni créditée pour ça… et cette anecdote me révulse. Tout ça ne me semble pas juste, en tant qu’artiste.
Qui est Cecile Believe par rapport à Mozart’s Sister ? Une version évoluée, un personnage complètement différent, un alter ego ?
CECILE BELIEVE : Je suis une actrice, je m’épanouis en me donnant des identités différentes pour jouer, je suis assez mercurielle comme ça. Cecile est un personnage différent de Mozart’s Sister, mais à bien des égards, il me semble plus que je suis juste moi-même avec ce nom. J’ai décidé de rendre ce projet flexible et dès le début, lors de sa conceptualisation, je me suis dis que je serais prête à risquer des changements de genre musical dans la vie de Cecile Believe. J’avais besoin d’une plus grande idée autour de mon propre projet et c’est ce que Cecile est devenue et représente aujourd’hui.
Même s’il y a une pandémie mondiale, tu as réussi à sortir deux projets incroyables cette année. Quel est le concept derrière ton dernier Plucking A Cherry From The Void ?
CECILE BELIEVE : Plucking A Cherry From The Void a été très inspiré par l’idée de création en elle-même. Je suis devenue assez obsédée par la nature psychédélique d’avoir une idée dans la tête et de la manifester sous forme de musique. C’est incroyable de se dire que cet endroit sombre et dissimulé sous notre crâne contient autant de contenu invisible. Et tout ce processus de diffusion de ce contenu dans le monde, pour moi c’est de la pure alchimie. Tout le monde a ces petits univers dans sa tête, et ce en permanence, et par les plus grands hasards de la nature ou de l’évolution, nous arrivons à ce stade où nous désirons partager nos univers et leurs perspectives avec l’extérieur. En fait, cela nous fait nous sentir plus entiers lorsque nous voyons ces petits morceaux de notre moi intérieur se montrer à la vue de tous. Ce n’est pas seulement du point de vue d’un artiste, mais aussi d’un public. Lorsque je me connecte à une oeuvre d’art, je me sens plus connectée avec moi-même. Le titre de ma dernière mixtape soulève également la question : si vous pouvez décider de ce que vous créez et partager dans ce vaste monde, que choisissez-vous de faire ? Une cerise ? Oui, pourquoi pas, c’est beau et délicieux.
Mon disque est venu avec un flot d’images. Un blocage mental a été définitivement brisé et maintenant je ne peux pas arrêter de penser et composer avec des visuels en tête.

Caila Thompson-Hannant, alias Cecile Believe
Qu’est-ce qui a changé depuis Field of Love, ton dernier disque publié sous ton ancien nom ?
CECILE BELIEVE : Tout ! J’ai changé de pays, j’ai beaucoup collaboré, je me suis rendue aux Grammys, j’ai fait de la production et j’ai écrit pour d’autres personnes. Beaucoup de choses que je voulais faire depuis de nombreuses années se sont produites depuis Field of Love. C’était quelques années de grandes premières.
J’adore les visuels, est-ce que tu les diriges tous ?
CECILE BELIEVE : Oui, j’ai dirigé la création de Plucking a Cherry From the Void. C’était un grand pas en avant pour moi. J’ai souvent constaté que je ne visualisais pas la partie image lorsque j’écrivais, contrairement à certains musiciens. Mais ce disque est venu avec un flot d’images. Un blocage mental a été définitivement brisé et maintenant je ne peux pas arrêter de penser et composer avec des visuels en tête. C’est un vrai cadeau. Made in Heaven était une collaboration avec Zoe Chait sur tous les visuels. J’adore ce que nous avons fait ensemble.
Qu’est-ce qui t’inspire au quotidien ?
CECILE BELIEVE : Mon environnement physique. Faire des ballades. Parler aux gens, et marcher avec les gens. Les philosophes, bien sûr, Rosi Braidotti et d’autres penseurs post-humanistes me stimulent vraiment en ce moment. Les galeries d’art et les expositions me manquent. Je ne suis des ces personnes qui s’enferment dans leur tête si ils ne sont pas connectés au monde, socialement. C’est un défi de nourrir l’inspiration pendant la pandémie. Mais je profite de l’opportunité offerte par la solitude pour être calme et en apprendre davantage sur moi-même. Cela m’inspire beaucoup ces derniers temps, ma propre histoire.
J’ai lu quelque part que si Sophie et Caroline Polachek avaient pu avoir un enfant ensemble, ce serait toi. Mais si tu pouvais décrire l’univers de Cecile Believe, avec tes propres mots, que dirais-tu ?
CECILE BELIEVE : [rires] J’adore. J’aime le son et je crois aux paroles, à la chanson et à l’histoire de la même manière que ces deux artistes, donc je comprends la description. Je vois l’univers comme quelque chose qui continuera à se révéler à nous jusqu’à ce que nous soyons tous partis. Nous ne cesserons jamais d’être surpris et secoués par l’existence. La vie est le maître ultime. Nous ne pouvons pas d’un côté le saisir pleinement, mais d’un autre côté, nous savons – à un niveau qui n’est pas toujours descriptible – ce que c’est de la saisir parce que nous le sommes, finalement. Si ça fait sens. J’adore les chansons chaleureuses, enveloppantes et encourageantes, mais j’admire aussi la vérité et la beauté dans les ténèbres, et je ne m’en détournerais jamais. J’ai un grand lien avec les ténèbres, la dureté et la violence, du moins dans leur forme artistique. Je vois de la valeur à parler des choses que nous n’apprécions pas. J’essaye de ne pas avoir peur du noir.
D’ailleurs, tu as travaillé avec de nombreux artistes comme Sophie, Caroline Polachek et récemment Austra … que retiens-tu de toutes ces collaborations ?
CECILE BELIEVE : J’apprends beaucoup, à chaque collaboration. C’est fou. Austra est une telle patronne, elle est une artiste tellement concentrée, avec un esprit très indépendant. J’ai absorbé son énergie en la voyant soutenir son oeuvre et la mettre au monde, dans le plus grand des calmes. C’était tellement inspirant de travailler à ses côtés. Idem pour Sophie et Caroline Polachek. Tous ont leur particularités et leurs méthodes de travail, mais surtout un génie. Un génie qui me nourrit.
Les petites salles DIY, les petits disquaires, les librairies et les vidéothèques étaient des endroits idéals pour rencontrer des passionnés et se faire une idée réaliste et affinée du rendu artistique. Pour moi, cela n’a pas été suffisamment développé en ligne.

Pochette du single “Pick Up The Phone“
Verrons-nous plus de Cecile Believe en 2021 ? Une tournée, un autre EP ? Des projets à venir ?
CECILE BELIEVE : Oui, je l’espère. Pas encore de plans solides. En ce moment, je rédige beaucoup en utilisant de nouveaux outils et de nouvelles idées. En tout cas, j’ai la ferme intention de sortir de la musique l’année prochaine.