Skip to content

You’re Dead ! : Flying Lotus peut-il rendre le jazz cool ?

You’re Dead ! Un curieux nom pour un cinquième album qui célèbre la vie, notamment par l’usage d’un genre périmé mais increvable : le jazz. Et c’est à se demander si FlyLo ne s’essaierait pas à un cool-washing du genre.

Le processus est irréversible, à chaque album Steven Ellison déteint un peu plus dans son oeuvre. Au-delà de son dévouement, il s’infuse dans ses albums, ouvre une porte dans laquelle il s’ouvre lui-même à son oeuvre. C’est ainsi qu’apparait sur You’re Dead ! un thème fort et douloureux, le deuil, que Flying Lotus emploie sous de nouveaux angles : la célébration de la vie et la persistance d’un être après sa disparition. Néanmoins cela n’explique pas l’omniprésence du jazz dans son oeuvre et finit par poser cette question idiote ( ?) : FlyLo peut-il rendre le jazz cool ?

Oui et même bien plus

Jazz fusion, prog-jazz, Jazz rock à la Soft Machine, FlyLo ne recule devant aucun son ou genre interdit. Au contraire, si c’est laid, cela lui permet de peindre au plus juste la douleur des abimes du décès. Si l’on osait, on dirait même que FlyLo fait du jazz fusion. Ça nous coute de le dire mais c’est le cas.

Ce n’est pas innocent si cet album a été réalisé sous le regard bienveillant d’un des architectes du genre : Herbie Hancock. Et puis, le fusion, Ellison l’a dans le sang, n’oublions que sa tante n’est autre qu’Alice Coltrane. Ici, le jazz est free, convulsif, scintillant, nerveux, chatouillé. D’où le sentiment de voir filer un lézard sur une pierre brulante. Et puis si le jazz est fusion, c’est dans le 8-bit psyché, l’IDM impressionniste voire l’ambient, le soundscape tumultueux ou le hip hop d’ascenseur.

Au final, chaque nouvelle pièce dans la discographie de Flying Lotus confère le même sentiment : on reconnait toujours l’endroit même lorsque l’on découvre le lieu. S’il ne rendait pas le jazz fusion cool, il en ferait au moins un synonyme de témérité artistique.

Non, ça n’est pas le propos et on s’en fout

C’est vrai que si le jazz pousse ici comme un eczéma et recouvre l’ensemble de l’album, le genre a toujours fait partie de son ADN. Qui plus est, si You’re Dead ! connait une forme intéressante, c’est avant tout pour servir le propos de l’oeuvre. Terrence Malick (en plus palpitant) du beatmaking, FlyLo habille ici une nouvelle réflexion fondamentale dans la lignée de ses précédentes oeuvres. De la cosmogonie de Cosmogramma – l’impénétrable univers et ses mystères – à la science des rêves – l’impénétrable univers de l’inconscient et ses mystères – Flylo est un musicien de l’ésotérisme et un navigateur des méandres et dédales du questionnement humain.

Depuis ses débuts, il lui importe d’entretenir une connexion intellectuelle aux choses et spirituelle à la musique. C’est un musicien des grands touts, des grandes causes et des thèmes qui transcendent l’Homme, faisant de lui le producteur humaniste par excellence. En toute logique, Ellison perpétue ça sur You’re Dead ! en s’attaquant au deuil, inexorable et fatidique grand final commun à tous. Un questionnement certainement motivé par la perte de proches (on pense à Austin Peralta notamment) mais qui l’intéresse pour en produire une célébration de la vie, un défi à ce qui cesse d’exister, une ode à l’immortalité, comme il le répète régulièrement en entretien :

Vous traversez l’album et à son issue, le message devient clair : nous vivons pour l’éternité” précisant sa pensée, il aime à constater que “notre influence sur Terre, l’amour que nous laissons derrière nous, continuent à exister après nous. Je voulais que l’album s’achève sur ce type de note parce que je ne pense que tout soit fini lorsque tu passes l’arme à gauche. C’est le début d’autre chose“.

Au final, un album qui file comme une vie, passe par tous les reliefs et les couleurs d’un passage sur Terre et use du free jazz pour peindre tout l’erratique et la serendipité d’une existence. L’album d’une vie, dans beaucoup de sens du terme.