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Thomas Dutronc : “J’avais envie de quelque chose de plus brut, plus rock…”

Ce week-end, c’est Thomas Dutronc qui s’invite sur Villa Schweppes. Rédacteur en chef improvisé, il a commencé par nous parler de son nouvel album “Eternels jusqu’à demain”, de ses envies musicales et de son image publique pas toujours en phase avec la réalité…

Ton nouvel album débute avec “Aragon”, un titre qui change complètement de ton registre habituel. C’est une façon de poser de nouvelles règles ?

Thomas Dutronc : C’est la première fois que je fais une chanson dans ce genre, climatique, poétique et en même temps très pop. Il n’y avait pas de volonté claire au début de la conception du disque. Je n’ai pas voulu être moins “manouche” par exemple… J’avais envie d’avoir un beau son. On a beau dire, il y a une dimension internationale en Angleterre (où il a enregistré Eternels jusqu’à demain, ndlr) : j’ai travaillé avec des musiciens d’Adèle, de Jamiroquai… Avec Jon Kelly au son, il avait fait ses débuts avec les Beatles comme assistant. Je chante mieux, j’ai une voix qui devient meilleure avec les années. J’ai voulu jouer ma musique, dans les solos, ce genre de chose, sans rentrer dans une case, radio, pop, manouche… Il y a des trucs un peu groove, un peu Sergio Léone…

C’est une évolution musicale en terme de création ou plutôt un travail de production différent ?

Thomas Dutronc : J’avais déjà fait un duo avec Imelda May dirigé par John Kelly. J’avais adoré l’efficacité du son. J’avais envie de ça tout en me libérant de nombreux formatages. Dans ce disque, il y a de la place pour les jams, les solos, les musiciens…

Qu’est-ce qui fait un bon studio pour toi ?

Thomas Dutronc : C’est là où il y aura la magie d’un solo par exemple. Le son, c’est hyper important. Kelly a tous les pré-amplis monstrueux, ces trucs dans lesquels tu branches ta guitare et ça sonne… Il a une telle experience que les choses se font vite. L’efficacité est le maître mot : il est sûr de ce qu’il fait, il sait où aller.

J’avais envie de quelque chose de plus brut, plus rock, un peu garage même…

Il y a eu beaucoup de phases de recherche ?

Thomas Dutronc : Non, tout de suite, on avait un son qui nous plaisait. J’avais amené 12 000 guitares pour essayer plein de choses et finalement, j’en ai fait une grande partie sur une guitare qu’il avait chez lui, un instrument assez simple, pas un modèle de compet’. Les musiciens sont aussi hyper sûrs d’eux, ils ont l’habitude de bosser ensemble. Ce sont tous de vrais pros du studio. Au pro tools, je n’ai jamais vu des gens aussi rapides. C’est génial de voir des gens aussi talentueux, sûrs, expérimentés, travailler avec un gars comme moi. Ils étaient hyper gentils et disponibles, super fan dès que les choses étaient bien…

Y a un moment où tu as eu peur de perdre la main sur ta création ?

Thomas Dutronc : Il a parfois fallu lutter. Quand je n’étais pas content mais que l’ingénieur était sûr de lui, on se prenait vachement la tête. Il y a eu pas mal d’essais à ce niveau. C’est quelqu’un d’assez fier, un peu susceptible. Les bases ont été jetés assez vite avec un beau son, mais entrer dans le détail a pu être un peu plus rugueux. J’ai voulu prendre mon temps d’ailleurs au début, rentrer dans le climat de chaque chanson.

Quels titres ont été particulièrement théatre de discussions ?

Thomas Dutronc : “Princesse”. C’est un morceau bichéphale, entre une pompe à la Clash sur les refrains et quelque chose de plus romantique sur les couplets. On les a d’ailleurs recomposés en cours de route. Ça a été compliqué. J’ai voulu rajouté des mesures en plus… Comme Jon a cette experience, on n’osait pas trop avancer des idées. Mais je suis un peu têtu, donc j’ai essayé de m’imposer. Parfois pour le mieux, il disait lui même que j’avais raison ; parfois de manière moins heureuse, et je m’excusais un peu. Le crédit temps de parole était quand même limité : les mecs sont efficaces, ils enquillent, ils bossent. “Allongé dans l’herbe” était vachement acoustique mais ça me faisait penser à Louise Attaque. Mais j’avais envie de quelque chose de plus brut, plus rock, un peu garage même, si c’était possible.

Avec cet héritage un peu manouche, tu n’as pas eu envie d’enregistrements plus simple, plus bruts ?

Thomas Dutronc : Si, mais je passe ma vie à faire comme ça chez moi. J’ai pas envie de faire un disque qui ressemble à ce que je fais déjà à la maison. Et le unplugged façon Clapton, c’est un rêve, mais c’est trop tôt. Il ne faut que des grosses chansons, ça ne supporte pas les chansons moyennes. J’aime les gens qui ont des concepts, mais faut être attentif à ne pas que ça devienne une posture. Il faut que ce soit simple et que ça fonctionne. Je cherche à plaire dans le sens noble du terme. Si c’était moi, je ferais juste du Django. Mais même pas, parce que j’écouterais d’autres guitaristes. J’aime provoquer des émotions, des climats qui vont au delà de ça. Dans cet album, il y a quelque chose de compact, d’intense. Le précédent était plus dispersé peut-être.

Sur le disque, quel est le passage ou le morceau qui va le plus loin de ce que tu faisais avant ?

Thomas Dutronc : J’aime le solo que j’ai fait dans le duo avec mon père. Il n’est ni blues, ni manouche, ni rien. J’ai laissé chanter ma guitare, si j’ose l’expression. Le côté un peu Daho de Aragon aussi, j’adore ça !

Comment appréhendes-tu l’héritage de la chanson française, et en même temps celui de ton père ?

Thomas Dutronc : Je me laisse aller librement à mes envies. C’est sûr, j’ai envie d’être respecté pour mes guitares, mes textes, mes univers sur les disques. C’est difficile d’être fils de. Ça ouvre des portes, mais ça en ferme aussi. J’ai plus vécu de rejets… Assumer le fait d’inviter mon père… Le morceau était pour lui au départ, mais on ne sait pas quand il fera son prochain album. C’était cool d’inviter mon père sans le côté “il vient donner un coup de main”. Même si c’était quand même sympa de sa part, hein ! Mais je l’ai vraiment invité dans mon disque. C’était pas un duo pour un duo. C’était vraiment fort à faire. On ne sait pas faire du commercial pour faire du commercial. Encore une fois, je veux que ce que je fais plaise au gens, mais je ne peux m’empêcher de d’abord rester moi-même.

Je cherche à plaire, dans le sens noble du terme.

Un père à la vie n’est pas forcément le même qu’un père en studio…

Thomas Dutronc : Je l’avais déjà vu bosser… C’était marrant. Les gens s’imagine qu’il a beaucoup d’expérience. Il était plutôt inquiet. Il a eu 3 mois pour bosser la chanson, il l’a travaillée mais il n’était tout de même pas sûr de lui. On s’y est pris à deux fois. La première à 16h : il avait un peu pris l’apéro, et vu qu’il était angoissé, il n’y arrivait pas trop. Le lendemain, à 10h du matin, ça roulait tout seul. C’était intéressant d’amener son timbre sur une musique un peu différente. Tout le monde pense à lui pour sa période Lanzman, mais ça fait longtemps qu’il ne chante plus comme ça. Et personne ne fait de chansons comme celles de Lanzman. Le côté marrant existe encore, mais il y a aujourd’hui quelque chose de très grave, très profond, que je voulais aller chercher. Mon père n’est pas le genre d’homme très à l’écoute, qui demande si tout va bien… C’était très fort de le faire chanter avec ce genre de phrases… Je lui en voulais un peu le premier jour pour l’apéro, et le lendemain j’étais ému : c’était super beau.

Par rapport aux gens du jazz, quel statut as-tu ?

Thomas Dutronc : De toute façon, je travaille surtout quand j’en ai besoin. Il peut se passer un mois sans que je ne joue vraiment. Les jeunes aujourd’hui jouent beaucoup, avec un style très moderne. J’ai un jeu bien plus à l’ancienne, je suis vraiment un malade de Django. Au début ça pouvait ricaner, me prendre de haut, mais avec les années, ils ne le font plus. Quand on a 20 ans, on se fout de tout le monde. A 30, on comprend mieux comment marche la vie. Je suis plutôt très copain avec des gens du jazz. D’ailleurs, quand je fais mes solos, mes disques, je pense à ces gens. J’ai envie de leur prouver que je suis là, même si je ne suis pas aussi virtuose. La difficulté, c’est de remonter constamment son niveau moyen.

Revendiques-tu un certain aspect militant ? Le fait d’amener cette esthétique à un public plus large ?

Thomas Dutronc : Oui, vraiment. Sur une télé allemande, j’avais vu un jour des mecs en costume faire des chants tyroliens et j’ai l’impression qu’on dégage un peu la même chose chez les anglais. On a beaucoup de variété peu intéressante au niveau international. Je pense à ça en travaillant. J’ai envie, à mon petit niveau, de faire un peu de prosélytisme. L’idée n’est pas de les amener au jazz, ni dans la guitare manouche, mais de les faire bouger un peu. Je n’ai pas envie de rentrer dans le truc un peu exotique par contre. Le feu de camp, le boeuf, tout ça. Mais je veux amener ces touches.

J’ai envie d’être respecté pour mes guitares, mes textes.

Tu as une certaine image public type “gendre idéal”. Tu es à l’aise avec ça ?

Thomas Dutronc : Oui, c’est sympa, les gens sont bienveillants. Mon album est un peu plus profond, plus noir, ça les fera peut-être flipper, j’en sais rien. Je me sens plus bon vivant que gendre idéal. Gendre idéal, je ne le suis même pas du tout. Mais je suis très respectueux des gens, je ne me prends pas pour ce que je ne suis pas. J’ai déjà eu mes parents qui étaient des méga stars. Mais je ne suis pas quelqu’un de simple ni de normal. Mais ça me fait plaisir que les gens me perçoivent comme sympathique, même si c’est parfois flippant car réducteur. Je ne serais pas très interessé par quelqu’un qui aurait cette image.

Il y a aussi cette étiquette Jazz Manouche…

Thomas Dutronc : Je peux faire “Allonger dans l’herbe”, qui n’a rien à voir, les gens me disent : “super, le jazz manouche“. Ce n’est pas moi qui l’ai composé, c’est bien plus folk, il n’y a pas le moindre solo. D’ailleurs, sur ce morceau, j’ai une petite saturation sympa sur ma voix. Mais on ne l’a pas mise trop forte, même si ça m’aurait plu. Mais les maisons de disques n’auraient pas accepté. Je respecte ça, ce n’est ni bien ni mal. Mais dans mes fantasmes, j’aurais aimé quelque chose de très saturé. J’aurais plus de liberté sur scène. On poussera un peu toutes ces choses.

Il y a des musiciens avec qui, aujourd’hui, tu peux dire que tu formes un groupe ?

Thomas Dutronc : Ça s’est fait pas de la meilleure manière. Au départ j’ai voulu prendre les Anglais, mais c’était trop compliqué. Ensuite j’ai voulu gardé les copains, parce qu’ils comptent sur moi, parce que c’est ça aussi la vie. Mais je voulais ajouter de nouveaux éléments. J’avais envie d’un batteur plus pop, d’un mec dont ce soit le territoire. On a pris un clavier aussi. On a pour l’instant monté ce groupe pour les promos. On a le temps de réfléchir, de travailler. Comme on est nombreux, ça complique un peu aussi. Clavier, deux choristes… On fait une tournée de Zenith fin octobre, puis les festivals l’été prochain. Je veux monter un spectacle vraiment pour les Zenith. Faire quelque chose de poétique. Il y aura une vraie mise en scène. Je veux y retrouver les contrastes, les virages qu’on trouve dans le disque. La contradiction, c’est que j’aime aussi le lien avec le public des petites salles…

Parle nous du dernier morceau de l’album, “I’ll See You In My Dreams”…

Thomas Dutronc : C’est l’un des plus beau solo de Django. Il dure 3 minutes, fait renaitre un intérêt nouveau à chaque nouvelle grille, comme un phoénix. J’ai découvert il y a peu que ce solo était en fait une chanson que George Harrison chantait en solo. On a essayé des choses avec ce morceau, un piano un peu Lennon. Comme on était en Angleterre, ça me plaisait de chanter quelque chose dans la langue locale. Un jour d’ailleurs, j’aimerais faire un disque vraiment pour l’étranger, avec pourquoi pas des morceaux de mes 3 premiers albums. C’est resté un peu en suspens. Mais j’aimerais vraiment le faire dans les 2 ou 3 prochaines années.

Propos reccueillis par Charles Crost et Yann Guillou

Thomas Dutronc est le rédacteur en chef invité de Villa Schweppes, du 19 au 21 juin.

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