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Born Bad Records est le navire amiral de l’indie français

Depuis 2006, JB Wizz se bat pour que vous puissiez écouter des trucs autres que Zaz en France. Et vous savez quoi ? Il y arrive. On l’a rencontré.

Jean Baptiste Guillot alias JB Wizz était directeur artistique d’EMI. Il s’est fait sortir pendant la crise des majors. Détaché des contraintes de l’industrie musicale classique, il a décidé de monter sa propre entreprise en 2006, pour défendre des groupes underground français à un moment où personne ne le faisait vraiment. Un leitmotiv : faire un label rock’n’roll, dangereux, risqué et ambitieux en France, capable de tirer le niveau vers le haut

En bientôt dix ans d’activités, ce quarantenaire a réussi à monter l’une des plus grosses maisons de disques indépendantes d’Europe. Défenseur de la contre culture, il a exhumé des mouvements musicaux que le culte avait oublié à travers des compilations ou des rééditions et a placé la France sur la carte du monde de la musique underground en catapultant Cheveu, Frustration, The Feeling of Love sur les cinq continents. C’est même lui qui est responsable de la version vinyle de La Femme.

En lutte contre un environnement culturel mou et consensuel, sa hargne a lancé une dynamique de conquête folle et une vague de naissance de micro-labels sans précédent. L’homme avec qui nous avons discuté nous a semblé fier et toujours déterminé après presque 20 ans d’engagement dans les circuits parallèles. Le magazine Villa Schweppes.com se devait d’aller rencontrer pour vous ce guérillero majeur du rock en France.

Villa Schweppes : Que ce soit dans vos compilations, vos rééditions ou les disques de groupes actuels, les musiciens que vous mettez en avant sont en lutte contre la musique de masse de leur époque…

JB Wizz: C’est la contre culture. Je suis en révolte contre la culture de masse. Je suis juste un acteur de cette alternative à la culture dominante. Il faut essayer d’être un contrepoids à tout cela, toute cette médiocrité qu’on nous impose et qui nous entoure. C’est important qu’il y ait des labels comme le mien qui offrent une véritable alternative. Il faut montrer qu’il y a d’autres choses qui existent, et des gens qui font des choses différentes. C’est quelque chose que je développe aussi dans mes rééditions : Quand je fais “Wizzz” par exemple, c’est pour montrer que certes, il y a eut Sheila et Adamo, mais qu’il y avait aussi des gars qui prenaient des risques, et se mettaient en porte-à-faux par rapport à tout cela. L’idée de toutes mes sorties c’est d’être en rupture avec cette culture de masse qui est étouffante, et dans laquelle tout le monde n’a pas envie de se vautrer.

Monter une entreprise suffisamment rentable en travaillant autour d’une musique à mille lieux des musiques de masse, était-ce aussi pour prouver au monde que c’était possible de vivre de l’indé, local qui plus est ?

Cette rentabilité est toute relative puisque je continue à avoir un boulot alimentaire à côté de mon label. Je suis en effet courtier pour une usine de pressage de vinyles, et je fabrique ainsi les disques d’une cinquantaine de labels indépendant français. Par ailleurs, quand tu commences une société, tu ne te dis pas que tu seras rentable tout de suite, je me suis tapé tout de même quelques années de RSA. Il se trouve qu’à l’heure actuelle, j’arrive à vivre de mon label, ce qui est un privilège rare en France. Dans les labels de rock’n’roll, je suis le seul, c’est sûr. Après, ce n’est pas mon moteur. Il s’est avéré que j’ai fait mon truc, que ça a trouvé son public et que du coup, ça a généré de l’argent. La rentabilité n’est pas du tout au centre de mon activité. Ce n’était pas du tout une notion intégrée au départ, sinon j’aurais monté un site de poker en ligne.

Vous vous rendez compte de l’influence que vous avez eu depuis votre arrivée sur le milieu indé?

Dire aux gens que c’est possible, montrer que même avec un groupe très alternatif, tu peux avoir une résonance qui soit nationale, européenne et même internationale.

Je ne pense pas à cela, même si c’était une volonté dès le départ d’ouvrir certaines portes. Dire aux gens que c’est possible, montrer que même avec un groupe très alternatif, tu peux avoir une résonance qui soit nationale, européenne et même internationale. C’est le cas des groupes du label, qui tournent dans le monde entier, arrivent à susciter de l’intérêt dans les médias. Pourtant, ce n’est pas le cas de nombreux artistes qui connaissent bien plus de succès par chez nous. C’est la force des circuits alternatifs. J’ai ouvert des portes, mais il y a aussi une conjoncture qui nous a aidé. Ce fameux retour du rock and roll notamment. Je ne suis pas le seul artisan. Mais c’est exactement pour ça que je fais ce que je fais, que je sors en grande majorité des groupes français. Ce qui m’intéresse, c’est d’aider au développement et à la reconnaissance d’une scène locale. C’est ça, la vocation de Born Bad Records.

Plus ou moins directement, de nombreux labels ont été inspirés par votre succès, voire votre fonctionnement…

Si c’est vrai, c’est génial. Ça faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu de label rock’n’roll en France un peu sexy. Il y a eu les labels de rock alternatif au milieu des années 80, mais Bondage, Boucherie production etc… c’était un peu rock-punk-à-chien-crasse-pouilleux et ce n’était pas très glamour. Mon modèle ça a été New Rose. Le succès (tout relatif) que j’ai eu, vu de l’extérieur, a pu donner envie aux gens. Mais je me pose pas vraiment ces questions là : je vais à 200 à l’heure, j’avance, je ne cesse de penser que cela peut s’arrêter du jour au lendemain. A un moment donné, tu te rends compte que sortir des disques, tu sais le faire. Tu sais les produire, les promouvoir, les vendre mais cela ne suffit plus. C’est ce que tu vas faire de ces sorties qui devient important. Je veux être acteur du développement d’une scène nationale et locale. J’aurai bientôt sorti 70 disques. La musique, c’est important, mais ce n’est pas tout. Il faut essayer de garder cette volonté d’être un passeur. Il y a quelques années, le rock’n’roll était dans les bars. Aujourd’hui, les groupes jouent dans des SMACs (salles subventionnées ndlr), on s’est arrogé une place qui est celle qu’on aurait toujours dû avoir. Mais ça ne s’est pas fait simplement. Pour nous, jouer au Point Éphémère ou au Nouveau Casino, ce n’était même pas la peine. Maintenant n’importe quel groupe peut espérer y faire au moins une première partie.

Vous êtes issu d’un parcours qui fait que vous aviez, avant de vous lancer seul, une expérience à 360° en major…

On parle toujours de DIY, mais cela ne suffit pas

La ligne artistique de Born Bad, on peut en parler des heures. Cela ne reflète que mes goûts avec tout ce que cela a de subjectif. En revanche l’énorme avantage que j’ai, par rapport à l’immense majorité des labels indépendants, c’est la compétence. Quoi qu’on en dise, gérer un label nécessite un long apprentissage. On parle toujours de DIY, mais cela ne suffit pas. Il se trouve que je suis compétent, disons ce qui est, je suis devenu au fil des ans une machine de guerre. Je suis polyvalent, et complètement autonome. Je peux ainsi faire Born Bad seul parce-que je cumule les compétences en maîtrisant très bien les codes de l’industrie du disque d’une part et les règles et usages du ghetto rock’n’roll d’autre part. J’ai ainsi bossé 10 ans en major. J’ai commencé en faisant des photocopies et j’ai grimpé les échelons jusqu’à devenir directeur artistique aux éditions chez EMI. Il se trouvait que par ailleurs, mes frères aînés étaient dans le punk et que j’étais depuis l’adolescence un acteur des circuits alternatifs. Je ne me suis pas réveillé en 2003 avec l’arrivée des Strokes. J’ai toujours été là dedans. En général, ce sont des compétences qui sont exclusives les unes des autres, tu as toujours le mec qui vient de la major qui essaie de comprendre les ficelles et les rouages des circuits alternatifs, et d’autres qui viennent de ces circuits qui ne savent pas trop comment s’y prendre pour écouler leurs disques. Il se trouve que j’ai la double casquette, et que je suis aussi à l’aise avec l’un qu’avec l’autre. C’est ce qui explique que j’aille aussi vite en besogne et que je sois si efficace dans ce que je fais.

Est-ce aujourd’hui la compétence qui manque à l’indé français pour prendre plus d’ampleur ?

Disons qu’en France, les choses sont assez manichéennes. D’un côté il y a les méchantes majors, et de l’autre des gars gentils et enthousiastes qui font leur label dans leur cuisine après le boulot. Entre les deux, il n’y a rien, pour ainsi dire. C’est hallucinant de se dire que Born Bad Records fait désormais parti des gros labels indépendant français. Quelle blague ! Pour ce que qui est de la compétence, c’est surtout l’expérience qui prime. Y a pas d’école pour cela et quand je vois les mecs qui font des DEA de management culturel, je ricane… Je crois que ce sont des métiers de passions, d’intuition. Il faut avoir envie, mais surtout, il ne faut pas compter son énergie. Les gens doivent comprendre que je récupère les fruits de 20 ans d’engagement. C’est une croisade, une pulsion de vie. J’ai dû organiser presque 150 concerts sans gagner un franc. Tout ce que je fais, je le fais par passion, et si ça permet de gagner de l’argent, c’est génial mais cela n’a jamais été au centre du projet. Encore aujourd’hui, je fais tout moi même : les cartons, les emballages et tout ça, c’est moi qui me fait chier à les faire. Je n’ai jamais eu de stagiaire, je n’ai personne qui m’aide si ce n’est Clarisse Vallée qui me donne un coup de mains à la promo depuis quelques mois.

Un autre de mes moteurs c’est aussi la rage, parce je suis quelqu’un d’extrêmement en colère. Cette rage, elle est intacte parce que comme on le disait, je ne suis pas juste là pour sortir des disques. Je suis une force d’opposition, je suis dans la lutte. Quand je vois Shaka Ponk être nommés Chevaliers des Arts et des Lettres, cela me rebooste pour trois semaines. C’est aussi mon carburant, cela me donne la haine et la force de continuer à faire Born Bad Records. Quand je me couche le soir, c’est à cela que je pense, toute cette médiocrité ambiante qui m’asphyxie, toute cette complaisance en France à l’égard de tant d’imposteurs. Il y a un vrai problème de repères, de valeurs. J’en veux à tous ces journalistes, toutes ces radios qui ont capitulé. Il y a évidemment plein de gens qui font des choses, qui ont compris qu’on s’en foutait de savoir ce qu’ils ont pensé d’un disque, et que ce qui compte, c’est ce qu’ils défendent au fond. Merci à eux.

Le fait de voir Cheveu ou encore Dorian Pimpernel à Rock en Seine, c’est une bonne nouvelle ?

C’est sûr que je ne me retrouve pas vraiment dans la programmation d’un festival comme Rock en Seine, mais c’est toujours une très bonne nouvelle pour les groupes de pouvoir y jouer. Voir la force de communication d’un tel festival mise au service de Dorian Pimpernel ou encore Cheveu cette année, c’est vraiment super. Cela crée pleins de passerelles avec un public plus mainstream et des médias que j’ai personnellement du mal à toucher.

Born Bad est un label qui teinte ses groupes. Les gens disent souvent “c’est Frustration, de Born Bad” par exemple. C’est une réjouissance, ou est-ce au contraire pesant ?

Il se trouve que j’ai une ligne éditoriale très forte. Avant même d’avoir écouté un disque, tu peux presque reconnaître que cela vient de Born Bad Records. Je suis aussi assez connu, parce que je fais des choses depuis longtemps, que je me bagarre pour les groupes et que je suis assez vindicatif. Je me dis que c’est positif pour le label. Développer une “marque”, cela aide les groupes à leur début, et cela m’aide à vendre des disques. Si la label n’avait pas cet “aura”, je ne pourrais pas basculer, comme aujourd’hui, sur des sorties souvent assez différentes les unes des autres. Comme les gens me connaissent et savent que je me remets toujours en cause, ils s’y intéressent et me suivent, en général.

Depuis que vous avez travaillé avec des majors pour La Femme, elles vous ont fait des propositions pour d’autres projets ?

Universal m’avait proposé de sortir un maxi vinyle d’Arcade Fire en amont de la sortie de l’album Reflektor, pour que le disque soit bien présent chez les disquaires indé. Ce n’est pas ma vocation : je veux rester dans la contre culture, je ne vais pas être un vassal des majors, même si d’un point de vue financier, ça aurait sans doute été intéressant. Quoi qu’il arrive, quoi qu’ils fassent, même Universal ne peut pas vendre autant de vinyles que Born Bad Records.

De quelle manière se répartissent vos rentrées d’argent ?

Je n’ai aucune charge, aucune dépense, je suis tout seul et je fais tout depuis chez moi. Born Bad coûte 29€99 à faire tourner, soit le prix d’un abonnement chez Free. Après, il y a les budgets de production. Il faut savoir que je maîtrise mes coûts en permanence. J’ai aussi une politique tarifaire extrêmement agressive. Je ne suis vraiment pas cher. C’est comme pour les bars : tu auras celui qui fera le demi à 2€50 et celui qui le fera à 6€. Je pense que le premier ne fera pas forcément plus de thunes que le second, mais en revanche, je suis sûr qu’il y aura une meilleur ambiance dans son bar. Il faut aussi savoir que je bosse beaucoup. La maxime un peu caricaturale, mais qui me colle très bien, c’est “mon travail c’est ma passion, ma passion c’est mon travail“. Je vis comme un ascète, pas de sorties, pas de restau, peu de vacances, je n’ai presque aucune sociabilité.

Quand vous faites les soirées On Ice, à la Patinoire Pailleron, où on trouve autant Born Bad que Bromance, vous faites un travail de popularisation ?

Ces soirées, elles sont récréatives, c’est pour le plaisir. Mais c’est quelque chose que je revendique pour le label : faire quelque chose de populaire en essayant de tirer les gens vers le haut. Tu as beaucoup de gens qui font des labels délibérément élitistes et qui sont très contents d’eux. C’est une manière de créer une distance entre eux et “la plèbe”. Je viens d’un milieu modeste et simple. J’aspire à vendre des disques à tous, je revendique le fait d’être un label pointu et populaire. C’est la mission d’éducation, le rôle didactique que mes sorties peuvent avoir, qui me plaît.

Qu’est-ce qui fait un bon groupe aujourd’hui ?

En plus du talent, c’est quand le groupe comprend qu’il est le moteur de sa propre réussite. Il y a des mecs qui m’envoient des démos, c’est : “alors on a fait deux morceaux on cherche un label, un tourneur, un manager etc… “. Si il veut, on peut aussi lui faire son lit et lui faire à bouffer tant qu’on y est. D’abord, il faut que les groupes fassent leur truc, puis cherchent des relais. Je ne suis qu’un relais. Il faut avoir une ambition, mais pas déplacée. Les mecs dont les dents rayent le plancher, ça me fatigue. Dans Born Bad, il y a une dimension humaine essentielle. C’est à dire que je préfère sortir un disque moyen d’un type que j’aime beaucoup humainement qu’un disque très bien d’un mec que je méprise. Ce qui est génial aussi quand tu bosses avec des gens comme Cheveu ou Feeling of Love par exemple, c’est quand tu regardes leur discographie, tu n’as pas un disque pareil : ils se remettent toujours en question, et ce qu’ils font est toujours très inspiré.

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