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Musique Large : liberté, égalité, Laurent Garnier

Musique Large, c’est le label taille S qui relie Caen à Paris. Propagateur de la scène beatmaking (ou wonky) à l’international, Musique Large vient d’accueillir Laurent Garnier en ses murs.

L’occasion de rencontrer – lors du Disquaire Day – les deux piliers du label : Fulgeance et Onelight.

VS : Si certains vivent encore dans l’erreur et ne vous connaissent pas encore : Musique Large, c’est qui, c’est quoi ?

Fulgeance : Musique Large est né en 2005 pour sortir un EP de Ghislain Poirier qui accrochait avec nos ambitions, c’est-à-dire monter une structure autour de la beat music. L’idée depuis le début, c’est de faire nos disques nous-même avec un graphisme singulier, géré par Rekick (cofondateur du label, NdlA) et produire de beaux objets – même si ça devient difficile de faire des vinyles – et puis casser le paysage trop électronique de l’époque, qui était trop french touch, qu’on a adoré et soutenu, mais défendre une esthétique moins binaire.

Onelight : Oui, l’idée de défendre une musique club plus lente, sur des BPM moins courants, ne pas rester sur du 130.

Fulgeance : Et puis valoriser des artistes en live, c’est indispensable. On tient absolument à développer l’artiste et ne pas rester sur une simple signature de maxi.

 

Tu disais à l’instant que tu voulais casser le paysage de l’époque avec votre esthétique. C’est quoi cette esthétique, elle vient d’où ?

Fulgeance : Elle venait essentiellement d’un paysage électronique, on va parler de Warp, de Ninja Tune etc… Mais aussi en allant jouer à l’étranger, de me rendre compte qu’il existait un autre son, ce hip hop hybride qui pioche autant dans la dance music – dans le bon sens du terme – que dans le groove, on est tous des fans de funk à l’origine, de musique black. C’est un peu cette scène electro-hip-hop que certains appelaient wonky. Moi j’aimais bien cette période, j’ai même appelé mon son low club à un moment histoire de bien mettre en valeur sa singularité. Ça ne veut pas dire que tout le son du label est ” low club ” mais ça créé des points d’ancrage.

 

Ça a été une vraie scène le wonky ? Ou c’était juste une facétie journalistique ?

Onelight : oui ça a été une vraie scène. Tu prends des mecs comme Hudson Mohawke, ils viennent vraiment de là, ils se constituaient en groupe autour de ce son.

Fulgeance : mais c’est un terme qui est venu qualifier un genre après qu’il ait existé en fait. Les médias ont créé ça pour situer de quoi on parlait. Comme moi avec le ” low club ” ou Hudson Mohawke avec l’émotronix. C’était un style sur Myspace que tu mettais sous ton petit avatar en GIF animé (rires). Mais ça existait bien avant. Dans le fond, c’est l’évolution des beatmakers qui produisaient pour des rappeurs et qui se sont rendus compte qu’il pouvait élaborer une musique qui vit par elle-même. C’était des mecs comme Dabrye, Prefuse73.

 

Donc la création de Musique Large ça vient du constat de l’absence de cette esthétique ?

Fulgeance : oui, on voulait rafraichir un peu la scène, on ne se prétend pas avant-gardistes, on voulait défendre quelque chose qui n’existait pas ici. Même si on veut vendre des disques, notre idée, c’était de surprendre avant tout.

 

Attaquons sur Laurent Garnier avec la question la plus cheesy du monde : comment ça s’est fait cette rencontre ? Qui est venu vers l’autre ?

Fulgeance : Laurent avait beaucoup soutenu mon projet précédent Cubes, et il m’avait signalé qu’il jouait certains de mes morceaux dans son émission de radio ou dans ses sets, bien qu’il soit très techno. Et puis on a une connexion très importante dans l’organisation des Nuits Sonores. À l’origine, l’idée de Garnier était de faire un seul album qui est par la suite devenu cinq EPs disséminés pour toucher un peu plus la scène underground. Ce qui est amusant, c’est qu’il était parti de lui-même sur des choses très wonky, très beats music. Puis on a eu des échanges très intéressants et ce qui confirme une superbe rencontre et un homme très terre-à-terre, chose qui fait beaucoup de bien à voir quand tu as une carrière comme la sienne. Et puis c’est un très beau coup de projecteur sur le label, évidemment.

On voulait rafraichir un peu la scène, défendre quelque chose qui n’existait pas ici

Oui d’ailleurs vous ressentez déjà les bénéfices d’une signature Laurent Garnier sur le label ?

Fulgeance : en France oui ! En Angleterre aussi, je reçois beaucoup de commande. Mais c’est la France le plus impressionnant. Ce qui est amusant, c’est de constater, après presque dix ans d’existence, que l’on a toujours été dans un réseau indé. Une sortie comme ça fait réaliser aux gens que le label existe seulement maintenant. C’est parfait, c’est juste ce qui nous manquait, du coup le public s’intéresse à ce que l’on faisait avant. Le fait que je le remixe doit y participer, ça crée des passerelles entres les esthétiques, c’est intéressant.

 

Du coup, vous voyiez des fans de techno pure vous approcher, s’intéresser à vous ?

Fulgeance : oui des choses amusantes comme une requête d’un ancien producteur de chez Gigolo, moi je connais pas tellement, c’était trop techno pour moi. Après, encore une fois, ce que l’on veut c’est développer des artistes et l’agenda commence à être vraiment bouclé… Par contre des choses qui nous arrivent en pleine face comme un artiste que l’on vient de signer qui s’appelle Vekt, ça oui, on va le faire. Connu ou pas. Mais plus que des requêtes on a eu de très bons retours surtout.

 

Et Garnier c’est quelque chose que vous écoutiez ?

Fulgeance : ah oui la période French Touch, moi j’achetais tous les Roulé et les Crydamoure

Onelight : et puis les FCom…

Fulgeance : oui les FComs mais c’est surtout M.Oizo qui m’a dirigé vers le label. Et puis Garnier, oui, qui n’a pas passé une soirée mousse sur Crispy Bacon, dans sa boite de campagne ? Je déconne, je ne l’ai pas écouté que comme ça. J’ai toujours adoré son goût et son éclectisme en production comme en DJ sets.

Onelight : c’est très ancré dans une grande période musicale pour la France. Donc c’était dur de passer à côté. Après je ne sais pas si ça a bien vieilli. Et puis il n’y avait pas que de la techno chez Garnier, c’est ça qui est intéressant. Mais ça reste un de ceux qui m’ont amené vers la musique binaire.

 

Et c’est parce qu’il voulait signer chez Musique Large qu’il s’est mis au beatmake ou c’est parce qu’il faisait du beatmake qu’il vous a contacté ?

Fulgeance : Il avait déjà des sons comme ça. Quelque chose comme trois morceaux en tout qui nous ont plus immédiatement. Il y en a un sur lequel on a dû discuter un peu puis un autre a été rajouté. Donc comme mon album Cubes avait vraiment plus à son management, il s’est dirigé vers nous immédiatement.

 

L’EP s’appelle A13, nommé après l’autoroute reliant Paris à Caen. Musique Large, c’est un label caennais ?

Fulgeance : c’est un label parisien normand en fait. On s’est retrouvé à Paris mais on est originaires de Normandie. Nous n’étions pas partis sur un titre comme ça à l’origine mais comme ses autres EPs de cette série évoquent le trajet de son domicile à l’endroit d’où vient la musique qu’il joue, on est partis là-dessus. L’EP très Berlinois c’est le vol d’Air France de Paris à Berlin. Donc au début il voulait le numéro de train, c’était 3300 quelque chose, ce n’était pas très intéressant donc on a opté pour l’autoroute. Il était emballé par l’idée et comme on voulait quelque chose de très graphique sur la pochette, ça a permis à Rekick de placer une petite référence à Autobanh (album des Kraftwerk, ndlr). Je ne pense pas pour autant que j’aurais des subventions de la ville de Caen (rires) mais ça fait une jolie pochette.

Onelight : peut-être les péages offerts (rires).

 

C’est vrai que ses autres EPs sont nommés en fonction du son de sa destination. L’EP AF 0490, c’est le vol Paris-Chicago puisqu’il y pratique sa house, l’EP AF 4302, fait référence au vol Paris-Berlin, il y pratique là minimale de là-bas, du coup on pourrait croire que sur son EP A13, il pratique le son de Caen. D’où ma question : existe-t-il un son caennais ?

Fulgeance : (rires) C’est clair. Je ne vois pas ce que je peux répondre de plus en fait (rires). Je ne peux pas affirmer qu’il y ait un son caennais mais il y a une scène. J’aime à croire que Caen est une ville très particulière, elle a un petit cocon. C’est un bon vivier d’une époque à l’autre. Ce sont des cycles, il y a eu des périodes de créativité très intense et dans pleins de genres. Donc c’est très intéressant en tant que musicien de commencer à Caen.

J’aime à croire que Caen est une ville très particulière, elle a un petit cocon

Mais entre toi, Liléa Narrative fût un temps et les jeunes gardes Superpoze ou Fakear pourquoi on s’oriente autant vers la beat music à Caen ?

Fulgeance : Parce qu’on se fait chier (rires) ! Non mais dans le cas de Superpoze ou Fakear, ils nous ont vus dans les bars tout simplement. Je ne dis pas que nous sommes leurs seuls influences non plus. Je ne sais pas de quoi c’est parti. Pour la scène beat, je ne sais pas mais en tout cas il y a toujours eu un cocon très fertile à Caen.

 

Après soixante ans de tentatives de déconcentration culturelle et d’initiatives en régions, la France souffre toujours de sa parisianisassions. Est-ce que c’est possible d’installer ou d’instaurer quelque chose en dehors de Paris ? Ou est-ce une illusion ?

Onelight : si la musique marche et qu’elle vient d’une province, on ne parlera pas de la Province. On parlera uniquement de la musique. Sauf des cas comme la scène de Reims à l’époque des The Shoes, Yuksek, Brodinski…

Fulgeance : et puis Paris c’est un carrefour. Surtout à l’étranger, personne n’imaginait que je pouvais venir d’ailleurs que de Paris. Il y a eu d’autres villes qui ont connu de belles périodes, comme Lyon ou Besançon, mais c’est toujours cantonné à une petite échelle.

Onelight : et puis c’est difficile pour les villes d’organiser des évènements, il y a souvent peu de soutien, tu trouveras quelques villes qui aident, comme Lyon ou Lille, mais…

Fulgeance : c’est possible mais il faut que la ville soit passionnée déjà, que les municipalités restent ouvertes… Il y a beaucoup de paramètres.

 

Donc selon-vous, c’est clairement le manque de soutien des municipalités qui freinent l’établissement culturel des villes ?

Fulgeance : oui complétement. Des gens qui cherchent des lieux, dans chaque ville tu en trouveras pléthore.

Onelight : on ne va pas parler politique mais c’est fatalement lié. Et il existe des villes où l’on met la main poche comme Toulouse et ses ” Siestes Electroniques “. Ce sont de beaux évènements. Mais ça reste isolé. Et rare.

Fulgeance : et puis Paris hérite de tout ça. Même dans les tournées, un artiste n’acceptera pas un passage à Besançon s’il n’a pas une date à Paris avant, c’est évident. C’est dommage.

 

Et je reviens sur Garnier un instant, lui dit que la techno est la dernière grande révolution de la musique moderne. Vous le suivez là-dessus ?

Onelight : j’ai vu ça dans l’Express. De son point de vue, il a raison.

Fulgeance : Oui, dans sa génération ça a été massif. Mais ça veut pas dire qu’une révolution sonore existe parce qu’elle est grande. Des styles ont explosés après la techno. Il a raison dans un sens mais au même titre que la black music, la techno a tellement de ramification et de sous-genres que c’est un point de départ en fait. Laurent je suis sympa, je ne t’ai pas trop pourri sur celle-ci.

Onelight : Et puis il y a tout un contexte social, de changement dans les moeurs qui accompagne la techno. De son point de vue, il a raison.

 

Et vous pensez que ça peut arriver une révolution en musique ?

Fulgeance : je me pose toujours la question.

Onelight : Il y a tellement de choses qui se passent d’un côté et de l’autre la musique reste globalement tellement sclérosée…

Fulgeance : la révolution se fera peut-être sur le live par le biais de changements dans les moyens techniques.

Onelight : peut-être que nous sommes en train de vivre une révolution.

Fulgeance : peut-être qu’il faudrait rencontrer une nouvelle race ou une espèce extra-terrestre pour connaitre une nouvelle révolution. Mais bon on sait jamais peut-être que nos enfants écouteront du trap dans des sièges, ils ne marcheront plus, comme dans Idiocracy.

 

Et comme nous sommes en plein Disquaire Day, est-ce que vous vous souvenez de votre premier vinyle ? Ou alors le plus gros bijou de votre vinylotheque ?

Onelight : vu mon âge, c’était un CD. Je me rappelle de beaucoup de moments où j’ai acheté des CDs. Je me souviens de mon premier Jay Dee, Welcome To Detroit, le prendre, le regarder sans trop savoir ce que c’est. Mais le premier vinyle, ça devait un Stevie Wonder.

Fulgeance : moi ça doit être pareil, un Herbie Hancock. Mais j’étais surtout fasciné par la platine de mes parents, j’avais vu les premiers scratcheurs officier. Ou alors un Kind Of Blue de Miles Davis.

A13 est sorti le 25 mars chez Musique Large

Et Laurent Garnier invite Musique Large au Rex le 18 mai