Alpha Wann joue sur plusieurs tableaux : celui, très restreint des futurs grands, et celui très actuel et plus large, des populaires du moment. Il est lyriciste aguéri, à la technique soignée. Entre L'Entourage et 1995, groupe qui a notamment éclos fin 2012 grâce à son apport de rimes pointilleuses et nonchalantes, Alpha Wann navigue, parfois seul, car plus libre, comme il nous l'explique. Entre ces deux collectifs, il progresse, découvre et atteint de nouveaux horizons, qu'il se sent presque prêt à conquérir désormais. Lundi 11 janvier, nous le rencontrions, pour parler de la prochaine étape avant sa plus grosse conquête : Alph Lauren 2 qui sort aujourd'hui, ce vendredi 15 janvier 2016.
Villa Schweppes : Pour celles et ceux qui te connaissent mal, tu peux te présenter ?
Alpha Wann : Prénom : Alpha, nom de famille : Wann. Je fais partie de deux collectifs, à savoir 1995 et l'Entourage. J'ai participé aux deux albums respectifs de ces entités : Paris Sud Minute (2012) et Jeunes Entrepreneurs (2014). En solo, j'ai aussi sorti un premier EP appelé Alph Lauren, et là, on se rencontre pour le volume 2, composé de huit morceaux.
Villa Schweppes : Le grand public t'a découvert avec 1995 et Paris Sud Minute en 2012. Qu'est-ce qui a changé pour toi depuis cet album ? Musicalement, comme dans la vie de tous les jours...
Alpha Wann : La seule chose qui ait changé c'est qu'avant, je faisais de la musique avec mes collectifs. On est nombreux, dans 1995 par exemple on est 6, et dans L'Entourage on est 10, 11 ou 12 je ne sais même plus (rires)... Avant je faisais de la musique avec beaucoup de gens, et aujourd'hui, je suis seul, ou alors, je suis accompagné d'Hologram Lo'. Il produit. Il m'assiste énormément. Je dirais donc que ce qui a changé, c'est que je suis plus maitre de ma musique.
Je ne veux pas faire partie du cirque, je préfère en être spectateur.
Villa Schweppes : En se penchant sur tes textes, on a l'impression qu'il y a une part d'egotrip qui est de plus en plus importante. Tu penses que ça se normalise ?
Alpha Wann : Personnellement, je pense qu'il y en a moins. J'ai pris en maturité, que ce soit artistiquement ou alors dans l'écriture. Puis, quand tu remontes, l'egotrip fait partie de l'histoire du rap, et c'est quelque chose de normal. Le rap a commencé comme ça, ce sont des gens qui faisaient la fête en soirée et c'était à celui qui se mettait le mieux en avant. Dans un album, tu essaies de toucher à d'autres sujets, mais quand il s'agit de marquer le coup, dans un freestyle ou autre, l'egotrip reste dans la pure tradition du rap.
Villa Schweppes : As-tu le sentiment d'être hors du temps ? Tu ne sembles pas être dans l'urgence quand tu fais un morceau, à l'inverse de nombre de rappeurs qui eux, surfent sur des modes. On le ressent un petit peu dans le choix des samples, ou de tes productions, tout court.
Alpha Wann : Je suis un fanatique total de tout ce qui se fait actuellement en musique. J'écoute ça du réveil au coucher ! Mais après, j'ai vraiment envie de me différencier : c'est pas parce que tout le monde porte un pull vert que je vais faire pareil, justement, je vais avoir envie de me différencier, je vais mettre un pull rouge, même s'il est moche. Je rentre dans le moule, sinon. Je ne veux pas faire partie du cirque. Je préfère en être spectateur... Et quand je dis cirque, c'est pas négatif ou péjoratif, c'est que c'est du divertissement.
Villa Schweppes : On t'a connu en solo dans un second temps, car tu as commencé en collectif. Du coup, est-ce qu'on peut se dire que le travail seul est nouveau pour toi ? Ça t'apporte quelque chose de particulier ?
Alpha Wann : Oui et non : j'ai toujours écrit beaucoup de rimes, mais j'ai toujours voulu attendre d'avoir un certain niveau avant de me lancer vraiment... Déjà en collectif, quand j'écoutais certains trucs qui dataient un peu, je me disais que c'était lourd, alors en solo, je n'ai pas voulu refaire la même chose. J'ai beaucoup attendu en fait avant de me lancer, même si j'en ai le niveau. Donc tu vois, ce n'est pas si nouveau. Après, quand je suis tout seul, comme tout être humain, je suis égoïste, c'est ce que j'apprécie le plus.
Villa Schweppes : Du coup, on imagine voir arriver un album bientôt...
Alpha Wann : Oui. Les gens pensent que 1995 et L'Entourage sont des groupes, mais ce sont des collectifs, ce qui veut dire que via ceux-ci, on se connecte et on fait des choses ensemble, mais on reste des électrons libres. On est tous des artistes solos à la base.
Si je dois me compromettre, autant le faire totalement. Donc je ne le fais pas du tout.
Villa Schweppes : Justement, en parlant de L'Entourage... Toi, comme Jazzy Bazz par exemple, vous nous faites penser au morceau de Lupe Fiasco, 'Dumb It Down'. Vous ne sacrifiez pas le fond pour la forme, c'est plutôt rare, donc forcément appréciable.
Alpha Wann : Je dirais que notre point commun, c'est que tous les deux, nous sommes de grands mélomanes. Je suis touché par la musique depuis très jeune, et j'accorde énormément de respect au processus de création. Quand j'enregistre, j'essaie de faire ça proprement. Je sais que pour Jazzy Bazz, c'est la même chose. Il est aussi fou.
Villa Schweppes : À aucun moment, il n'y a pas de pression ressentie pour justement faire du 'commercial' ?
Alpha Wann : En fait, même dans ce que j'aime faire, je ne suis pas libre. Si ça ne tenait qu'à moi, j'expérimenterais beaucoup plus, sur des tas de styles différents. Alors, si dans cette liberté relative, je dois encore me restreindre, c'est fini, je n'ai plus de liberté dans ma vie... Tu vois ? On vit pas déjà pas dans un monde libre, alors si en plus, la musique devait me restreindre ! Ce serait l'enfer. Autant directement y aller à fond et servir de la soupe à ceux qui m'écoutent. Si je dois me compromettre, autant le faire totalement. Donc, je ne me compromets pas du tout.
Villa Schweppes : Ce deuxième EP est plus mélodieux en général, que le premier. Les samples, les productions, il y a des sonorités nouvelles. Par exemple, 'Lunettes Noires' parait plutôt futuriste, sans mauvais raccourci.
Alpha Wann : Oui, je vois ce que tu veux dire. Ca me fait plaisir qu'on le remarque parce que le cauchemar absolu aurait été de refaire Alph Lauren, premier du nom. Retomber dans le même schéma aurait été terrible, je ne voulais vraiment pas. J'ai taffé sur des instrus très différentes. D'ailleurs celle-ci, elle a pris deux ans à arriver. Je l'ai reçue à l'époque de Alph Lauren 1, et même après que S-Pri Noir ait posé dessus, j'ai pris mon temps. On a changé plein de trucs dessus. J'ai dû attendre quelque chose comme huit mois pour poser dessus. J'ai gagné en recul, je sais laisser mariner les bons projets quand il le faut, pour qu'ils gagnent en saveur.
Villa Schweppes : Tu penses avoir gagné en maturité ? Avec l'âge, tu prends plus le temps ?
Alpha Wann : Oui, j'ai pris en maturité, clairement. Je ne prends pas forcément plus de temps, mais j'ai vraiment diversifié mes méthodes de travail. Il y a toujours des morceaux que je peux boucler en deux nuits. J'essaie d'avoir une palette avec différents tons, pour que tout ne se ressemble pas, en fait. J'aime quand certains morceaux sont très structurés, que d'autres moins mais qu'il y a plus de vie... Tu vois ?
Villa Schweppes : Donc, il n'y a pas une recette type pour faire du Alpha Wann ?
Alpha Wann : (rires) Non, loin de là ! Ma manière de faire n'a parfois aucun sens...
Villa Schweppes : Tu peux nous parler des différents producteurs avec qui tu as travaillé sur ce projet ?
Alpha Wann : Il y a DJ Lo, Richie Beats, Shabz Beats, VM The Don, Eleven que j'ai connu via Veerus.
Villa Schweppes : Comment tu les choisis ? Tu as besoin de connaître les gens avec qui tu travailles, ou alors comme d'autres tu peux travailler sur des beats que tu trouves un peu de manière aléatoire ?
Alpha Wann : J'ai vraiment besoin de connaître les gens avec qui je travaille. Je suis quelqu'un de plutôt timide, et les relations professionnelles fonctionnent mieux quand on se connaît un minimum. Si un truc ne me plaît pas et que je ne te connais pas, je ne vais pas pouvoir te dire que c'est pourri. Et vice versa. C'est Shabz que je connaissais le moins sur ce projet, on a un ami en commun. J'ai été influencé par pas mal de choses.
J'attends de devenir encore plus fort pour sortir un album.
Villa Schweppes : Justement, est-ce qu'il y a des projets récents qui t'ont influencé plus que d'autres ?
Alpha Wann : Oui, 56 Nights de Future. C'est une tape qui m'a vraiment zombifié...
Villa Schweppes : Pourquoi sortir un second EP, plutôt qu'un album ?
Alpha Wann : Je suis toujours à la recherche de sonorités. Je ne me sentais pas encore prêt à en imposer une comme ça. Je préfère me préparer avant de me lancer.
Villa Schweppes : Comment ça ?
Alpha Wann : En fait, je préfère encore prendre du niveau, je pense que je vais encore progresser. J'attends de devenir encore plus fort, de cracher plus de flammes. Niveau technique, je suis au niveau je pense, c'est dans le reste qu'il faut que je progresse. Chaque jour, j'apprends à faire de meilleurs morceaux.
Villa Schweppes : Et passer après Nekfeu , qui a cartonné, ça fait peur ? Ca te met une pression ?
Alpha Wann : Non, pas du tout. On ne fait pas la même chose, on ne touchera pas le même nombre de personne. La différence entre nous deux, c'est que je suis beaucoup plus prise de tête quand j'enregistre. Il fait des sons beaucoup plus vite que moi : le temps que je choisisse une instru', il a déjà fini d'enregistrer deux ou trois morceaux. Je ne m'inquiète pas : ceux qui suivent savent et apprécient quand même.
Alpha Wann en concert, 2015
Alpha Wann en concert, 2015
Alpha Wann en concert, 2015
Villa Schweppes : Ce qui nous mène à 'A Deux Pas', le morceau en featuring avec Nekfeu. C'est l'un des plus marquants de l'EP. Tu peux nous parler du processus d'enregistrement ? Vous êtes revenus ensemble en studio ?
Alpha Wann : Ça s'est fait à l'ancienne, malgré son emploi du temps de ministre. Je l'ai attrapé, on est partis en studio, et voilà.
Villa Schweppes : Après coup, on peut se dire que certains passages font écho à l'actualité, c'est le cas ?
Alpha Wann : Oui, mais ça a été enregistré bien avant... D'ailleurs je n'aime pas m'exprimer là-dessus, je ne fais absolument pas confiance aux médias et à leur transparence. Je ne ferai jamais un morceau sur quelque chose qui selon moi, est erroné.
Villa Schweppes : Pour finir, on aimerait avoir ton point de vue, étant donné que tu es le principal intéressé, sur ton écriture, son évolution entre ces deux EPs. Tu as beaucoup pris en maturité ; qu'est-ce qui a changé d'autre ?
Alpha Wann : Je pense que j'ai fluidifié mon écriture. Que ce soit au niveau de la technique, qui est allégée selon moi, c'est plus compréhensible.