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Talisco : “Ce que tu écoutes avant tes quatorze ans, ça ne te quitte jamais”

Du 25 au 27, Talisco est notre Rédacteur en Chef invité, l’occasion de revenir un temps sur l’éclosion et de s’expliquer son explosion.

Villa Schweppes : Run est souvent associé à la thématique du Western. Est-ce un hasard ?

Talisco : non ce n’est pas un hasard. On m’en a parlé une fois en interview, j’ai eu le malheur de répondre et depuis ça me colle à la peau. Et puis il y a le court métrage qui est très américano western (western américain plutôt non ?), ça en rajoute une couche. Ce n’était pas voulu du tout même s’il y a beaucoup de Telecaster (c’est quoi ?) dans ma musique, un petit côté aride et un aspect grands espaces. C’est inconscient, ça c’est fait comme ça. Donc on se dit, forcément, le mec nous vend du western tandis que pas du tout. Je vends juste des grands espaces, de la lumière, du positif, du brut, c’est comme ça que ma musique s’incarne, c’est comme ça qu’elle est faite mais il n’y a pas de velléités.

 

En fait, on vous parle de western parce qu’un jour on vous a parlé de western ?

C’est ça. Après tu trouveras fatalement des influences, mon père était fan de western, j’en ai bouffé quand j’étais petit, il avait tous les 45 tours d’Ennio Morricone. Ça fait partie de mes influences au même titre que mille autres. Mais à aucun moment je ne me suis dit que j’allais faire du western.

 

Certains artistes aiment à dire que ce que l’on vit avant quatorze ans est ce que l’on va reproduire dans son oeuvre. Vous ressentez ça ?

Je dirais même avant dix ans. J’ai fait mon éducation musicale avec mon grand cousin qui a dix ans de plus, il écoutait du U2, Depeche Mode, The Cure, c’était les années 80, du gros son où on libère tout. Ça, plus mon père et ses B.O de Western Spaghetti, lorsque tu grandis, tu vieillis avec ça en tête. Après tu décides d’écouter tel ou tel truc mais, oui, ce que tu écoutes avant tes quatorze ans, ça ne te quitte jamais.

 

Et les U2 ou Depeche Mode, ce sont des artistes qui produisent pour remplir des stades. Leur son est à la dimension de milliers de personnes. C’est quelque chose que vous cherchez aussi ?

Je n’ai pas la prétention de le pouvoir aujourd’hui, pour l’instant dès que je sors de scène, je dis “merci la vie“. Mais j’adore la notion de grosses scènes, avec du monde, d’une musique massive, dense.

 

Entre ce que vous me dites et le titre de votre album, j’ai le sentiment que vous entretenez un rapport très physique à la musique.

Alors j’adore l’idée mais je ne suis pas un sportif non plus. Mais j’aime l’aspect massif dans la musique. J’aime libérer le fire. C’est évidemment très physique.

 

Et Run de par son titre, ses thèmes, c’est un album qui concerne l’évasion ?

C’est un album que j’ai fait dans l’urgence. Parce que je ne veux pas surtout pas faire de la musique réfléchie. Réfléchie au sens marketée. C’est trop dur de vivre les choses comme ça, ça ne m’intéresse pas. J’ai voulu faire un album au plus proche de ce que je suis, en extraire le maximum de spontanéité. Donc j’ai choisi de faire les choses dans l’urgence. Si je passe trop de temps sur un morceau, je le jette. Donc oui, c’est un album qui parle d’évasion, d’envie, de rejoindre ce que l’on a envie d’être. Run, c’est ça que ça dit, ça parle de ces moments où tu as le sentiment d’être coincé entre quatre murs et que tu ne peux plus avancer. Et tu te rends compte que ces murs-là, ils ne sont pas si épais. Qu’il n’y a qu’un pas à franchir pour atteindre ce que tu souhaites.

Je ne veux pas surtout pas faire de la musique réfléchie. Réfléchie au sens marketée

C’est relatif à une histoire personnelle ?

Non parce qu’il n’y a rien de personnel dans cet album. Je me plais à être spectateur, à capter des émotions des autres, ce que je vois et le retranscrire tout simplement. Partir de Bordeaux pour aller à Paris, ça n’a rien à voir, ça n’est pas un exploit, j’ai vécu à des tas d’endroits, à Montréal notamment, aujourd’hui on a tous les moyens de l’accomplir, on est dans une génération de globe-trotters, c’est facile de voyager et c’est important de le faire. Parce que c’est enrichissant de relativiser ce que tu es, ce que tu fais. Je retranscris ce que je ressens des autres, de ce que je vois. Je m’amuse à parler du rêve d’un tel, de sa vie, ses fantasmes… L’idée vient en discutant, en me baladant, en imaginant la vie des gens que je croise…

 

Comme vous réalisez tout dans l’urgence, spontanément, est-ce que vous considérez qu’une bonne chanson, ça ne peut être étudié, réfléchi ?

A mon sens non. C’est un danger. Pas pour tout le monde mais moi ça me gonfle. Dès que je pense trop ma musique, là ça devient un métier. C’est possible, plein d’artistes le font mais j’ai plus envie de prendre du plaisir, de ne pas penser à tout ça. Aujourd’hui lorsqu’on me demande, de quoi parle l’album, je suis presque emmerdé. J’ai fait avant tout un album qui me fait du bien. C’est la première chose qui me vient à l’esprit. Ça ne serait pas dangereux si ça devenait un métier mais ça deviendrait autre chose. Aujourd’hui, je tiens à ce que ça reste fun, tant que je peux faire ce que je veux. Ça devient un travail quand tu te poses des contraintes. Même si je me pose des contraintes ça reste des contraintes cools. Et peut-être que la contrainte, chez moi, elle est dans le fait de conserver les choses simples, spontanées. Pour moi c’est très instinctif l’Art. Ça me fait chier de voir des écoles d’art cherchant à tout conceptualiser, c’est important de conserver cet aspect instinctif. Et ce qui est paradoxal, c’est que tu fais de la musique parce que tu as du mal à employer des mots pour exprimer certaines choses et que tu te retrouves finalement à devoir poser des mots sur ta musique. Donc j’ai pris du recul et je l’ai mis en vidéo. Mais à force de devoir trouver des mots, ça tourne à la thérapie ; mais ça va, c’est une thérapie gentille.

 

C’est ennuyeux d’avoir à y répondre ?

Non, c’est avant toute chose hyper agréable de voir des gens s’intéresser à ce que l’on fait. Et puis c’est une reconnaissance pour moi, aussi, que des journalistes veuillent parler de ma musique.

 

C’est étrange de voir des inconnus s’approprier sa musique et la comparer à d’autres?

C’est incroyable, en premier lieu, de se voir comparé à des tas de groupes, souvent géniaux mais que je ne connais même pas parfois. Je prends plutôt ça bien, c’est le signe que les gens s’intéressent à ce que je fais. J’y vois que du positif. Après on me compare souvent à M83, je suis très content mais c’est quand même beaucoup plus produit, plus électro. Par contre, ce qu’on nous trouve en commun, c’est peut-être ces grosses mélodies. Et puis il y a souvent aussi Two Door Cinema Club… là par contre, je connais très mal. J’aurais du mal à dire ce qui nous lie.

 

Et vous qui composez dans l’urgence, vous vous souvenez de ce que vous vous êtes dit lorsque vous vous êtes posé la première fois pour regarder l’album dans son ensemble ?

Bah je me suis dit Run ! Bien sûr ! C’était une évidence ! Et puis ça reflète ma personnalité, il y a beaucoup d’envie, d’envie d’aller en avant, de prendre ce qu’il y a à prendre. L’album a été fait très vite, il m’a fallu un mois et demi, quelque chose comme ça. Même s’il ne parle pas de moi directement, cet album me ressemble énormément. Donc il reste ce que je suis, voilà ce que je me suis dit.

 

On voit souvent les groupes émerger depuis, une scène, un label, une famille d’artistes. On a l’impression que vous avez éclot seul. Vous avez connu des débuts solitaires ?

Complétement. C’est vrai que je n’ai pas de famille musicale, je sors de ma chambre, de mon home studio. Avant le projet, j’avais fait cinq scènes à tout casser dans ma vie. La Maroquinerie je l’ai découverte sur scène. La Cigale, le Bataclan, idem.

 

Et vous avez besoin d’être seul pour écrire ? Pour jouer ? L’autre est une gêne ?

Non ça par contre, c’est une conséquence, je l’ai jamais décidé. Ça fait certainement partie de ma personnalité d’être seul après ça vient peut-être du fait que je suis chiant. Mais je n’exclue pas de jouer avec d’autres musiciens par la suite.

 

Vous vous sentez un peu un cas à part d’émerger seul de la sorte ?

Oui, un peu. Je vais dans certaines soirées où il n’y a que des musiciens qui ne connaissent que des musiciens. Et je n’ai pas de complexe vis-à-vis de ça. Je trouve ça plutôt positif parce que j’ai un autre regard sur la chose. Quoi qu’il en soit, je n’aime pas vivre dans une bulle non plus donc ça me va de ne pas faire partie d’un petit milieu.

 

La pub (LAQUELLE ?) a accéléré votre reconnaissance ?

Oui fatalement. Mais la radio encore bien plus. J’ai vraiment ressenti un changement après mes passages radio. La pub a amené tout un public mais j’ai remarqué pendant les concerts que beaucoup de gens connaissaient la musique mais ne savaient pas que c’était moi. Mais ça m’offre une certaine visibilité et puis ça ne m’agace pas que l’on considère le titre comme “la musique de la pub de…“, la pub est pas dégueu et ça me surprend de l’entendre encore à chaque fois. Ça me fait rire en fait.

 

Vu la conjoncture actuelle dans l’industrie de la musique, la pub c’est un peu le nouvel eldorado non ?

C’est une source de revenus indéniable. Ça permet de vivre mais est-ce que c’est un eldorado pour autant ? Après il ne faut pas vendre coute que coute pour prendre un billet au passage. Ton projet, il faut le défendre mais ce genre de choses fait complétement partie de la vie du musicien.

 

Un autre mot qui se pose régulièrement sur votre musique, c’est l’Americana…

Ça fait complétement partie du fantasme. Et puis j’adore me rendre sur place, surtout sur la Côte Ouest. Incroyable. Sortir des grandes villes et voir les Américains vivre c’est impressionnant. Et puis le pays en soit, tout est gros, les villes, les routes, les bagnoles, la bouffe… Tout est énorme. Ce sont des gens qui ont envie de se faire plaisir et ça peut être hyper enrichissant. Je prends une claque à chaque fois que je me rends là-bas. C’est pas une source d’inspiration non plus, je fais pas une musique américaine, pas du tout, mais tu retrouveras malgré tout cette notion des grands espaces, cette lumière, le positif, l’effervescence. Il y a forcément un lien, c’est sûr.

 

Quel coin vous aimez sur la Côte Ouest justement ?

Reno. C’est fou, cette ville c’est n’importe quoi. C’est assez extraordinaire d’être là-bas, faut être sur place pour le sentir.

 

Vous chantez en anglais, beaucoup, le français ce n’est pas adaptable à votre musique?

Non c’est pas ça, je chante en plein de langues tu sais. J’ai choisi l’anglais parce qu’il y a une certaine musicalité qui ressemble au projet, c’est binaire, c’est direct, c’est rassurant. J’aime l’anglais pour ça aussi. Dans ma musique il y a un côté simple et je veux privilégier la mélodie et l’anglais me permet ça. Mais j’adore écrire en français par contre ce n’est pas le propos pour le moment.

 

Vous apparaissez sur des médias très différents, c’est un vrai grand écart en termes de public. Vous savez pourquoi votre musique touche un panel aussi large ?

Non ça je l’ignore complétement. Je remarque aux concerts que c’est très très large, je suis très surpris, mais je ne comprends pas. Après je ne veux pas me poser la question, je trouve ça bien de ne pas tout maitriser. Il ne faut surtout pas, ça serait chiant.

 

Votre musique est très imagée, vous aviez des images en tête en composant ?

Ça, tu vois, c’est très flou. Mais lorsque je fais un clip de dix minutes comme celui de Run, je ne me trompe pas. Si je pouvais faire un clip depuis un hélicoptère, si je pouvais faire des prises de vues sur toute une ville en haut d’une colline, si je pouvais filmer de grands espaces, je le ferais. J’ai une idée précise du genre d’image que je veux transmettre.

 

Votre musique est dans une pub, une autre dans un film, un court métrage a été réalisé pour un clip. Est-ce qu’à l’inverse poser votre musique sur des images serait quelque chose d’intéresserant ?

A 2000%. Pour le coup c’est un exercice qui m’amuse, que l’on me donne des images ça me donne envie de répondre, de raconter quelque chose sur ces images.

 

On vous dit le petit protégé de Raphaëlle Cavalli (C’EST QUI ?). Qu’est-ce qu’on entend par là ?

Mais je ne sais pas non plus. Je ne suis pas son protégé, Raphaëlle Cavalli est simplement quelqu’un qui a cru très tôt à ma musique – je l’en remercie encore – et qui a souhaité la mettre en avant. Je ne vois pas tellement ce que l’on entend par ce terme.