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“Polylust”, le cheval de Troie de Michelle Blades

La protégée de Midnight Special Records revient avec un EP électro-pop, Polylust, rempli de tubes étranges mais prenants. On est allé à sa rencontre.

On avait laissé Michelle Blades l’an passé sur un excellent album de rock, Ataraxia. Un disque “pop” pour quiconque l’aurait écouté trop vite mais d’une éminente complexité pour qui s’y plongerait dignement : cette livraison s’est averée être un ovni marquant, pile dans la zone floue et inconfortable entre musique qui rêve de masses et audaces de niche.

Aujourd’hui, la jeune femme revient avec une parenthèse de 7 morceaux électroniques étonnants. Ce virage innatendu, ces morceaux inhabituellement catchy : il fallait qu’on aille lui poser quelques questions.

Un retour aux fondamentaux

Si c’est à travers Ataraxia que Michelle Blades s’est révélée au monde, sa production discographique ne date pas de la dernière pluie. Pour comprendre la nouvelle proposition qu’elle nous fait aujourd’hui, il faut revenir très tôt dans sa carrière : Panaméenne exilée à Miami, elle quitte le foyer famillial pour s’aventurer, un peu au hasard, en Arizona. “C’est là que j’ai vraiment commencé la musique, entourée de toute une scène DIY extrêmement stimulante”.

Au milieu des punks et de groupes de musique expérimentale, elle s’affirme ukulélé à la main. Commencent des tournées sans fin et sans salut à travers les Etats-Unis. Les soirs off, la jeune fille les passe sur Garage Band, à transposer son art sur un ordinateur. Des EPs de bedroom music sortiront alors régulièrement sur son bandcamp. Ce ne sera qu’après une tournée de concerts en appartement sur notre territoire que Michelle prendra goût à nos contrées et y posera ses bagages.

De son éducation américaine, elle a d’ailleurs gardé le goût des choses pragmatiques : “Quand je suis arrivée, je ne comprenais pas ce truc qu’avaient les Français de toujours se prendre la tête, notamment pour aller tourner. On prend une voiture et c’est parti, on fait de la musique, il faut que les gens nous voient”. L’aspect très structuré des parcours français l’a “rendue folle”.

“Les groupes veulent souvent attendre d’être en vue, avec genre un unique EP, avant de se mettre en action”. Plutôt que de rentrer dans le moule, elle se montrera hyper-productive, avec pas moins de 9 disques en 4 ans et des tournées sans fin, aux côtés notamment de ses partenaires de Midnight Special.

Michelle Blades n’est pas un projet, c’est moi

Au regard de son parcours, ce retour à la simplicité, cette composition façon bedroom music sur Polylust, ne sont donc pas un virage à proprement parler. “Sur Ataraxia, par contre, j’ai perdu tout un public qui m’aimait pour le ukulélé en sortant des guitares électriques”, raconte-t-elle. “L’électro, par contre, a toujours été là”.

Jouer avec la mode

Mais ce format électronique n’est pas non plus innoncent : “avec Polylust, je veux enculer la pop. J’ai regardé autour de moi, j’ai vu ce qui marchait, je me suis dit : “je sais quelle est ma façon de faire de la musique. Voyons si j’arrive à faire des prototypes de musique électro-pop”. Comme si quelqu’un m’avait commandé 5 hits. C’est un exercice.” Un opportunisme assumé, qui vire parfois à la dérision quand elle se rend compte que ce EP est en train de lui ouvrir de nouvelles portes, des invitations à des festivals, un suivi inédit de la presse, à titre d’artiste synth-pop.

“Je ne veux pas devenir Christine & The Queens, je veux être Brian Eno. Changer de médium souvent tout en gardant ma façon de penser la musique. Je veux qu’on me retienne en temps que musicienne, compositrice. Michelle Blades n’est pas un projet, c’est moi”. La jeune fille présente d’ailleurs ce disque comme son Roxy Music. “Eno était dans ce groupe qui marchait à fond, mais tu sentais qu’il avait une idée derrière la tête, qu’il s’infiltrait”.

Avec Polylust, je veux enculer la pop.

D’ailleurs, pour l’occasion, Midnight Special, le label-collectif-studio indépendant dont elle fait partie a travesti sa façon de faire : “ce disque, on l’a habillé, on lui a mis des talons, un peu de rouge à lèvre : on a une attachée de presse, on le défend comme le défendent ceux qui inspirent ma démarche. C’est un cheval de Troie, en fait”.

Pour autant, n’allez pas croire que c’est de ses auditeurs dont se gausse Michelle Blades : ce mini-album met la pression à toute la concurrence, laissant de côté le concept plus qu’usé de la simplicité attendrissante au profit, à nouveau, d’une composition tordue et dense. Plus inscrits dans l’air du temps, ces tracks jouent avec la notion de norme. La mode est au français ? Elle invite Cléa Vincent et Fishbach à faire un micro-feat et ainsi insérer la langue de Molière dans le disque. Mais à aucun moment la productrice ne cède son écriture au bon vouloir de la doxa. Et de promettre : “mon prochain album poussera mes expérimentations plus loin que jamais”. On peut donc se régaler de ces proto-tubes à l’image de l’incroyable “Eternal Fugitive” : Michelle Blades ne s’est pas rangée. Une sucrerie donc, avant le retour de l’orage.