La Villa Schweppes : Comment as tu commencé la danse ?
Amélie Poulain : J'ai débuté toute petite. Fan de ballet, je voulais faire des pointes avec mon tutu... J'ai commencé par du classique, après j'ai fait du jazz, du contemporain, et je suis finalement arrivée au hip hop -au sens large, ça va du funk à la house-, que j'affectionnais plus, à cause de la musique. J'ai découvert il y a 6 ans le Waacking, qui n'est jamais vraiment arrivé en France, mais qui existe depuis les années 70 à Los Angeles. Ça a été une révélation : c'est un mélange de tout ce que j'aime, le groove, le hip-hop, avec un côté très féminin et mode.
Il y a un vrai intérêt en France pour ce type de danse ?
Oui, carrément ! Avec House of Drama nous nous y sommes mis petit à petit, on a commencé à organiser les "balls" (concours de danse de typeVoguing ou Waacking où les gens s'habillent et s'affrontent sur la piste de danse) de la Mona, et on constate que l'évènement rencontre un succès fou. Plus on en fait, plus il y a du monde et des gens très différents ! On retrouve des danseurs, mais aussi des gens de la mode, des teufeurs... Ça plait à une cible assez large et ça crée un vrai mélange détonnant.
Comment définir simplement le Waacking ?
C'est de la Discodanse, la danse des divas ! Les créateurs du Waacking sont à l'origine des "Lockers", une danse funk beaucoup plus masculine. Ce sont les gays qui se sentaient rejetés en club qui ont détourné les mouvements de bras et qui les ont un peu féminisés, avec du posing et l'incarnation de personnages. Après, le Waacking a évolué, c'est bien de connaître les bases, mais il se danse dorénavant sur tous les genres de musique. Chacun est libre de faire ce qu'il veut !
Quels sont les liens entre Voguing et Waacking ?
Ce sont des mouvements qui se ressemblent, qui sont nés au même moment. Ils sont liés puisque créés par les gays. Néanmoins, le Voguing est clairement de New York, tandis que le Waacking est "West Coast". On voit la différence musicalement : le Waacking est funk à la base, et le Voguing s'inspire plus des poses de mode, du catwalk. Il y a des différences d'énergie et de musique, et deux états d'esprits bien différents.
Le Voguing est rentré dans la culture pop par Madonna, y a-t-il eu un équivalent pour le Waacking ?
Dans Chic, il y avait une danseuse de Waacking. Il y a eu beaucoup de danseurs dans les années 80, mais ils ne pratiquaient pas que ce genre. Le Waacking est plus difficile à identifier que le Voguing, qui apparaît souvent dans les clips. Beyoncé l'utilise un peu et fait un mix de Waacking, de Voguing, de L.A Style. Mais on ne le trouve pas encore chez les grands artistes commerciaux... Ça ne devrait pas tarder néanmoins.
Tu penses que le mouvement peut s'imposer en club ?
Evidemment ! Déjà, marcher le menton haut en club, avec de l'attitude, c'est déjà du Waacking. N'importe qui peut le faire, c'est assez accessible, comme le Voguing. C'est simple, un peu saccadé, ce sont majoritairement des mouvements de bras... Quand tu évolues, ça peut être plus compliqué, mais c'est ouvert à tous. Avec Ylva (ndlr : danseuse de Voguing et membre du collectif House of Drama) on donne des cours, aux mamies comme aux enfants. Ça peut plaire à plein de gens !
Tu organises plein de choses en parallèle...
Oui, on essaie. J'organise le "Just for Ladies", un gros battle hip hop pour les filles. Je suis assez activiste pour la féminité dans le hip hop. A travers ce festival, j'organise des battles de Waacking, on organise aussi le Mona Ball pour faire découvrir ces danses aux gens, et puis des stages de danse. On essaie aussi de déplacer des personnes marquantes du mouvement.
Peux tu nous parler d'ailleurs de House of Drama ?
Le collectif s'appelait avant "Le Grand Bizarre". Au départ, c'étaient des gens qui se retrouvaient dans des soirées Chez Moune, qui se sapaient et qui faisaient des performances mais juste pour eux, et pour rire. C'était un peu les fous de Paris qui s'exprimaient. Au fur et à mesure, ça a commencé à interesser des gens, et ils ont eu des commandes. Ylva était aussi arrivée entre temps, et j'ai intégré grâce à elle le collectif puisque nous dansions ensemble. On a donc commencé à construire des choses, et c'est là qu'on a changé de nom pour House of Drama. On a la chance d'avoir des profils très différents qui se complètent : des stylistes, des designers, des performers, des danseurs, des scénographes... C'est un groupe parfait pour construire des shows de A à Z. De plus en plus de gens font appel à nous, on arrive à apporter cette touche décalée, avec nos délires différents. Mélanger tout cela avec de la danse de la mode, ça crée un truc unique.
De bons souvenirs à partager ?
C'est vrai que le Festival de Cannes était aussi dur que fun et mémorable ! Chaque jour, on devait faire une performance différente, on s'était donné des thèmes et des thématiques très décalées. Un jour on était baroque, l'autre hip hop. Et c'était fou parce que chaque jour, juste avant de faire la performance, on vivait notre délire. La journée trash, on était trash : on vivait les trucs jusqu'au bout !
Tu penses que les gens sont à la recherche d'une nouvelle esthétique de la fête ?
Dans les années 80, aussi bien que dans les défilés que les concerts, il y avait beaucoup plus de spectacle vivant, de danseurs, même les mannequins semblaient plus vivantes, elles incarnaient un personnage. On a un peu perdu ça dans les années 2000 et son minimalisme, et du coup on a perdu ce côté un peu inspirationnel, de voir des choses qui nous font rêver. Et c'est notre but, apporter quelque chose que les gens n'ont jamais vu et qui les fait halluciner. C'est d'ailleurs pour cela qu'à mon avis les gens font appel à nous, pour insuffler un supplément d'âme aux soirées.
Cela vous prend du temps à la réalisation, non ?
C'est vrai que c'est beaucoup de travail, surtout qu'on ne fait pas souvent deux fois la même chose. Il y a le travail de répétition, de création de costumes... Rien que pour se préparer avant une performance, on met 3 heures avec le maquillage, le bodypaint ou les faux tatouages. Mais bon, on le fait parce qu'on aime ça !
Quels sont vos projets ?
Dans "House of Drama", chaque membre a pas mal de projets à côté qui enrichissent aussi dans le collectif. Ensemble, on a une résidence au Centre Barbara (on participe d'ailleurs à la fête des Vendanges le 12 octobre organisée là-bas), où on va en profiter pour créer de nouveaux tableaux car on a pas mal de demandes.
On a de nombreuses dates qui arrivent à la rentrée, des collaborations au Palais de Tokyo, on travaille aussi en Direction Artistique sur des clips et avec des artistes, Aymeric de House of Drama travaillant par exemple avec le groupe La Femme. Ce n'est pas du tout notre monde, mais ils sont très ouverts, très funs, et ils nous laissent carte blanche pour faire des performances pendant leurs concerts. On adore le public des concerts de rock, les gens sont euphoriques, ils sautent partout ! Le 14 novembre on sera au Trianon avec eux, on a hâte !
Toute seule, je continue de développer mon waacking, et une identité propre. Je vais essayer de percer mon délire, et puis j'organise l'édition 2014 du "Just for Ladies". On va peut-être faire un pré-événement avant la Fashion Week. Je continue aussi à donner des cours, et à travailler en tant que danseuse ou modèle.
Quels sont tes lieux préférés ?
J'aime bien la Mona parce qu'il y a le "ball," mais je n'ai pas d'adresse favorite. Comme je travaille beaucoup la nuit, je sors moins de moi-même. Quand je mets le nez dehors, c'est dans les lieux où je bosse, ou pour voir Ylva ou Aymeric. Aller en soirée pour aller en soirée, ça m'arrive moins. Quand je travaille pas, je suis à la cool !
Tu écoutes quoi en ce moment ?
C'est toujours un mégamix. J'aime bien la Afrohouse, le rap colombien, des trucs que j'ai trouvé ou qu'on m'a filé, avec de très bonnes percus !
Amélie Poulain donnera un cours le Waacking le 22 septembre : l'Event Facebook.